LA GRANDE ÉVASION
Le side-car Chang-Jiang rejoue l’époque communiste chinoise des années 50 mais avec une mécanique d’inspiration nippone et donc capitaliste. Curieux contraste.
Le side-car n’était pas de la déferlante néo-rétro qui s’est soudainement abattue sur le monde de la moto à la moitié des années 2000. Pourtant, il avait tout pour séduire les hipsters. L’allure authentique, les références historiques, la touche « so charming »… Son prix souvent élevé
(qui se comprend tout à fait quand on sait le travail que nécessitent la fabrication et les réglages d’un side-car) n’a pas été la cause de ce désintérêt, on a vu des prépas assez minables partir à plus de 12 000 €. Non, l’une des vraies raisons, je crois, tient au fait que le side-car reste affaire de spécialiste. Le pilotage d’un side, comme disent les initiés, réclame de l’engagement et quelques connaissances, aussi basiques soient-elles. Une autre raison, plus évidente, c’est qu’il prend pas mal de place, autant sur la route que dans un garage. Or pour faire 1 000 ou 2 000 bornes par an, essentiellement en milieu urbain, l’investissement n’a plus « d’intérêt ». Dommage pour le ChangJiang 650 Dynasty, car il aurait sûrement connu son heure de gloire en ces périodes « nostalgisantes », un peu comme la Lada
Niva pour la bagnole… Son histoire, liée aux plus grands événements du XXe siècle, constitue l’un de ses atouts majeurs. On ne parle pas ici d’une marque chinoise opportuniste née il y a trois ou quatre ans pour fourguer des néo-rétro à l’Occident. Chang-Jiang a été fondé en 1957, huit ans après l’avènement de la République Populaire de Chine communiste. La nouvelle administration, essentiellement militaire, manquait de moyens de transport fiables et rapides. Elle a alors racheté la licence russe de la marque de side-cars IMZ (Irbitskiy Motocycletniy Zavod), qu’on connaît sous l’appellation Ural, laquelle produisait déjà des copies de modèles allemands BMW d’avant la seconde guerre mondiale.
Vertical twin liquide
Mais on n’en est plus là, le side-car Dynasty qui nous intéresse ici s’est défait depuis longtemps de son bicylindre à plat pour en préférer un vertical, dérivé de celui de la Kawasaki ER-6. Il a en revanche gardé sa bouille militaire désormais sympathique, dépouillée, rudimentaire. Un renvoi à des valeurs sûres et simples, qui font beaucoup fantasmer en ce moment. En s’approchant du Dynasty, on remarque surtout la belle qualité de
LES CHINOIS ONT FAIT DES PROGRÈS CONCERNANT LA FINITION
finition, surprenante puisque nos a priori à propos de toute production chinoise restent fortement péjoratifs. La peinture de bonne qualité, les assemblages costauds, les jolies roues à rayons, la sobriété du panier, débarrassé d’artifices inutiles, flattent l’oeil… Seuls les commodos, qui rappellent beaucoup ceux des Kawa ER-6, détonnent par leur modernité. La selle à double étage et les silencieux d’échappement saucisson, façon Triumph Bonneville, ajoutent leur couche vintage, ça reste tendance. Mais quelques détails pratiques prouvent qu’on n’est pas dans le « m’as-tu-vu » : le feu longue portée, le coffre de grande dimension, sous la roue de secours bienvenue (la bagagerie sur les photos provient de la sellerie Georges), ou les prises 12 V sur le petit tableau de bord du panier. Idem pour les bavettes qui prolongent les garde-boue.
Rayon de braquage
Les dimensions restent proches de son évident concurrent, le Ural. Le modèle Tourist de Ural pèse 337 kg en ordre de marche, mesure 2,28 mètres de long, quand le Dynasty affiche 365 kg et 2,23 mètres, avec des réservoirs de 20 litres pour les deux ; une trentaine de kilos d’écart qui ne se sent pas. Mais quand on cause side, il faut aborder le sujet des réglages, tout se joue là. La précession (distance entre l’axe de la roue du panier et celui de la roue arrière), le pincement (parallélisme de la roue du panier par rapport aux roues de la moto) et le carrossage (position des roues par rapport à la verticale) détermine le comportement de l’engin. Cet art se partage entre science et intuition quasi magique. Parmi les side du genre du Chang-Jiang, mon souvenir le plus ému va au CS Concept attelé
L’ART DU RÉGLAGE D’UN SIDE-CAR TIENT DE LA SCIENCE ET DE L’INTUITION
à une Triumph Bonneville, de la marque Alternative Side Car de Jean Burdet. Il m’avait bluffé par sa facilité, son côté joueur, simple et surtout sain. J’espérais le même genre de caractère du Dynasty. Facile à prendre en main à basse vitesse, je sens très vite qu’il va falloir la jouer « gros bras » pour le dompter quand ça roulera plus vite. Premier défaut, son rayon de braquage trop grand, les demi-tours et manoeuvres dans les coins serrés obligent à s’y prendre en plusieurs fois et il n’y a pas de marche arrière. En ligne droite à 50 km/h, il ne bouge pas trop, malgré une tendance à tirer à droite, comme tout side. Le bicylindre 650, identique aux motos chinoises CF Moto, vibre mais se montre pêchu,
vu la masse qu’il doit mouvoir. Il faut quand même le maintenir au-delà de
5 000 tr/min pour qu’il en sorte vraiment quelque chose. Dans le panier, Angélique n’est pas rassurée, elle découvre la pratique de ce drôle d’hybride, mais ne peste pas contre le confort. Large, le panier permet de changer de position. La profondeur du panier laisse le loisir à qui ne dépasse pas 1m80 d’étendre ses jambes.
Coolitude et classicisme
Une fois sortis de la jungle urbaine, nous nous enfonçons dans le proche Vexin. Première ligne droite à 90 km/h, le Dynasty ne file pas droit, il faut toujours le ramener sur la trajectoire rectiligne, de manière trop exagérée. Un arrêt à une stationservice montre qu’il manquait environ 0,5 bar dans les pneus (de marque Timsun, en 18 pouces) ; vérification plus importante encore sur un side que sur une moto. L’attelage chinois retrouve un peu plus de naturel mais reste malgré tout un brin réticent. Joies du side-car. Je le disais au début, c’est une affaire de passionnés, qui s’investissent, s’intéressent et s’engagent. Le freinage est à la hauteur des attentes, avec cette particularité : la pédale de frein arrière est couplée avec le frein avant (le panier dispose lui aussi d’un disque de frein). En revanche, le levier de frein avant n’actionne pas le frein arrière. Soit une sorte de demi-freinage CBS, pour reprendre les termes techniques de Honda… qui figurent sur la brochure Chang-Jiang. Les suspensions Kayaba (double amortisseur sur la moto, un seul sur le panier) et la fourche sont réglées plutôt souples, ce qui favorise le confort mais aussi le ressenti des mouvements du side.
Or, dans les virages ou les ronds-points, en cas d’excès optimiste, les mouvements se manifestent rapidement. Et heureusement ! Les réactions du Dynasty ne sont pas toujours rassurantes, on sent sa volonté de « passer par l’avant » sur les fortes contraintes. Heureusement, les pneus Timsun glissent assez facilement, ce qui évite les retours de détente des suspensions qui déstabiliseraient l’attelage. Bref, la conduite coulée est recommandée. Elle convient plutôt bien à l’esprit de l’ensemble, si ce n’était le bicylindre de 71 chevaux qui marche plutôt dans les tours. Un rien plus de couple à mi-régime ne serait pas superflu. Mais cette puissance permet au Chang-Jiang de surclasser son rival direct, le Ural, doué d’une quarantaine de chevaux seulement pour un poids quasi équivalent. Et un tarif moindre, à 11 990 euros. Une bonne affaire pour rouler à l’ancienne, pas trop énervé.
LES PNEUS D’ORIGINE PERMETTENT DE GLISSER ASSEZ FACILEMENT