ESSAI W800
Attention, la Kawasaki W800 peut provoquer un coup de coeur qui laissera forcément des traces.
Zef Enault a roulé une semaine en W800 et il a craqué pour cette moto. Enfin presque.
Elle m’a fait penser à une jolie campagne. J’ai conscience de la bizarrerie de la comparaison, pour le moins inopportune concernant une moto.
Elle m’est pourtant très vite venue à l’esprit. Une jolie campagne revêt à mon goût des couleurs d’automne, une lumière basse et chaude de fin de journée, une forêt dont la lisière fait face à des champs d’herbe haute, quelques vallons ; ça fait vachement pub pour des produits bio ! Peut-être moins quand je m’imagine rejoindre le bistrot du patelin le plus proche, partir dans des discussions sans fin, ni queue ni tête, rentrer au clair de Lune on ne peut plus prudemment… La W800 m’évoque ce genre d’images. Son look un peu vieillot, son moteur refroidi par air, sa bonhomie de notaire replet, ses jantes à rayons, ses chromes, évidemment, ne font pas naître des images du circuit Paul-Ricard, pas plus que des figures de « crossbitume » en pleine circulation.
Petit fauteuil crapaud
À peine juché sur la W800, je me suis retrouvé comme dans un petit fauteuil crapaud du XIXe siècle. À l’aise, d’humeur joyeusement mondaine, le séant dorloté, je me berce des jappements du vertical twin, lointain descendant d’une copie de mécanique anglaise. La W800, à la suite de la W650 sortie en 1999, célèbre l’histoire de Kawasaki. Ce que faisait déjà la lignée Zephyr dès le début des années 1990, où débute la frise chronologique du genre néo-rétro (on n’a en effet pas d’exemple de moto des années 1960 qui a repris le style d’un modèle des années 30). Les W650 puis 800 marquent l’histoire de Kawasaki, même de la moto japonaise en général, en renvoyant à la 650 W1 de 1966 et son vertical twin inspiré d’une BSA A10 qui avait déjà quinze ans à l’époque. Ce qui n’a pas empêché la W1 de connaître un grand succès commercial aux États-Unis et de prouver la maîtrise du moteur quatre-temps par Kawasaki, de très grosse cylindrée qui plus est, pour l’époque. Parmi ses concurrentes d’alors, la Triumph Bonneville pointait en tête. Comme aujourd’hui… La W800 s’oppose directement à la Triumph Street Twin, dont la mécanique et la ligne s’inspirent clairement de la Bonneville 650 des sixties. Je suis facilement influençable : on me met une histoire dans la tête à travers la W800, je l’adopte aussitôt et me projette à la campagne, dans une ambiance de mi-vingtième siècle. Ce n’est pourtant pas qu’affaire de marketing et de fantasmes. La rondeur du twin, la selle hyper confortable, les suspensions souples (on pourrait attribuer ces constats à une 2 CV), la position droite, les deux compteurs ronds à aiguille ne sortent pas de mon imagination. Pas plus que la sonorité, savamment travaillée, dit Kawa. Elle l’est en effet, quand on suit la W800 ou qu’on l’écoute à l’arrêt, deux mètres derrière ces échappements. Elle prend là des notes rocailleuses,
GRÂCE À LA W800, ON PEUT METTRE LES VILLES À LA CAMPAGNE
pétaradantes, elle grommelle des compliments… qu’on n’entend pas au guidon.
Une sonorité altruiste. Pour le pilote, la discrétion sonore du twin accompagne des montées en régime gaillardes. Le moteur se montre bon compagnon, agréable, souple à bas régime, il soutient les mi-régimes avec une vitalité de cinquantenaire entretenu. Vers 6 000 tr/min, seuil de la puissance maxi (48 ch), il s’efface avec un sourire humble et convenu, comme s’il disait « ce n’est plus de mon âge ». Sa bonne humeur parcourt quand même l’ensemble du compte-tours. Sa plage n’est pas immense, elle rappelle plutôt celle d’un gros monocylindre, mais la souplesse du vertical twin circonscrit les hoquets ou les cognements comme pourrait le faire un monocylindre. Pas de vibrations non plus dans les rétros, mais quelques-unes dans la selle. La distribution par couple conique et la boîte de vitesses renvoient, elles aussi, aux années 60, tout est pourtant beaucoup plus rond et lié, grâce des matériaux modernes, une alimentation par injection, des cylindres à quatre soupapes. La course des pistons est en revanche plus longue que sur la W1 650 de 1966 (83 mm contre 80), détail technique rare, on constate l’inverse d’habitude, les courses courtes favorisant les régimes plus élevés.
Le charme de la W ne devait évidemment pas, pour Kawasaki, émaner des abords de sa zone rouge, placée à 7 000 tr/min. J’ai roulé avec la moto d’essai pendant une semaine. Viscéralement rural dans l’âme, je l’ai vite préférée au quotidien à une autre moto que j’essayais dans le même temps, l’impressionnante Indian FTR Rally, gavée de couple, de caractère et de rires vikings. J’ai peut-être vieilli, soit, mais il n’y a pas que ça.
Les gamberges molles
La W800 offre un monde, plus encore que la Triumph Street Twin. Tout en elle respire la bienveillance, au point d’en devenir benêt. Les jantes de 18 pouces, avec leur pneu ridiculement étroit (100 de large devant, 130 derrière), l’empattement raisonnable, les suspensions caoutchouc, le frein avant simple disque à la puissance suffisante pour l’allure que la W propose, la simplicité de ce qu’on a sous les yeux, les aimables pétarades des deux silencieux chromés, j’ai adoré être stupide à son guidon.
J’ai aimé la simplicité, les gamberges molles des « suspattes » dans les petits virages, à moins de 60 km/h, les repose-pieds et la patte de béquille qui frottent alors que je ne soupçonnais quasi pas d’angle… A contrario, l’Indian
LES MONTÉES EN RÉGIME GAILLARDES SE FONT EN TOUTE DISCRÉTION
me malmenait, ou alors, c’était moi ; le conflit était permanent. Puis je prenais la W, et je souriais bêtement. J’ai même envisagé d’en acheter une. Et peut-être une casquette et une pipe. Rentrer tôt, éplucher des légumes pour une soupe maison. Relire Proust et Giono. Avoir des petits-enfants ?
Rêve de la cinquantaine
Je ne remercierai jamais assez ma femme pour cette claque dans la gueule : « Y a 20 ans, les mecs à l’approche de la cinquantaine rêvaient d’une Ducati rouge, il a bien changé, le monde ! »
J’ai chopé les clés de l’Indian, suis parti me défouler une demi-heure. Le lendemain matin, j’allais au boulot avec la W, pour la rendre le soir. Son charme vicieux m’a encore troublé. Bêta, couillon, nigaud. Une jolie campagne… Une harmonie en elle, entre la souplesse du moteur et ses suspensions, la qualité de sa finition et son confort, la facilité des demi-tours et son agilité, malgré ses 221 kg tous pleins faits. Elle invente finalement une séduction moderne, conforme à la bonne morale, la sécurité, les limitations de vitesse, la prestance d’une authenticité un peu bourgeoise. Faut garder un peu d’âme rebelle pour ne pas céder à ça, ne pas glisser dans la trappe, les rêves colorés de Disney. Un soir, j’ai quand même réussi à emmener ma femme faire un tour, louant le portepaquet (en option à 240 €), la selle large et confortable. Quelques kilomètres plus loin : « Ouais… C’est confortable, mais je glisse sur la selle au freinage. Pas question de faire une journée complète là-dessus. Franchement, tu t’amuses avec ? » Je m’amuse surtout à me voir amusé.
Prêt à céder. « Et si on achetait une maison à la campagne ? » Bref… Terminons plutôt par quelques objectives précisions. Trois W800 figurent au catalogue : la Street avec son large guidon (9 349 € Ă 1 euro pour le pack Krome, avec le garde-boue, le porteplaque, les pattes de phare, les clignos chromés), la Classic, petit guidon, avec deux badges Kawa chromés sur le réservoir et les chromes de série
(10 249 €) et la Café avec ses bracelets et sa petite tête de fourche (9 999 €). Le modèle essayé ici est une Street pack Krome avec l’option « guidon étroit et rétroviseur chromés » (300 €).
Je ne l’ai finalement pas achetée.
LA KAWASAKI W800 A INVENTÉ UNE FORME DE SÉDUCTION MODERNE