JAPONAISES DISPARUES
Après-guerre, les constructeurs japonais sont nombreux. Mais de 73 marques au début des années 50, il n’en restera que quatre, en 1963 !
L'histoire de l'industrie motocycliste japonaise et ses centaines de constructeurs disparus.
Entre 1946 et 1965, 200 marques japonaises ont disparu ! On sait vaguement que Meguro a été absorbé par Kawasaki ou que Yamaha a récupéré Showa, mais on a oublié les DSK,
Abe, IMC, Cabton (pour Come and Buy to Osaka Nakagawa), Health et autres Toyomotor ou Pointer… pour peu qu’on ait connu ces noms. En 1945, pour les vainqueurs américains, le Japon va vite représenter un énorme intérêt stratégique. Comme le sera l’Allemagne contre le communisme russe, il est un rempart contre un communisme chinois menaçant. Pas question de le mettre à genoux, donc sa reconstruction économique devient une priorité. Ainsi, le SCAP (Supreme Commander for the Allied Powers du Général MacArthur) autorise la fabrication de 1 500 camions et 350 véhicules de transport de personnes. La police se réserve les motos des années 30 d’allure très britannique à fourche parallélogramme et cadre rigide, les 500 mono culbuté Cabton ou Meguro et aussi des Rikuo (Roi de la Route) dérivées des 1200 ou 750 latérales ex-Harley utilisées durant la guerre. Ce marché « captif » de 1946 ne gonfle pas la production motocycliste qui, pour l’année, s’avère dérisoire : 252 Rikuo, 15 Miyata et cinq Showa sont produites. La Miyata (sous la marque Asahi) est une 200 deux-temps de 120 kg qui a un petit air de Zündapp des années 30, cadre en tube et fourche en embouti. Les 71 kg de la Showa 100 cm3 deux-temps lui permettent tout juste d’accéder à la catégorie « moto ». Le passage à une motorisation supérieure va se faire au moyen du… scooter. Au début des années 30, sur ordre du régime militariste japonais, les industries lourdes ont produit
POUR LES AMÉRICAINS, LE JAPON EST UN REMPART CONTRE LE COMMUNISME
des navires et des avions redoutables. Le SCAP ayant interdit dès 1945 la construction de tout engin volant, les industries « coupables » épargnées par le désastre avec des stocks de pièces, des matières premières (aluminium des avions) et des machines-outils sont à l’arrêt, de même que leurs employés et ingénieurs surqualifiés par leur ex-activité guerrière. Chez Fuji, la conversion ne tarde pas. Emprunté à l’armée, un scooter Powell à soupapes latérales et transmission automatique est disséqué et un moteur semblable est mis en chantier. Les pneus seront fournis par les roulettes de queue de bombardiers (comme Vespa). En juin 1946, Fuji propose un prototype de 135 cm3, immédiatement baptisé Rabbit. Le succès est immédiat malgré un prix égal à celui de trois ou quatre bicyclettes. Les Rabbit de plus en plus puissants et luxueux évolueront jusqu’à leur retraite en 1968, après 637 108 exemplaires produits. Le deux-roues classique a eu un décollage plus lent. En 1950, on n’a produit que 3 487 motos (dont 851 de plus de 250 cm3), contre 6 316 scooters, mais pour les besoins en matériels nécessités par la guerre de Corée qui se déclenche cette même année, le SCAP fait tourner à plein les usines japonaises et surtout, il assouplit des restrictions (essence, caoutchouc) qui handicapaient l’industrie des transports, ce dont va également profiter la moto.
La guerre encore et toujours
Cette guerre marque le début d’une envolée qui voit en 5 ans le nombre de constructeurs de motocycles passer de 23 à 150 puis à 200 en 19531954 ! Les chiffres ne cessent d’augmenter, atteignant 259 395 motos produites en 1955, date de l’armistice en Corée suivi d’une récessiondéflation, conséquence de toute fin de conflit. Les motos commencent alors à s’entasser dans les concessions et la bataille des prix fait rage. Certaines marques ne fabriquent plus qu’une demi-douzaine de machines par mois. Sans financement propre, à la merci de leurs fournisseurs, une vingtaine de constructeurs disparaissent alors que le parc des deuxroues compte plus d’un million de véhicules. La construction motocycliste des années 50 comprend trois groupes : constructeurs de machines complètes, assembleurs et fournisseurs (cadres, fourches, moteurs, etc.). Mais au sein des fournisseurs, on peut trouver des « grands », tels Mitsubishi, Meihatsu (absorbé plus tard par Kawasaki) ou Honda qui livrent des moteurs à d’autres marques. Ces derniers cessent de le faire en 1953 : désormais, quiconque voudra vendre du Honda devra commander des machines complètes
(une partie payable d’avance), ce qui va étrangler les petits assembleurs soumis aux banques qu’ils doivent solliciter pour obtenir des fonds. Honda a sorti sa première bicyclette motorisée, surnommée Bata-Bata (bruit de son moteur), en 1946, et sa première moto en 1949. Cette deux-temps Dream C de 100 cm3 à fourche télescopique et cadre en tôle embouti rivalise avec une Lilac, semblable dans sa partie-cycle mais plus moderne par son
EN 1953, HONDA CESSE DE VENDRE SES MOTEURS À LA CONCURRENCE
moteur 125 quatre-temps (à soupapes latérales puis culbutées) et sa transmission par arbre. Toutes deux tranchent dans un secteur où domine le cadre en tube mais où la fourche parallélogramme et le changement de vitesses au réservoir font de la résistance. La majorité des marques puisent leur inspiration dans la production anglaise de la fin des années 30 (canalisations d’huile extérieures et boîte séparée comprises) mais avec des dimensions réduites car les cylindrées ne dépassent pas 250 cm3. L’illusion est telle qu’une Fuji ou une Pointer de 1953 pourrait très bien figurer dans le catalogue Ariel. Mais toutes deux sont des 150 cm3 car le Japonais n’a pas soif de vitesse. Au Japon, on veut seulement rouler, malgré un réseau routier encore rustique qui entraîne la recherche d’un meilleur confort.
Prudemment, quelques marques s’en tiennent à la suspension arrière coulissante, comme sur la 3E 150 cm3 de Honda, qui ne néglige pas pour autant la bicyclette motorisée. Sous le nom de Cub, ils proposent un 50 qui va bientôt inonder le pays et déborder en Asie. Astucieusement, Honda s’est directement adressé à 50 000 négociants du cycle, leur proposant le Cub à 19 000 yens pour qu’ils le revendent 25 000. C’est trois fois le salaire moyen d’un employé japonais, mais le paiement peut s’effectuer sur 12 mois. La réussite de ce Cub va diminuer encore un peu plus le nombre de constructeurs de bicyclettes motorisées. Nullement découragées, d’autres marques signent de vraies fantaisies techniques. Ainsi, ce 90 au nom indéchiffrable, sorte de gros vélo mais avec un moteur ACT (!) et une dynamo d’éclairage sur le pneu avant. De son côté, Arai (rien à voir avec les casques) s’inspire de Guzzi avec un 90, aussi ACT, monté dans une partie-cycle copiée sur la Guzzino 65 à suspension arrière oscillante.
Arbre à cames en tête
Outre les Rikuo 750 et 1200 qui se civilisent, les têtes brûlées peuvent choisir une 350 ABE au curieux bicylindre culbuté en V disposé « à la Terrot » d’avant 1914. Il y a aussi les
500 Cabton et Meguro qui flirtent avec les 100 km/h. On s’en tient à des puissances modestes, mais Honda n’a pas encore lancé la technique révolutionnaire qui va faire sa gloire : les hauts régimes moteur avec l’arbre à cames pour tous et sur tout ! Pourtant, 1953-1954 voit fleurir l’arbre à cames en tête (ACT) au Japon. Le mouvement touche une douzaine de marques mais s’apparente plus à une mode sous l’effet de la concurrence qu’à une recherche de progrès technique (le contraire de Honda). En effet, les Sanyo, Showa ou Portly 150 cm3 à ACT ne sont pas plus puissants que des culbutés (Pointer) ou des deux-temps de même cylindrée (Tohatsu). De plus, la commande d’ACT par chaîne située au flanc du cylindre sur la plupart de ces moteurs n’améliore ni leur homogénéité, ni leur esthétique. Copier reste à l’ordre du jour mais, quitte à le faire, autant copier ce qu’il y a de meilleur, et pour l’heure, le meilleur en petite cylindrée se trouve en Europe, chez NSU. Sous le nom de Benly, Honda lance en 1953 une copie carbone de la NSU 90 Fox née en 1949. Cette J est différente de l’originale par sa fourche télescopique et un bloc caoutchouc en place du ressort de suspension arrière. Elle fera une petite carrière en 140 cm3, devenue JA avec une oscillante arrière à amortisseurs séparés. Futur poids lourd, Suzuki a emprunté la filière bicyclette à moteur en 1952 avec la Diamond Free, puis a commercialisé une Power Free de 36 cm3.
Deux ans plus tard, ils passent à la CO, une 90 cm3 4-temps, présentée pour la première fois sous la bannière Suzuki au lieu des SJK ou Colleda utilisés précédemment. En 1955, apparaît une 125 ST au moteur deux-temps, cycle qui restera pour longtemps le favori de Suzuki. Yamaha saute le pas de la bicyclette motorisée en 1955 et débarque avec sa Red Dragonfly, franche copie de la 125 DKW. Encore un choix allemand qui, rappelons-le, a aussi tenté Harley-Davidson, BSA, et une poignée de marques russes, polonaises et chinoises. Bombardée en juin 45, l’usine d’aviation Kawasaki est reconstruite en 1946 et lance, quelques années plus tard, un moteur 150 cm3 (quatretemps) si prometteur que Meihatsu, une filiale du groupe, va en équiper un scooter. C’est un échec car Rabbit et Silver Pigeon tiennent le marché.
Suit en 1955 une moto
LES JAPONAIS PROPOSENT D’ABORD DES COPIES DE MOTOS ANGLAISES
Meihatsu 125 deux-temps dont le moteur KB-5 est également livré à Rocket et Ito (IMC). Puis Kawasaki louche sur Meguro en difficulté. D’abord associé, Meguro est ensuite absorbé en 1964 par Kawasaki qui reprend sa twin 500, que l’Europe connaîtra sous le nom de W1 en 650 cm3.
Quelques quatre-temps
Exception à l’hégémonie des deux-temps, DSK et Lilac proposent une copie de la
BMW R25, tout comme Rikuo. Mais cette dernière est une 350 avec une oscillante arrière, alors que l’originale en est encore à la coulissante. Dans les cylindrées supérieures, Cabton surprend avec une 500 vertical-twin dont ils sont allés chercher le modèle chez Indian et sa Warrior aux tiges de commande des culbuteurs disposées devant et derrière les cylindres si caractéristiques. Ce type de moteur se retrouve chez Ito mais en 250, comme sur une Tsubasa : à copieur, copieur à demi ! Les 250 à soupapes culbutées résistent à la poussée des 2- temps de 125 ou 150 cm3 mais la lutte devient rude. Le bicylindre n’est toutefois pas la panacée, car Liner (Kitagawa Motor Cycle Industrial) a choisi de « cloner » en 250 cm3 la 500 Sunbeam twin en tandem, mais obtient une moto lourde et poussive. Il est vrai que l’ACT d’origine a été remplacé par de simples culbuteurs… Erreur rectifiée l’année suivante où cette TW revient en ACT sans maigrir pour autant.
Elle disparaîtra en 1957, munie d’une oscillante arrière et d’une fourche type Earles. L’arbre à cames en tête est un adepte de poids lorsque Honda présente en 1955 sa
250 SA mono vertical ACT dont la chaîne de commande passe dans un tunnel pratiqué dans le cylindre. Sur l’établi, remettant son ouvrage, Honda finira par présenter en 1957 une 250 C70 plus puissante que la Suzuki 250 Colleda twin deux-temps ! Alors que les autres marques se détachent peu à peu de l’école germanique, Honda conserve le cadre en poutre-coque emboutie et un moteur en porte-à-faux taillé à la serpe. La fourche à biellettes (voir Adler) est aussi emboutie, englobant le phare à la parabole presque carrée.
Cette Honda résume assez bien ce qu’on peut considérer comme le « style japonais » de la moto à cette époque : garde-boue enveloppants, carter de chaîne étanche, long(s) silencieux, bloc moteur avec sélecteur au pied gauche, capotage protégeant le carburateur, nacelle de phare et… clignotants. Concernant la suspension arrière, l’oscillante arrière règne en majorité, comme chez Pointer, Showa, Hirano, Emuro, certaines Lilac et même sur la Yamaha 250 YD 1. Les variantes portent sur la suspension avant, partagée entre télescopique et type à roue poussée sur biellettes (Honda, Pointer) ou Earles (Suzuki, Liner, Yamaguchi). En 1960, Honda caracole en tête avec 649 243 machines produites sur un total de
1 472 589, dans un paysage industriel jonché de cadavres. Au début des années 50, il existait encore 73 marques, dont 31 construisaient des motos complètes, moteur et cadre ; 25 achetaient leurs moteurs ; 8 les produisaient mais faisaient appel à des fournisseurs pour le reste des pièces. Les autres étaient des assembleurs. En 1962, ils ne sont plus qu’une quinzaine de constructeurs, dont Olympus qui tire bientôt sa révérence en signant une superbe 350 deux-temps à trois cylindres horizontaux. Une autre demi-douzaine disparaît en 1963, et il n’en reste que quatre après la disparition de Tohatsu et le rachat de Meguro par Kawasaki, tandis que Bridgestone cessera son activité sur injonction des 4 grands à qui le manufacturier vendait des pneus… Les partisans de l’école britannique (monocylindre culbuté, boîte séparée), Meguro, Cabton et Hosk (qui a signé aussi un très beau vertical-twin 500), tiennent encore la rampe mais pour peu de temps. Ils se consoleront avec une victoire posthume car, dans les trois ou quatre années qui suivent, tout le monde – y compris les « quatre » – va adopter ce qui faisait une part de leur singularité : le cadre en tube et la fourche télescopique. ✦
LES HONDA INITIENT CE QUE L’ON PEUT APPELER LE STYLE JAPONAIS