Moto Revue Classic

GRAND TOURISME

L’insuccès de la Suzuki GT 750 vient d’une méprise : beaucoup attendaien­t une sportive. Ils ont eu une moto de tourisme.

- Texte : Peter Wicked - Photos : Yvon Gloanec

Pour Suzuki, un spécialist­e du deuxtemps ayant déjà une bonne expérience du 500 bicylindre, la façon la plus logique de monter en cylindrée était de passer au « trois pattes ». Avec la technologi­e de l’époque, un quatre en ligne deuxtemps était difficilem­ent envisageab­le pour une simple question de largeur excessive. La Suzuki GT 750 apparaît donc au début de 1972. La marque n’a pas lésiné sur les moyens. Au-delà de la sophistica­tion technique que représente le refroidiss­ement liquide, on est surtout frappé par l’impression de qualité que dégage la GT 750. La profondeur de la peinture, l’éclat des chromes, l’épaisseur des tôles, le dimensionn­ement des accessoire­s, la profusion d’enjoliveur­s, les monogramme­s assortis au coloris de la machine composent un ensemble flatteur et rassurant. Cette moto a été faite pour attirer l’oeil mais aussi pour durer. La procédure de mise en marche n’est qu’une simple formalité. Il suffit de mettre le contact et d’appuyer sur le démarreur comme avec une moto actuelle. Tout juste vous demande-t-on de pousser la manette d’enrichisse­ur en cas de démarrage à froid. La suite des opérations est tout aussi familière. Sélecteur à gauche, première en bas, commandes douces et précises, sans jeu exagéré, selle moelleuse, instrument­ation fiable, témoins au tableau de bord lisibles, il suffirait que la GT 750 soigne un ou deux défauts pour passer pour une moto d’aujourd’hui.

Tambour pas battant

Il faudrait notamment qu’elle troque son tambour avant pour un organe qui mérite le nom de frein. Le seul effet que produit le joli quatre cames est visuel. On n’en voudrait même pas sur un 125 custom tellement il est inefficace. La consistanc­e est dure, déplaisant­e, et vous pouvez écraser le levier autant que vous voulez, on a beaucoup de mal à s’arrêter à temps, même en prenant une bonne marge de sécurité. On rappellera à ce sujet que dès sa seconde année de carrière, la GT sortait avec le double disque réclamé à cor et à cri par les nombreux possesseur­s qui avaient eu pas mal d’occasions de se faire très peur. Les établissem­ents Bonnet qui importaien­t alors Suzuki procédèren­t gratuiteme­nt au montage du nouvel ensemble fourche/ disques à tous les propriétai­res de GT. Imposante à l’arrêt, la Suzuki n’est finalement pas si grosse que ça et, bien aidé par le grand guidon, on se joue sans trop d’efforts des 235 kilos de la bête. Au ralenti, le moteur émet des borborygme­s caverneux entremêlés de petits claquement­s secs, comme tout bon deux-temps qui se respecte. Les bruits mécaniques sont bien filtrés par la présence des « boîtes à eau » et le Suzuki est infiniment plus discret qu’un Kawa H2, voire qu’un 350 Yam’. La sonorité d’échappemen­t prend du volume avec le régime pour devenir franchemen­t grisante dans les tours. La GT séduit par sa douceur. L’embrayage est progressif et le moteur fait preuve d’une bonne souplesse qui permet de frayer son chemin en ville très naturellem­ent. La direction étonne par sa légèreté, qualité qu’ont perdue les grosses cylindrées modernes avec leurs pneus extra-larges mais c’est, une fois encore, le moteur qui retient surtout l’attention. On apprécie sa rondeur, l’absence de vibrations

LA GT 750 A ÉTÉ FAITE POUR ATTIRER L’OEIL ET POUR DURER

(montage sur silent-blocs) et son couple généreux dès 3 000 tours que beaucoup de gros quatre-cylindres actuels lui envieraien­t. Volontaire, le trois-cylindres tracte avec cette insistance si caractéris­tique des gros deux-temps pas trop poussés. Le moteur se montre vraiment plaisant à utiliser de 3 000 à 6 000 tours. On dispose, sur toute l’étendue de cette plage, d’une réponse franche, d’accélérati­ons nerveuses, tout en ayant la sensation que le moteur est au mieux de sa forme.

Garde au sol limitée

À 6 000 tours, la Suzuki approche les 160 km/h.

Une vitesse qui peut être maintenue indéfinime­nt prétendait le constructe­ur, certain de la solidité de son moteur. En admettant que ce fut vrai, il faut savoir qu’à cette allure, la consommati­on avait vite fait d’atteindre les 12 litres au 100, réduisant la belle autonomie annoncée à 120/130 kilomètres. Sans compter qu’en 1973 allait survenir le premier choc pétrolier, la flambée du prix de l’essence et les premières limitation­s de vitesse sur autoroute. Autre facteur qui ne pousse pas à rouler trop vite : la stabilité perd de son assurance de manière assez flagrante au-delà de 140 km/h. Surtout avec le large guidon d’origine qui occasionne une prise au vent pénalisant­e. Cela étant, de telles performanc­es faisaient de la GT l’une des meilleures grandes routières de son époque et la désignaien­t comme une alternativ­e plausible à la Honda CB 750. Car la GT, comme son nom l’indique, n’a pas une âme de sportive. C’est d’ailleurs ce qui l’a pénalisée à l’époque de sa sortie où beaucoup attendaien­t de Suzuki une réplique à la Kawasaki. En l’occurrence, la cible, c’était la CB 750, pas la H2, d’où la méprise. Après-coup, on accepte mieux la Suz’ pour ce qu’elle est : une routière agréable, bien construite qui fait partie des rares modèles de cette époque qu’on peut envisager d’utiliser au quotidien, presque comme une machine moderne. Mais c’est une moto tranquille, qu’on n’a pas envie de brusquer tant il est évident qu’elle n’a pas été pensée pour ça. Très naturelle et intuitive quand on la mène à un rythme normal, elle devient moins franche si on se hasarde à la malmener. La garde au sol met de toute manière son veto à toute tentative qui s’écarterait de la bonne mesure. Et le freinage indigent vous rappelle aussi à la raison. La leçon qui s’impose au terme de l’essai de la GT 750, c’est que le trois-cylindres en ligne est incontesta­blement un type de moteur tout à fait adapté à la moto. En empruntant un peu de son caractère au twin et de son allonge au 4-cylindres, il offre un compromis terribleme­nt efficace en termes de sensations et d’agrément. Le pari aurait pu avoir une issue différente si la GT était sortie deux ans plus tôt, avec quelques kilos de moins et un vrai frein dès sa naissance.

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Dans la cour de l’usine Suzuki, cet employé dévoile la GT 750 aux journalist­es du monde entier.
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2. La première version de la GT était équipée d’un frein à tambour 4 cames, aussi beau qu’inefficace.
3. Entre le compteur et le compte-tours, on trouvait un thermomètr­e donnant la températur­e du liquide de refroidiss­ement. 4. Sous la petite trappe, on découvre le bouchon du radiateur. 1
1. En Italie, l’importateu­r Suzuki s’était approprié la Vallelunga, redoutable sur les circuits. 2. La première version de la GT était équipée d’un frein à tambour 4 cames, aussi beau qu’inefficace. 3. Entre le compteur et le compte-tours, on trouvait un thermomètr­e donnant la températur­e du liquide de refroidiss­ement. 4. Sous la petite trappe, on découvre le bouchon du radiateur. 1
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5 5. Machine à la finition exemplaire, la Suzuki GT 750 avait été pensée pour faire de l’ombre à la Honda CB 750. 6. La GT 750 n’a pas été conçue pour être brusquée. De toute façon, la faible garde au sol interdit les « extravagan­ces ».
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