JEAN-MICHEL CAVRET
De 1989 à 2010, Jean-Michel Cavret a dirigé BMW Motorrad France avant de prendre en charge la stratégie électromobilité de la marque. Aujourd’hui retiré des affaires, il garde un oeil acéré et une vision pertinente sur le business et la moto, la grande pa
Il a été n°1 de BMW France pendant plus de 20 ans. Une bonne raison de refaire l'histoire.
Nous avons rendez-vous chez lui, au Vésinet, en banlieue ouest. « Ma femme Claudine et moi sommes arrivés ici en 1990 avec Claire et Laure, nos jumelles, précise Jean-Michel avant de dérouler l’histoire. Je suis l’aîné de six enfants (3 filles, 3 garçons) d’origine bretonne et j’ai quitté la maison familiale à 19 ans pour suivre des études supérieures. Mais j’ai toujours été fou de moto. Après mes études secondaires, j’ai été aide-magasinier chez Japauto où j’ai croisé Christian Vilaseca, Robert Assante et Michel Rougerie pendant une semaine avant que ma soeur Béatrice, qui travaillait chez SaintGobain Pont-à-Mousson, ne me dise qu’ils recherchaient également un stagiaire. Mieux payé cette fois. Là, pendant deux mois, j’ai sympathisé avec Roger Bataille, un autre stagiaire à qui j’ai refilé le virus de la moto et qui m’a poussé à passer le concours de l’IFAG de Formation des Assistants de Gestion). Ce que j’ai fait en vendant ma Honda 450 Black Bomber et en prenant un prêt bancaire. L’IFAG était une école novatrice basée sur l’alternance de cours théoriques et de périodes en entreprise où un stage longue durée clôturait le cursus. J’ai fait le mien chez LCC-CICE, filiale de Thomson-CSF, où on m’a finalement proposé un poste. Il se trouve qu’à ce moment-là, j’avais entendu Marcel Bleustein-Blanchet (le créateur de Publicis, dire à la radio : ‘‘La vocation, c’est de faire de sa passion
Et moi, ma passion, c’était la moto. » On est en juin 73,
Jean-Michel Cavret oublie le poste promis chez Thomson-CSF et envoie une candidature spontanée à Suzuki, Honda, Yamaha et BMW comme chef de district. BMW répond ! « Compte tenu de mes études, Claude Laurent, la DRH de l’époque, me propose un poste incluant publicité et promotion de tous les produits de la marque. Rendez-vous est pris avec Yves Macaire (directeur du marketing
de BMW). L’entretien a été très court. Il m’a remis un catalogue sur la nouvelle BMW 520 – une voiture en cours de lancement –, et m’a demandé de revenir avec un argumentaire de vente le vendredi suivant à 9 heures. J’en ressors un peu déboussolé : j’étais venu pour l’activité moto. Mais je me mets au travail : micro-trottoir sur les Champs-Élysées, analyse de la concurrence, achat de la presse spécialisée et le vendredi en question, je lui remets mon argumentaire. Il l’a lu en 20 minutes, dans un silence total, l’a refermé et a déclaré : “Vous êtes engagé !” J’avais 22 ans, je me retrouvais chef du service publicité et promotion de tous les produits auto, moto, pièces détachées et accessoires et plus tard, moteurs marins de BMW. » Le service marketing de BMW se résume alors à 4 personnes : « Yves Macaire, sa secrétaire Irène Degeselle, Claudine Bourgeois la sténo-dactylo, et moi. On a débuté BMW France comme ça. À l’époque, c’est Jean-Pierre Bailby qui était directeur du département moto et Jean-Louis Maesen, le premier président de la filiale
IL A LU MON ARGUMENTAIRE EN 20 MINUTES DANS UN SILENCE TOTAL...
française. La boîte a grandi, c’est sûr… BMW Import SA était situé au 116 avenue Aristide Briand à Bagneux et on avait juste l’étage d’un immeuble. Moi, je suis arrivé là le 4 septembre 1973. Au bout de cinq ans, le business se développant bien, j’ai dû choisir entre la pub et la promotion. J’ai pris la pub et Jean-Claude Depincé, alias “Depnic”, la promo. En 1985, Yves Macaire est nommé directeur de la communication, nous postulons donc de concert pour lui succéder comme directeur du marketing mais le directoire fait appel à quelqu’un de l’extérieur… Octave Manset, qui venait des parfums Rochas. Patrice Franke – qui avait succédé à “Depnic” parti au début des années 80 au Garage du Bac promouvoir Alpina – et moi avons démissionné le même jour. Au même moment, Publicis me propose un poste de directeur du budget décentralisé de Renault (11 agences en région, 70 personnes à gérer). J’accepte immédiatement ! Chez Publicis, avec Maurice Lévy (le boss), Jean Lambert (en charge des relations avec Renault) et Marcel Bleustein-Blanchet (le créateur dont il avait suivi les conseils à la radio 12 ans plus tôt…), ça se passe super bien. Chez Renault – notre plus gros client –, les têtes tournent tous les trois ans comme dans toutes les grosses maisons. Et quand un directeur s’en va, il part avec toute son équipe. C’est ce qui se passe deux ans plus tard. Jean-Claude Muller
qui était l’un de mes interlocuteurs à la Régie, sait qu’il ne sera pas repris. Il me recommande chez Renault, compte tenu de ma double expérience annonceur/ agence. À l’automne 1986, je suis en réunion dans l’une des agences régionales Publicis chez De Bonneville Orlandini lorsque Maurice Lévy me demande au téléphone. “Renault souhaite vous recruter, qu’en dites-vous ?” Je ne réponds rien. Sentant mon hésitation, il ajoute : “Allez-y, si ça ne marchait pas, je m’engage par écrit à vous réintégrer aux mêmes conditions qu’aujourd’hui.” Fin de la conversation. Je me retrouve donc un matin Quai du Point du Jour en face de Michel Dubrulle, directeur marketing monde de Renault, puis de Mario Canavesi, directeur de la publicité monde de Renault. Je suis engagé comme chef du service publicité France de Renault et je passe le vendredi de position de fournisseur (Publicis) à celle de client (Renault) le lundi suivant. Le plus incroyable, c’est que je suis allé signer mon contrat chez Renault le lendemain de l’assassinat de Georges Besse par Action Directe. Drôle d’ambiance... »
En attendant, avec la Régie, JM Cavret est désormais aux commandes du plus gros budget publicitaire de France, tous secteurs confondus. Énorme ! « Ça se passe super bien. Je reste un an et demi chez Renault et, un matin, je reçois un coup de fil de quelqu’un de BMW France qui me prévient que JP Bailby
vient de décéder à
49 ans. Je vais aux obsèques, je serre les mains de responsables allemands avec lesquels j’avais bossé 12 ans plus tôt, et Didier Maitret
AUX COMMANDES DU PLUS GROS BUDGET PUBLICITAIRE DE FRANCE. ÉNORME !
du directoire de BMW France depuis 1987) me propose deux semaines plus tard le poste de directeur moto. » Mais avant de dire oui et de quitter la Régie et ses gros moyens, JMC – alors cadre supérieur hors catégorie – se rend à Munich pour rencontrer les responsables de BMW Motorrad. Notamment le n° 2, Hans Riedel. « J’avais déjà travaillé avec lui 12 ans auparavant mais j’avais besoin de savoir ce qu’il y avait dans les tuyaux. Il m’a montré le plan produit pour les cinq années à venir, avec, entre autres, le nouveau moteur Boxer et la K1. J’ai donné ma démission chez Renault et suis revenu chez BMW le 4 septembre 1989. Une semaine après ma signature, il fallait lancer la K1 dans les arènes d’Arles avec Jean-Louis Bernardelli au micro, Didier Maitret, Hans Riedel et le Dr Bukhard Goeschel, directeur du développement Motorrad de 1989 à 1992, créateur du nouveau Boxer et du V12 auto. Il fera le Z3 ensuite. Le Dr Bukhard Goeschel sera également membre du board par la suite. » Quand Jean-Michel arrive en 89, le flat est toujours la pierre angulaire de la production chez BMW. Le moteur Boxer assure la part belle des ventes mais la marque allemande essaye d’élargir le champ des possibles. « BMW a lancé la K100 en 83, la K75 en 85 et la K1 en 89 pour dynamiser son image. Au début des années 90, l’usine se rend compte que l’âge moyen du client BMW, est de 38 ans. Le permis se passant à 18 ans, on ne lui propose donc rien pendant 20 ans. C’est pourquoi il a été décidé de sortir la F 650 GS en collaboration avec Aprilia. Une moto pour les jeunes. Ça a un peu râlé au début car elle était fabriquée en Italie avec une transmission à chaîne et un moteur Rotax. Assez loin des fondamentaux BMW donc, mais ça a été un succès formidable malgré la réticence de beaucoup. Il fallait bouger, sinon on allait mourir avec nos clients. Quand je suis arrivé dans les années 90, Walter Hasselkus, le nouveau patron de BMW, disait : ‘‘L’activité automobile a subventionné BMW Motorrad pendant très longtemps. Aujourd’hui, nous avons un plan produit qui fait que si nous ne sommes pas capables de marcher sur nos deux pieds tout seuls, on ferme la boutique !” Et ça, c’était bien avant la crise de 2008, bien avant l’affaire Rover qui a coûté 5 milliards d’euros à la marque (…). Il fallait prendre des mesures drastiques car l’image de BMW était celle de motos de papy. On fournissait beaucoup d’administrations (gendarmerie, police, Poste, douanes, etc.), ce qui pouvait représenter jusqu’à 30 % des ventes par an et BMW était aussi pour beaucoup, grâce à la tolérance sur les remontées de file, la moto des “costards-cravates” qui vont au boulot à moto. En Allemagne, c’est inimaginable. La moto y est synonyme de plaisir, de découvertes, d’aventures, pas de travail… Et comme les équipes dirigeantes changent tous les trois ans, à chaque fois, il fallait leur réexpliquer les spécificités du marché français. Ça a été parfois un peu compliqué... » Heureusement,
BMW a toujours été une marque d’ingénieurs, et a toujours innové : le pot catalyseur partout, l’ABS dès 1986, le Paralever, le Telelever, le carénage intégral sur la R100 RS en 1977, le meilleur CX avec la K1, tout ça, c’est BMW. Mais il faut également se rappeler que tout n’a pas été rose. Le géant industriel d’aujourd’hui a en effet frisé la correctionnelle à plusieurs reprises. En 1959, notamment. « Oui, c’est vrai. À l’époque, tout va très mal. Les autos sont trop chères et les ventes sont en chute libre. Le 3 décembre, une assemblée extraordinaire des actionnaires aurait pu se solder par la décision de vendre BMW à Daimler-Benz (Mercedes) qui avait alors le projet d’en faire une marque de poids lourds. Heureusement, les frères Quandt (Harald et Herbert) rentrent au capital, injectent de l’argent et garantissent pérennité et indépendance. Très vite, ils sortent la BMW 700, une petite voiture motorisée par un flat-twin de moto qui va se vendre à près de 200 000 exemplaires et sauver la marque. » Un flat moto qui sauve BMW, l’histoire est belle. « Oui, car BMW, c’est avant tout une histoire d’hommes, de décideurs, de techniciens surtout, et d’indépendance. » Des techniciens que l’on s’arrache à la tête des grandes marques. « En 1993, après le lancement du Boxer R 1100 RS et de la F 650 GS à Lanzarote, coup de tonnerre à Munich : Hans Riedel, qui n’a pas été choisi pour prendre le poste de n° 1 de BMW Motorrad, quitte BMW Group pour rejoindre Porsche. Dans les mois et les années qui suivent, il recrute plusieurs responsables de BMW Motorrad : Wolfgang Duerheimer, qui avait succédé au Dr Burkhard Goeschel au Développement,
Gerd Mauser, directeur du marketing, Hans Bernard Port, responsable commercial, Peter Schwarzenbauer, responsable commercial (qui reviendra plus tard comme membre du board du BMW Group), Peter Metzdorf, responsable de la publicité et Detlev von Platen, qui était stagiaire dans mon département en 1989 et qui est aujourd’hui membre du board de Porsche monde après avoir été président de Porsche France puis USA. On peut dire que le succès actuel de Porsche doit quelque chose aux BMW Motorrad ! À noter aussi que l’actuel patron de Volkswagen, le Dr Herbert Diess était le patron de BMW Motorrad dans les années 2000 et que Ralph Speth, actuel CEO de Jaguar, est également un ancien de chez BMW. » Oui, effectivement, on peut dire que BMW est bien une marque d’ingénieurs. Et que le moteur Boxer continue d’être une référence avec des volumes qui ont explosé. « Deux chiffres m’ont surpris en replongeant dans mes archives,
En mars 1991, on a fêté la millionième BMW produite. Donc de 1923 à 1991 : 1 million de motos en 68 ans. En 2019,
BMW a produit 165 000 deux-roues dans l’année. Et l’objectif pour 2020, c’est 200 000 unités. Soit 1 million de motos en seulement 5 ans. C’est dire si la structure et la gamme, dont le flat est encore l’essentiel, ont grossi… Avant, sous le même logo BMW, deux images coexistaient : l’automobile incarnant la sportivité, et la moto, la robustesse et la fiabilité. La K1 en 1989 a été la première étincelle sportive de la marque et la dernière, ce fut la S 1000 RR en 2009.
Là, on ne parlait plus de motos de papys ! Sous le même logo, secteurs auto et moto étaient plus homogènes. Pour les ‘‘Heritage”, il s’est passé un peu le même phénomène qu’avec les Mini : puiser dans les racines de la marque pour aller plus loin. C’est formidable. Ça attire une clientèle plus jeune et ça satisfait aussi les anciens qui peuvent, pour certains, se payer enfin la moto qui les a fait rêver quand ils étaient gamins. La moto a toujours conféré à la marque une touche de jeunesse, d’esprit de liberté et de rêve dont l’automobile avait également besoin. » Pourtant, au board de BMW, il n’y a pas de responsable moto… « C’est vrai, poursuit Jean-Michel,
POUR SAUVER LA MARQUE, IL FALLAIT PRENDRE DES MESURES DRASTIQUES