AURIOL
Après avoir manqué de peu la victoire en 1980, Hubert Auriol a imposé ses BMW à deux reprises, en 1981 et en 1983. Il nous relate cette épopée.
Figure emblématique des rallyes africains et de BMW, Hubert s'y est imposé 2 fois.
Mon histoire avec BMW a commencé de cette façon : j’ai reçu un coup de fil de Jean-Pierre Bailby, qui m’a proposé de rejoindre l’écurie : “Nous avons une deuxième moto, est-ce que tu veux la piloter ?” Après avoir raccroché, je sautais au plafond ! L’année précédente, j’avais cassé ma tirelire pour partir mais là, je n’avais plus de ronds et si je n’avais pas eu cette proposition, je ne serais jamais reparti sur le ParisDakar (en 1979, Hubert s’était associé avec Cyril
Neveu et Fenouil pour financer l’assistance et avait terminé 7e sur une Yamaha 500 XT, ndlr). Et c’est comme ça que je me suis retrouvé “entre guillemets” pilote d’usine. C’était quand même une histoire incroyable (rire) ! L’équipe était dirigée par Beinhauer, qui était, je crois, manager au Brésil, mais il n’avait jamais mis les pieds en Afrique. D’ailleurs, on s’en est rendu compte au soir de la première grande spéciale algérienne de cette édition 1980, In Salah-Reggane. On avait un moteur d’enfer par rapport aux monocylindres japonais. Le soir, briefing avec Beinhauer, très organisé, avec la table de camping, les sièges, à l’allemande. Il commence en disant : “Bon, ça ne va pas du tout, il va falloir que vous ralentissiez.” Nous, on le regarde avec des yeux ronds, mais il insiste : “La moto perd un peu d’huile, les billes sont marquées par la colonne de direction, il faut ralentir pour ménager la machine.” On le prenait pour un fou (rire). » L’opération était financée par les concessionnaires BMW, la France étant à l’origine de l’implication de la marque sur le Dakar mais l’Allemagne s’était occupée de la préparation de la moto. L’assistance était organisée par les Français. « C’est la traversée du Tanezrouft, plus de 500 bornes de spéciale à fond (le Tanezrouft est le nom que donnent les Touaregs à ce désert où rien ne pousse et où quasiment rien ne vit, ndlr). Le moteur n’aimait pas les surrégimes et ça n’a pas fait un pli : au bout de 40 ou 50 km, un nouveau surrégime et blam ! Moteur bloqué… Coup de bol, comme on n’était pas loin du départ, l’assistance arrive assez vite. Les mécanos se mettent au travail et l’avantage d’une BMW, c’est que le moteur est tout de suite accessible. J’avais touché une soupape.
Ils ont donc changé la culasse et un quart d’heure après, j’étais reparti. C’était le problème le plus important que nous avions à gérer, les surrégimes du moteur, vu qu’on n’avait pas beaucoup de débattement, il fallait éviter de rester gaz ouverts en grand. Enfin, ceci dit, il était solide quand même ce moteur. Le monoamortisseur, un Bilstein, était un peu fragile aussi. Fenouil en a cassé un dans l’étape GaoMopti, et ç’a été mon tour entre Niono et Tombouctou. Comme je faisais de l’enduro, j’avais pris l’habitude de bricoler et là, j’ai réussi à replacer le ressort en le maintenant avec des sangles, j’ai pu finir et comme c’était une spéciale plutôt sinueuse avec beaucoup de navigation, tout le monde s’est un peu perdu et j’ai fini à Tombouctou dans les cinq-six premiers. Le lendemain, c’était Tombouctou-Gao. Spéciale uniquement faite d’ornières
de sable. Arrivé à Gao, je gagne la spéciale et je suis en tête du rallye. Le lendemain, il y avait une petite étape de 1 300 kilomètres de liaison
(rire), c’est là que l’histoire s’est corsée. On était parti avec Fenouil très tôt le matin, on a roulé toute la journée, et vers onze heures du soir, blang ! La moto s’arrête, boîte bloquée. On était donc partis depuis six heures du matin. On était crevés, on avait soif, on avait faim, et j’ai clairement manqué de lucidité. Quand un mec s’est arrêté avec son taxi-brousse, je n’ai pensé qu’à une chose : mettre la moto derrière et aller jusqu’au premier village, s’y arrêter et attendre l’assistance en buvant un coup et en mangeant un morceau… Évidemment, la seule chose que j’avais à faire, c’était d’attendre l’assistance au bord de la piste. En plus, elle était juste derrière, et on était en liaison et pas en spéciale. Bon, on ne va pas refaire l’histoire, hein… » Pour la petite histoire justement, Hubert, s’étant endormi dans le fameux taxi-brousse, s’est réveillé quasiment devant la table des contrôleurs et a bien entendu été mis hors course.
1981, c’est la revanche sur le mauvais sort...
« Oui, alors il faut dire que j’ai plutôt très mal vécu la mise hors course et surtout ce qui a suivi juste après : c’était la déprime totale ! T’imagines que quand j’ai passé le coup de fil à BMW pour leur annoncer que j’étais hors course, c’était pas folichon, comme situation. Je pensais que j’avais condamné mes chances de faire quelque chose à moto un jour. Alors, quand BMW m’a rappelé en septembre ou octobre 1980, autant dire que ç’a été une divine surprise. Ma chance, c’est que j’avais fini en 1979 quand j’avais roulé sur la 500 XT, et que les pilotes ayant un minimum d’expérience et susceptibles de gagner en rallye-raid n’étaient pas légion… Et là, je peux te dire que je n’ai pas laissé passer ma chance (rire) ! »
En 1981, l’Allemagne prend toujours en charge les motos et la France la logistique ?
« Oui, et lorsque j’ai découvert la moto et que je leur ai demandé s’ils avaient fait des modifs, ils m’ont dit :
“Oui, on a changé le silentbloc de l’amortisseur.” Donc, l’amortisseur qui pétait, c’était exactement le même. Et bien sûr, nous n’avons fait aucun essai avant la course. On découvrait la moto au Trocadéro. Bon, en 1981, on était un peu mieux équipés, on avait un petit pare-brise, un casque intégral, la descente de la France jusqu’à Sète était moins pénible. Lors de la première grande spéciale dans le sud de l’Algérie, entre Tit et Timéiaouine, une traversée est-ouest du désert pour aller jusqu’à Tamanrasset, au dernier moment, je décide de mon propre chef d’emporter un amortisseur, sans en parler à Beinhauer. Je vide donc tout ce qu’il y a dans la trousse à outils sous la selle, j’y range l’amortisseur, une clé à cliquet, un peu de boulonnerie, en me disant : “On ne sait jamais.”
J’ai été bien inspiré : j’ai pris une saignée en pleine spéciale, une spéciale hyper rapide, et l’amortisseur a cassé ! J’ai pu le changer assez vite, je suis
reparti et j’ai gagné cette spéciale, en prenant la tête du rallye, que je n’ai plus lâchée jusqu’à l’arrivée. Comme quoi, ça ne tient pas à grand-chose. Lors de ces tout premiers Dakar, on était quand même livrés à nous-mêmes, il fallait qu’on se démerde. Il n’était pas question de décrocher ton téléphone pour appeler l’assistance ! La formation d’enduriste chez Marcel Seurat (importateur de Husqvarna pour lequel Hubert roulait en enduro, ndlr), c’est sûr que ça m’a bien servi ! » J’imagine que cette première victoire reste un immense souvenir pour toi... « Ah oui… Je me souviens qu’en arrivant à Saint Louis, on était au bord de la mer et qu’on bifurquait vers la route qui allait vers Dakar. Je m’en souviens d’autant mieux que j’y suis retourné il y a deux ou trois ans pour tourner un film avec BMW. On s’est retrouvé au carrefour de cette route, à la sortie de Saint Louis, et tout m’est revenu : quand j’étais passé à cet endroit en 81, c’est là que j’ai su que j’avais gagné. Ç’a été un moment… extrêmement fort. Une énorme émotion. Il ne pouvait plus rien m’arriver… Sauf qu’en fait, le dernier jour, sur cette spéciale assez courte tracée sur la plage, j’ai pris une vague et j’ai failli noyer le moteur ! » Quand tu es rentré en France après ta première victoire, comment a réagi BMW ? « Eh bien, ils ont été un peu surpris quelque part… BMW n’a finalement pas fait grand-chose, même si bien sûr, ils étaient très contents… Non, là où les choses ont pris une autre dimension, c’est après la deuxième victoire, en 1983. Là, on a fait une fête du tonnerre, et ça a tout changé chez BMW. Entre-temps, le Paris-Dakar avait aussi atteint une dimension extraordinaire. Mais j’insiste sur le fait que BMW était une équipe vraiment atypique. Chez Yamaha et Honda, il y avait un service course qui s’occupait de tout. Nous, on n’était pas structuré, en comparaison, c’était vraiment du bricolage. Par exemple, il y avait Helmut Pohl, un copain de Beinhauer, qui était dentiste et excellent mécano au demeurant, intégré à l’équipe je ne sais comment, mais tu vois, c’était un peu hétéroclite comme staff…
Les motos étaient préparées par HPN, qui faisait des pièces spéciales pour BMW, mais à l’usine, il n’y avait pas de service course. C’était de l’artisanat de haut vol. En 83, après la déconvenue de 82 (c’était une nouvelle moto, avec un moteur de 1 000 cm3 et une nouvelle partie-cycle, mais les boîtes cassaient et le team s’est retiré à Gao, ndlr), l’Allemagne avait cessé de s’impliquer et c’est un concessionnaire, Bernard Grenier de Monner, d’Arcueil Motor, qui a préparé les motos ! Mon mécanicien, sur la course, c’était Jean Castera (le père de David, actuel patron du Dakar, ndlr), qui d’ailleurs avait permis à Fenouil de rallier l’arrivée en ressoudant son cadre qui avait lâché, avec des démonte-pneus Michelin que je lui avais donnés ! BMW France a insisté pour réengager des motos, mais l’Allemagne ne voulait plus en entendre parler. Je me suis occupé de faire fabriquer le réservoir et de la fourniture d’amortisseurs Öhlins auprès de Pierre Faucher, avec lequel j’étais copain. On a donc abandonné le monobras et du même coup, on n’a plus eu de problèmes de suspension arrière ou de boîte de vitesses (le bras de cardan était même fabriqué par le laboratoire de la Marine nationale, et il s’avéra indestructible, ndlr). Finalement, l’Allemagne s’est chargée de l’assistance. Après la victoire de 1983, l’usine revient officiellement en 1984 et là, on fait le doublé avec Rahier. C’était quasiment la même machine que celle que nous avions montée pour 83, et elle n’a pas vraiment changé jusqu’à ce que la marque cesse de s’impliquer dans le Paris-Dakar. Ils ont eu la chance qu’une petite équipe de mecs super motivés comme nous l’étions prenne les choses en main pour relancer la dynamique, un élan sur lequel ils sont appuyés jusqu’à la fin. »