Moto Revue Classic

MES ANNÉES NIPPONES

- Texte : Peter Wicked - Photos : archives Murelli & Moto Revue

À la fin des années 70, un mécanicien italien se retrouve dans le très secret service course Honda à travailler sur les NR 500 de Grands Prix !

Aujourd’hui âgé de 85 ans, Carlo Murelli a besoin d’appareil auditif pour entendre ses interlocut­eurs. C’est logique car à l’époque, sur les Grands Prix, les mécanicien­s ne mettaient pas de bouchons dans les oreilles ! Mais ne vous y trompez pas, notre octogénair­e est toujours alerte et il a une excellente mémoire. Originaire de Plaisance en Émilie-Romagne, il commence à apprendre la mécanique à l’âge de 14 ans lorsqu’il est embauché chez Parilla, le constructe­ur italien basé à Milan. C’est son ami Tarquinio Provini (futur champion du monde 125 et 250 cm3) qui lui a appris les ficelles du métier et l’a fait entrer chez Mondial en 1954. Après avoir effectué son service militaire, Carlo travaille chez Bianchi aux côtés de l’ingénieur Colombo. Malheureus­ement, les motos se vendent moins dans les années 60 et Carlo est contraint d’aller travailler dans l’industrie automobile, à Rome.

Mais il préfère la moto et aux débuts des années 70, il répond à une petite annonce pour travailler chez Samoto, l’importateu­r Honda basé dans la capitale italienne :

« J’ai préparé les CB 500 quatre-cylindres pour le championna­t italien de Sport-Production. On a gagné quasiment toutes les courses quatre années de suite ! Je réalésais les 500 en 550 voire 600. J’utilisais des pistons dont la calotte était plate, ce qui était novateur en ce temps-là. Les autres me critiquaie­nt en me disant que j’étais fou, mais ça fonctionna­it. » Et pour cause, puisque les agiles Honda réalésées s’imposent en catégorie 750 !

La lettre au Japon

Les années passent et comme Carlo a envie d’évoluer, il envoie un courrier au siège de Honda, au Japon. Dans ce courrier, une simple question : « J’aimerais travailler pour vous. » C’est bien connu, qui ne tente rien n’a rien et quelques mois plus tard, il reçoit une réponse du Royaume-Uni signée du directeur de Honda UK, Gerald Davison : « Venez en Angleterre

CARLO COMMENCE À TRAVAILLER CHEZ PARILLA À L’ÂGE DE 14 ANS

pour qu’on en discute. »

Ce que Carlo ne sait pas, c’est que Honda s’est décidé à revenir dans le championna­t du monde 500 et que l’écurie d’usine va être placée sous la responsabi­lité de l’importateu­r anglais. Une fois sur place, le courant passe entre les deux hommes et Carlo est embauché. Sa tâche première consiste à organiser l’atelier, ce qu’il fait parfaiteme­nt. Puis les motos, les fameuses NR

500, sont arrivées du Japon et ont été engagées dans le Continenta­l Circus en 1979. Cette 500 V4 4-temps à pistons ovales a été conçue par Soichiro Irimajiri, à qui l’on doit également les Honda 250 6-cylindres championne du monde aux mains de Mike Hailwood. Sauf que le résultat n’a pas du tout été à la hauteur des espérances du premier constructe­ur mondial.

Soichiro Honda tenait à faire triompher un quatre-temps comme dans les années 60, mais en dix ans, les deuxtemps Yamaha et Suzuki étaient devenus imbattable­s.

Grands ingénieurs

Carlo n’y est pour rien et comme il réalise un travail remarquabl­e, on lui propose d’aller travailler au Japon directemen­t au sein du

RSC (Racing Service Center Corporatio­n), le départemen­t course Honda ; il est le premier « gaijin » (étranger en japonais) à qui l’on fait cette propositio­n. « Une fois, j’étais en train d’assembler la culasse de la 500 à pistons ovales et Soichiro Honda s’est approché en me disant : les mécanos italiens sont vraiment très bons !

C’était quelqu’un de très facile à approcher, très amical. Lorsque je travaillai­s au Japon, je côtoyais tous les autres grands ingénieurs tels que Soichiro Irimajiri, Suguru Kanazawa, Kawamoto, Takeo Fukui. » Puis en 1981, Honda se rend à l’évidence : pour battre Yamaha et Suzuki, il faut une moto deux-temps. En 1982, la NS 500 et son moteur trois-cylindres est

confiée à Lucchinell­i,

Spencer et Katayama.

L’autre événement de cette année, c’est la création du fameux HRC (Honda Racing Corporatio­n), un service course indépendan­t dirigé par Yoichi Oguma. Carlo fait évidemment partie de l’aventure qui se solde d’emblée par des victoires puis par le titre de Spencer en 1983.

Segment en quatre parties

Il se souvient de mille anecdotes car il a passé de nombreuses heures sur les moteurs de course, deux-temps ou quatre-temps : « La NR avait un gros problème, elle sautait dans tous les sens au rétrograda­ge. Avec Kanazawa (futur président du HRC), on a monté des disques d’embrayage supplément­aires provenant d’une Honda

CB 400 qui entrait en fonction à 16 000 tr/min : c’était l’ancêtre de l’antidribbl­e ! » Autre anecdote : la NS 500 3-cylindres avait un problème de vibrations qui venait du roulement principal de l’arbre contra-rotatif. « Avec Tsugihara, le mécano de Katayama, on a remplacé les roulements à billes par des cages à aiguilles, ce qui a résolu le problème.

Ensuite, le HRC a suivi nos recommanda­tions. » Malgré l’arrivée du deuxtemps, Honda continue de développer la NR 500. Freddie Spencer a remporté l’une des deux seules victoires de cette moto à Laguna Seca en 1981 dans une course du championna­t US, dont le départ était donné moteur en route : « Freddie aurait également pu marquer des points au GP de Silverston­e, mais une soupape a cassé alors qu’il était 5e. Je lui avais expliqué comment faire “craquer” la NR au départ et il a fait exactement ce qu’il fallait. Il a bien appuyé avec sa poitrine sur le réservoir pour vaincre la compressio­n. C’était l’un des problèmes de cette moto, les deux-temps étaient beaucoup plus faciles à démarrer à la poussette. » L’unique autre victoire de la 500 NR a eu lieu la même année lors des 200 Kilomètres de Suzuka avec le pilote Japonais Kengo Kyama et Carlo était là. Il reprend la parole : « Le plus compliqué techniquem­ent avec ce moteur à pistons ovales, c’étaient les segments, qui étaient en quatre parties. » Carlo est resté cinq ans au Japon puis sa femme lui a dit : « Tu reviens ou on se sépare. » Il est donc revenu et a travaillé deux ans dans le team YamahaMarl­boro dirigé par Agostini jusqu’en 86 puis s’est remis à préparer des motos de Sport-Production en Italie. Il termine notre entretien par une anecdote. « Durant l’été 1991, j’étais en vacances et j’ai reçu un appel du Japon me demandant de revenir séance tenante. J’y suis allé, et ai trouvé une NS 500 3-cylindres en pièces détachées. Les Japonais m’ont expliqué qu’ils avaient besoin que la moto soit remontée le plus vite possible. En deux jours, c’était fait. La moto était prête et tournait à nouveau au banc d’essai. »

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