STILE ITALIANO
L’atelier transalpin de référence va cesser son activité. Son créateur, Gianluca Tiepolo, revient sur vingt années d’activité.
Le célèbre atelier italien va hélas fermer ses portes.
Depuis plus de 20 ans, Stile Italiano, un atelier basé à Pordenone, près de Padoue, est une institution. Et pourtant, Gianluca Tiepolo, son fondateur, a annoncé sa fermeture définitive en février prochain.
Quand on parle de « motos spéciales », comme disent les Italiens, on pense aussitôt à cette enseigne, l’une des plus emblématiques et des plus renommées de la scène transalpine, la pierre angulaire du café racer à l’italienne. Si Tiepolo et son partenaire Cristian Diana sont restés fidèles à leurs liens avec les motos du passé et pourtant, ils ont toujours été en avance sur les autres, grâce, par exemple, à leur série limitée Ducati Imola
TSI 900 et aux bobbers Greasemonkey. Les lecteurs de MR Classic ont découvert leur savoir-faire avec la Harton, une bitza à moteur Harley-Davidson 1200 dans un cadre Norton Featherbed (cf. MR Classic n° 86).
L’atelier a été fondé un 9 septembre, soit le 9.9.99 si vous attachez de l’importance à la numérologie, dans les années où Tiepolo faisait des allers-retours entre Pordenone et l’Angleterre avec sa camionnette pour acheter et vendre des motos et des pièces détachées. Après un accident avec sa Moto Guzzi V7 Sport, il s’est décidé à la transformer café racer dans son garage. À partir de cette V7, la renommée et la taille de l’entreprise se sont développées jusqu’à l’ouverture d’une somptueuse salle d’exposition à Abano Terme, près de Padoue, avec un musée Laverda attenant.
Rupture inévitable
Ces quatre dernières années, c’est Loris Lessio, un mécanicien de talent, qui a construit toutes les « spéciales ». Et Tiepolo dit d’elles que ce sont les plus belles. Ces machines sont toutes habillées d’un ensemble selle/réservoir en aluminium, comme la Ducati Caracchi Tribute, un hommage au fameux atelier NCR, ou la Norvin 1140 CR. La dernière-née est la Crossover BMW sur base R100 GS, une spéciale à utiliser tous les jours. « Nous avons choisi la monocoque en aluminium parce que je suis un obsédé de perfection esthétique, explique Tiepolo. Même sur les motos qui étaient belles, je remarquais toujours une rupture, un écart inévitable dans sa ligne. La seule solution était l’ensemble selle/ réservoir, que nous avons conçu et fabriqué à la main en aluminium, même si cet élément fait augmenter à lui seul le coût de la moto de 50 %. Un exemple : pour la rendre la plus harmonieuse possible, la monocoque de la Ducati Caracchi a été refaite six ou sept fois... » Parmi les quelque 70 spéciales construites, toutes en parfait état de marche, plus les classiques
L’ATELIER ÉTAIT RESTÉ FIDÈLE AUX ANCIENNES
restaurées, Tiepolo aimerait que Stile Italiano reste dans les mémoires pour ceux qui ont l’esprit d’avant-garde. Comme les motos qui font partie de son panthéon personnel : la Vyrus 985 et les Vincent Serie B (il possède l’un des 18 modèles fabriqués en 1946) et C. Et puis la Britten V 1000 : « J’ai eu entre les mains la première version, la jaune et noire, que j’ai démontée de mes propres mains et vendue aux ÉtatsUnis. » Car, depuis quelques années maintenant, Stile Italiano vend des motos de course « haut de gamme » à des collectionneurs fortunés. Et pour cette activité, pas besoin de magasins : en tant que courtier, Tiepolo a vendu une vingtaine de MotoGP, dont la valeur se situe entre 300 000 et 1 million d’euros. Mais alors, les amateurs de motos spéciales se sontils tournés vers les motos classiques ? « Non, Je pense qu’il y a de moins en moins de motards et de plus en plus de collectionneurs. C’est à la fois une question d’âge et de mentalité. Par rapport aux années 90, il y a très peu de spéciales et de classiques qui roulent en Italie, bien qu’au moins deux fois par semaine, vous puissiez les utiliser tranquillement, même en ville, comme c’était le cas avant. Le coup de grâce au marché des spéciales a été porté par les “customisateurs d’Instagram” et les fabricants de motos qui ont mis la main sur le style classique, facilitant la vie de ceux qui roulaient sur des motos plus authentiques. » Ceci, ajouté à la crise systémique qui a frappé la classe moyenne italienne, explique pourquoi,
de l’autre côté des Alpes, les professionnels qui vivent exclusivement de la vente de spéciales se comptent sur les doigts d’une main.
Projet Greasemonkey
Et le boom d’il y a dix ans, initié par Deus Ex Machina ? « Plus qu’une bulle, c’est une blague. Avant, il y avait la sous-culture café racer et nous venons de là. Puis vinrent les bobos (Gianluca parle de « radical chic ») qui ont ouvert des ateliers pour s’amuser. La sous-culture appartient au motard qui construit, ou se fait construire, une moto pour rouler avec. Le reste, c’est un monde dans lequel il faut absolument se montrer pour exister. » Il est vrai qu’à l’inverse, Stile Italiano a toujours oscillé entre l’Italie et l’Angleterre, entre les années 60 et 70. Et pour élargir l’horizon, en 2009, le projet Greasemonkey a été lancé. La première création fut la T100 Boy Racer, un bobber vintage qui conserve les proportions et le cadre de la Triumph originale, mais avec un cadre rigide. « J’ai un bon souvenir de Greasemonkey, parce que je l’ai commencé avec quelqu’un que j’aime beaucoup, le photographe
Max Trono (l’auteur des photos de cet article, ndlr). L’idée était d’importer, en
Italie, le chopper sportif sur base Triumph, un concept très californien mariant le custom à l’américaine et la culture classique européenne. Cela n’a pas fonctionné, pour les raisons que j’ai expliquées et à cause des limites de production et de commercialisation liées à notre taille. » Avant cela, en 2002, il y a eu une autre série spéciale plutôt liée à la tradition sportive italienne, s’inspirant de la fameuse Ducati 750 SS qui a remporté les 200 Miles d’Imola en 1972. Stile Italiano en a construit cinq. Le cadre double berceau interrompu a été confié à Taraky, un excellent artisan italien. Dedans était monté un moteur moderne de Monster. « Un ingénieur de chez Ducati venait souvent dans notre atelier à Padoue pour voir ce que nous faisions et deux ans plus tard, ils ont présenté le Sport Classic. » Du côté de Pordenone, durant ces 20 années, les activités autour de la mécanique ont été multiples. Stile
Italiano a même participé au championnat italien Superstock et au championnat de voitures historiques. C’est aussi pour cette raison qu’ils ont décidé qu’il était temps de faire autre chose. Mais dans le garage de Gianluca, la première V7 Sport café racer continue de tenir compagnie à la Vyrus, la Ducati Imola et aux autres motos qui ont écrit l’histoire de Stile Italiano.
IL Y A 10 ANS, LES BOBOS ONT OUVERT DES ATELIERS POUR S’AMUSER...