APPRENDRE LE MÉTIER
Tout pilote débutant, en plus de ses propres intuitions, doit s’inspirer des autres pour aborder au mieux sa carrière. Dans les années 60, les écoles de pilotage n’existaient pas, les coaches non plus, et les formules de Promotion, comme la célèbre Coupe Kawasaki / Moto Revue, n’arriveront qu’au début des années 70. Alors, pour apprendre le métier, il n’y avait pas d’autre solution que l’observation. Tout gamin, à l’âge de 13 ou 14 ans, je n’hésitais pas à aller à Montlhéry à Vélosolex d’abord, en Peugeot BB 50 ensuite (avec ce dernier, je roulais à 70 km/h au lieu de 35) pour assister aux Coupes Eugène Mauve, aux Coupes du Salon ou encore à la côte Lapize. Du domicile parisien de mes parents, cela représentait plus d’une heure de trajet pour rallier l’anneau. Mes postes d’observation préférés étaient l’épingle des Deux-ponts pour les freinages, le virage de la Ferme pour les prises d’angle et les trajectoires. J’allais également au virage du Faye, un droite serré en descente. Du bord de la piste, même un néophyte distingue les bons des mauvais et remarque les cadors. C’est ainsi qu’au fil des tours, je me concentrais sur les Jean-Pierre Beltoise, Éric Offenstadt ou Claude Vigreux. J’enregistrais dans mon inconscient les repères de freinage, la manière de descendre les vitesses ou bien celle d’aborder le virage, d’utiliser toute la largeur de la piste. Une image parmi beaucoup d’autres m’est restée : la performance de Jean-Pierre Beltoise au guidon de sa Matchless 650 le jour où il a oublié tout le monde. De la côte Lapize, je retiendrai la journée printanière de mars 1961. Ce jour-là, Jacques Insermini, au guidon de sa Norton Manx, allait établir le nouveau record de l’épreuve en 26 secondes. Placé à l’extérieur du seul et unique virage, un droite « en ciment », j’ai pu admirer la performance parfaite du pilote. Comment savoir que 17 ans plus tard, je pulvériserai ce record avec ma CBR 500 (pour Christian Bourgeois Racing) en 23 secondes 87 ?!
Mes escapades ne se limitaient pas à Montlhéry. Dans le cadre d’un échange d’étudiants, je passais l’essentiel de mes vacances en Allemagne, près de Fribourg, où avait lieu la célèbre course de côte du Schauinsland, comptant pour le championnat d’Europe de la Montagne. Les meilleurs pilotes privés anglais étaient présents car les primes de départ étaient importantes. Ils affrontaient les célébrités locales, Karl Hoppe et Fritz Kläger sur son Horex. J’aimais visiter le parc des coureurs, un simple pré, pour détailler les machines. Je peux l’avouer aujourd’hui, la première année, à 12 ans, j’avais une peur viscérale du bruit des Manx ou des G50. Cela explique certainement pourquoi je n’ai jamais piloté ce type de machine au cours de ma carrière, exception faite de la Vélocette 500 de Leconte. En revanche, j’aimais beaucoup le bruit des side-cars BMW RS 500 de Camathias, Scheidegger, Luthringshauser ou Deubel. J’ai participé deux fois à cette épreuve, en 1968 et 1969, avec ma Ducati 250 Mach 1. Le résultat ne sera pas glorieux avec un abandon sur chute spectaculaire et une dernière place. Je me souviens que Dieter Braun au guidon de sa Suzuki
125 de Grands prix m’avait collé près de 30 secondes. Quelques années plus tard, j’aurai l’occasion de l’affronter et parfois de le battre avec mes Yamaha TZ 250 ou 350. En septembre 1963, nous avions décidé, mon ami Richard Verdelet et moi, d’aller au Grand Prix d’Italie, à Monza. En
4CV Renault décapotable, s’il vous plaît. Une véritable expédition comprenant l’escalade du Mont-Cenis. Arrivés dès le jeudi pour échapper aux contrôles, nous avons campé dans le circuit et vécu en autarcie pendant trois jours. Quel spectacle ! Surtout les Honda 250-4 d’usine avec Jim Redman et Luigi Taveri à leur guidon. Les voir arriver à fond dans leur bruit magnifique et aborder la parabolique était quelque chose de grandiose. Mais le plus surprenant, c’était la présence parmi eux d’un jeune inconnu, Giacomo Agostini , qui disputait son premier Grand Prix avec la Morini Rebello, la même que celle de Tarquinio Provini, en récompense de son titre de champion d’Italie junior. Idem pour une autre gloire trop tôt disparue, l’Espagnol Ramon Torras et sa Bultaco. J’aurai également l’occasion de croiser
(et même de doubler) ce futur prodige,
9 ans plus tard, au GP de France 1972 à Charade. Pour apprendre un circuit et aussi augmenter son rythme, rien de tel que de prendre la roue d’un autre pilote. Lors du GP des Pays-Bas 1972 à Assen, je me fais doubler par Phil Read. Je fais tout pour le suivre. J’ai l’impression d’être à l’attaque alors que lui, dans un style très pur, enroule les nombreux virages de l’ancien tracé. Il me distance d’une vingtaine de mètres mais son aide me permet d’améliorer mon chrono de près de 5 secondes… à 3 secondes du sien ! Une autre anecdote. Je participais en 1968 ou 1969, avec ma 250 Ducati Mach1, à une épreuve à Montlhéry sur l’inédit tracé empruntant le circuit routier jusqu’à la bretelle de Couard. Le circuit comportait la courbe Ascari, les virages du Gendarme et la cuvette de Couard. Dans ce secteur où il n’y avait aucun spectateur, je me suis fait doubler par une autre Ducati. J’avais l’impression d’être à l’arrêt tant la différence de vitesse était grande. Je suis tellement surpris qu’au lieu de me concentrer sur mon pilotage, je regarde le pilote tant le spectacle est beau. Après renseignement à l’issue de la course, je saurais que cet inconnu, qui ne fera pas carrière, s’appelait Tréguier. Et pourtant quel don !
DU BORD DE LA PISTE, MÊME UN NÉOPHYTE FAIT LA DIFFÉRENCE ENTRE LES BONS PILOTES ET LES POIREAUX