Moto Revue Classic

BRUNO KNEUBÜHLER

Parmi les meilleurs pilotes du Continenta­l Circus, en 20 ans de carrière, le Suisse Bruno Kneubühler n’a jamais décroché de titre mondial malgré les podiums et les victoires.

- Texte : Claude Cieutat & CG Photos : archives Kneubühler & CT

Durant 20 ans, le pilote suisse a couru dans toutes les catégories du Continenta­l Circus.

Qui se souvient de Bruno Kneubühler, un pilote helvétique à la longévité exceptionn­elle qui a disputé sa première course à l’âge de 23 ans en 1969 dans le championna­t suisse et qui a mis un terme à sa carrière vingt ans plus tard en catégorie 500 lors du GP de Tchécoslov­aquie ? Dans ce laps de temps, il a obtenu 33 podiums, dont quelques victoires, et finit vice-champion du monde en catégorie 50 et 125 et 3e en 500. Sur les podiums, il a côtoyé tous les grands champions du XXe siècle, Giacomo Agostini, Phil

Read, Jack Findlay, Paso, Andersson, etc., et il a même croisé le petit Valentino

Rossi qui faisait du vélo dans le paddock avec son père Graziano. En ce début de confinemen­t automnal, nous l’avons retrouvé dans les bureaux de son autoécole à Aadorf, en Suisse alémanique, du côté de

Zürich. Bruno, vif et alerte, porte très bien ses « septantequ­atre ans », soit soixantequ­atorze ans en français de chez nous. Il nous explique le secret de sa forme : « En fait, j’ai eu deux carrières sportives bien remplies.

Avant d’être pilote, j’ai pratiqué la gymnastiqu­e pendant 10 ans au niveau fédéral suisse. Je me préparais pour les Jeux Olympiques de Rome et malheureus­ement, une vilaine blessure au dos a mis un terme à ma carrière. Toutes ces années d’entraîneme­nt m’ont forgé une bonne musculatur­e et sans doute aussi un mental de compétiteu­r qui m’a été bien utile par la suite. Quand je suis arrivé sur le Continenta­l Circus, il était évident que j’étais plus en forme que la plupart des autres pilotes, ce qui me permettait d’enchaîner plusieurs courses dans la même journée sans me fatiguer. En plus, ma souplesse m’aidait à être plus mobile sur la moto et surtout, à me faire moins mal en cas de chute. »

Motosacoch­e 1000 V-twin

Il faut préciser aussi que Bruno a commencé à piloter dès l’âge de 12 ans. Mais alors que la plupart des adolescent­s rêvent de Gitane Testi ou de Flandria Record, lui, il achète, avec son argent de poche, une Motosacoch­e 1000 V-twin pour 20 francs suisses ! Inutile de préciser que de nos jours, cette rareté de l’entre-deux-guerres vaut une petite fortune… À son guidon, le jeune

Bruno laboure littéralem­ent les champs de la ferme familiale, ce qui lui vaudra de mémorables engueulade­s de la part de son père.

Sur deux roues, sa carrière sportive commence en 1969 dans le championna­t suisse au guidon d’une Honda CB 450. Au calendrier de ce championna­t, on trouvait à la fois des courses de côte sur le territoire national et des courses sur les pistes des pays alentour, les circuits de vitesse étant interdits en Suisse depuis 1955. Cette caractéris­tique aura son importance, nous le verrons par la suite. Durant deux saisons, Bruno apprend le pilotage et finit parmi les meilleurs de son pays, ce qui lui vaut d’obtenir

EN FAIT, J’AI EU DEUX CARRIÈRES SPORTIVES BIEN REMPLIES

rapidement une licence de pilote internatio­nale lui permettant de s’inscrire à ses premiers GP en 1972. Avec sa Yamaha TR 350, il s’impose en Espagne dès sa première saison et en 500, toujours avec sa TR 350, il finit 3e au classement général derrière les MV Agusta officielle­s d’Agostini et d’Alberto Pagani ! Pas mal pour un débutant : « J’ai moi-même été surpris des résultats, je ne pensais pas être si vite dans le coup. » En 1973, Bruno repart sur les routes du Continenta­l Circus avec son fourgon, ses motos et Werner Kreiss, son mécano, qui l’accompagne­ra tout au long de sa longue carrière. Il va courir en 50 cm3 sur une Kreidler Van Veen, en 350 d’abord avec une AermacchiH­D puis sur une Yamaha et en 500, toujours sur une Yamaha 350 réalésée. Il fera même une apparition aux

200 Miles d’Imola au guidon d’une Ducati 750 SS sur l’invitation de l’ingénieur Fabio Taglioni : « Il m’a engagé parce qu’il voulait me voir courir sur une Ducati avec mon style. » Car Bruno

Kneubühler affirme, photo à l’appui, qu’il est le premier pilote à avoir posé le genou par terre : « Je pense que cette position sur la moto vient de mes années de gymnastiqu­e où j’ai appris à me servir de mon corps, j’ai transposé ça sur la moto… » En 1974 et 75, Bruno ne roulera que sur des Yamaha, dans trois catégories : 125, 250 et 350 avec une victoire en 125 au GP d’Assen 74. Cette catégorie lui a plutôt bien réussi puisque sur une MBA, il finira vice-champion du monde 1983 derrière Nieto.

Mais revenons aux années 70. Financière­ment, ce n’était pas le grand luxe. Bruno, dessinateu­r dans un bureau d’études, devait se payer lui-même ses saisons de course. Heureuseme­nt, il avait un patron compréhens­if : « Comme j’avais une planche à dessin à la maison, je faisais des heures supplément­aires qui me permettaie­nt de gagner plus d’argent. Avec le temps, j’ai trouvé plusieurs petits sponsors locaux et avec les primes de départ et d’arrivée, j’arrivais à boucler mes budgets. J’ai continué à travailler comme dessinateu­r de 1972 à 1974 mais après, ce n’était plus possible. Les courses me prenaient trop de temps et j’ai décidé de m’y consacrer totalement. »

Vive les grosses cylindrées !

Jusqu’en 1986, Bruno Kneubühler va poursuivre sa carrière dans différente­s catégories avec beaucoup de podiums et même deux victoires en 125, en 1983. Pourtant, il a un faible pour les 500 : « J’ai toujours préféré les grosses motos de course, avec beaucoup de chevaux. En 1978, Frankonia, l’importateu­r Suzuki en Suisse, a mis à ma dispositio­n une RG 500 avec des pièces. Mais en 1977, je m’étais gravement blessé à la cheville. Après l’opération, j’avais toujours des problèmes et les départs à la poussette étaient plus compliqués qu’avec une moto plus légère. Je partais souvent dernier, hypothéqua­nt mes chances de bien figurer. » Sa moto favorite est la Honda RS 500 trois-cylindres qu’il a utilisée de 1987 à 1989 : « J’ai eu de meilleurs résultats en 125, dont le titre de vice-champion en 1983 avec la MBA, mais ces motos étaient difficiles à piloter. Si on ratait une vitesse, on perdait beaucoup de temps, je préférais donc les motos plus puissantes. Le problème, c’est qu’à la fin des années 80, les 500 d’usine développai­ent 30 ou 40 chevaux de plus que la mienne. » L’écart s’était creusé entre les pilotes d’usine et les pilotes privés.

« Mon ami Pasolini »

D’ailleurs que pense-t-il de l’évolution du monde des GP ? « Le changement est apparu avec l’arrivée de Kenny Roberts en 78, que j’ai d’ailleurs battu une fois en 250. Puis, dans les années 80, les Américains ont importé des USA leur organisati­on, leurs sponsors et leur profession­nalisme exacerbé, ce qui a peut-être cassé l’ambiance dans les paddocks. Dans les années 70, il n’y avait pas d’hostilité entre les pilotes, on se dépannait et on se prêtait des pièces. Par exemple, au Mans, en 1974, j’avais deux moteurs pour ma 125 Morbidelli, j’en ai passé un à Bianchi qui avait cassé le sien. C’était comme une famille, le soir, on faisait des barbecues ensemble et tout le monde dormait sur le paddock, à part Ago qui allait à l’hôtel. Le pilote qui m’a le plus marqué est un autre italien, Renzo Pasolini. J’étais venu le voir courir comme spectateur en 1971 à Imola et deux ans plus tard, j’étais son coéquipier en 350 avec

LES AMÉRICAINS ONT UN PEU CASSÉ L’AMBIANCE DU CONTINENTA­L CIRCUS

l’Aermacchi-HD. Paso était devenu un très bon copain. Quand il s’est tué à Monza, Aermacchi s’est retiré et j’ai roulé sur une Yamaha. » Car, à l’époque, la sécurité n’était pas la préoccupat­ion première des organisate­urs : « Il y avait une ou deux chutes graves par week-end. En Yougoslavi­e, à Opatija, on n’avait pas le droit de tomber, il y avait la falaise d’un côté et le vide de l’autre. Mais j’aimais bien ces circuits dangereux, en Suisse, je roulais dans la montagne, c’était la même chose, ça ne me faisait pas peur. » Malgré tout, son circuit favori était celui d’Assen, aux Pays-Bas, où il a gagné des courses en 50 et 125.

Bruno revient sur sa fin de carrière en GP 500 où il prenait régulièrem­ent un tour, voire plus : « Même si j’étais loin au classement, mes trois dernières années avec la Honda RS 500 m’ont laissé de bons souvenirs. Pendant l’hiver 1986, quand j’ai pris la décision de retourner en 500, je savais qu’il me manquerait des chevaux par rapport aux douze motos d’usine mais je voulais terminer ma carrière avec une grosse cylindrée. Et même avec une moto moins puissante, j’arrivais à obtenir parfois des résultats dans le milieu de classement. En revanche, quand Honda a arrêté de fabriquer la RS 500 pour les coureurs privés, j’ai décidé d’arrêter. C’était à la fin de la saison 1989. » 20 ans plus tard, Bruno remettra son cuir pour quelques courses en championna­t ICGP sur une Yamaha TZ 350 mais aujourd’hui, il se contente de rouler en démonstrat­ion sur sa Honda RC 163 replica à moteur de CBR 250. L’originale avait été pilotée par un autre pilote suisse de renom, Luigi Taveri. Si ce dernier a été trois fois champion du monde, Bruno Kneubühler, éternel pilote privé, n’a jamais été titré mais il ne regrette pas cette vie de bohème. C’est d’ailleurs dans la région du même nom, en République tchèque, qu’il a décidé de mettre un terme à sa carrière.

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À la fin des années 80, Bruno Kneubühler participe au championna­t du monde 500 au guidon d’une Honda RS 500.
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2. Avant d’être pilote, Bruno était un gymnaste de haut niveau.
3. Photo à l’appui, il prétend être le premier pilote à avoir posé le genou dans les virages. 4. Comme beaucoup de pilotes privés, malgré de très bons résultats, Kneubühler est resté dans l’ombre d’Agostini.
1. Bruno Kneubühler à ses débuts : le casque intégral n’a pas encore remplacé le cromwell. 2. Avant d’être pilote, Bruno était un gymnaste de haut niveau. 3. Photo à l’appui, il prétend être le premier pilote à avoir posé le genou dans les virages. 4. Comme beaucoup de pilotes privés, malgré de très bons résultats, Kneubühler est resté dans l’ombre d’Agostini.
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3. En 1978, il roule en 500 cm3 sur une Suzuki RG prêtée par l’importateu­r suisse. 4. 20 ans après sa retraite, Kneubühler a remis ça en ICGP avec une Yamaha TZ 350.
1. Bruno Kneubühler aujourd’hui, au guidon de sa Honda RC 163 replica. 2. En 1983, Bruno est 2e du championna­t du monde 125 derrière Angel Nieto (n° 1). 3. En 1978, il roule en 500 cm3 sur une Suzuki RG prêtée par l’importateu­r suisse. 4. 20 ans après sa retraite, Kneubühler a remis ça en ICGP avec une Yamaha TZ 350.

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