TRITON 800 WILLIAMS
En intégrant des feux de Buick Riviera et en choisissant une peinture d’avion de chasse Sabre, Dave Williams a créé une Triton étonnante et typiquement américaine.
Alan Cathcart est allé essayer une étonnante Triton aux États-Unis.
Dave Williams, Gallois de 58 ans installé aux États-Unis, a mis 4 ans pour se construire cette Triton très personnelle. Avant de se lancer dans ce projet, Dave avait déjà restauré une Triumph T120 R de 1968 qui a obtenu 99 points sur 100 lors d’un concours organisé par l’Antique Motorcycle Club of America, en clair le moto-club américain de motos anciennes. « J’ai également rénové une Bonneville de 73 puis une Tiger de 70 avec laquelle j’ai gagné de nombreux prix, précise Dave. Mais avec la Triton, j’ai voulu construire quelque chose de plus personnel en profitant d’une certaine liberté car personne ne peut dire “cette pièce n’est pas originale” ou “votre couleur est trop sombre”. En effet, avec une Triton, tout est possible ! » Avant de travailler le bois – son boulot actuel –, Dave Williams était carrossier pour un garage spécialisé dans les voitures de collection. Façonner le métal et le peindre n’est donc pas un problème pour lui. Son idée était donc d’adapter ses compétences en carrosserie sur une moto pour créer la Williams-Triton, un café racer britannique des années 60, mais made in USA. Et pour obtenir ce résultat, Dave a travaillé dessus 20 heures par semaine pendant quatre ans. Faites le compte ! La Williams-Triton est équipée d’un cadre Norton Wideline Featherbed de la fin des années 50, qui, selon notre homme, est un modèle original et pas une réplique. Si le numéro de série a été supprimé, c’est peut-être pour des raisons d’immatriculation car il a sûrement traversé la frontière canadienne pour entrer aux États-Unis. Toujours est-il qu’il est arrivé sans bras oscillant et Dave s’est donc procuré un élément de Triumph T140. À l’avant, on trouve une fourche Marzocchi de Benelli 650 Tornado de 1973 avec son tambour Grimeca 4 cames. Il faut aussi noter la béquille centrale, véritable oeuvre d’art que Williams a conçue et fabriquée lui-même et qui se déplie lorsque vous appuyez sur la pédale avec votre pied. Très astucieux. Par ailleurs, Dave a refait le moteur T120 R Bonneville de 1962 qui était
en piteux état : « Quand je l’ai eu, tout était en vrac, le vilebrequin et les cylindres étaient démontés et il manquait quelques pièces. »
Angloaméricaine
Il en a profité pour le modifier en installant un kit « gros alésage » de 800 cm3 (fabriqué par Sonny Routt dans le Maryland), qu’il a dû adapter en alésant les carters qu’il avait auparavant reconditionnés.
Il a aussi monté un vilebrequin monobloc provenant d’une Triumph 750 cm3. Le vilo a été équipé de bielles en alliage avec des pistons HC forgés, des pièces provenant de chez MAP en Floride. La culasse Bonneville a gardé ses soupapes d’origine mais elles ont été montées avec des ressorts S&W et l’arbre à cames est signé Megacycle, encore des pièces américaines. Les carburateurs Amal sauvent l’honneur britannique. Tout comme l’allumage électronique SRM fabriqué à Aberystwyth, au Pays de Galles, la terre des ancêtres de Dave ! Cet allumage est habilement dissimulé dans la coque d’une magnéto Lucas K2F d’époque afin de garder un aspect ancien. Notez aussi que le moteur et la boîte de vitesses ont été montés dans le cadre Norton à l’aide d’un ensemble de platines provenant de
« Unity Equipe », toujours au Royaume-Uni. Ainsi préparé, le gros twin développe environ 50 ch à la roue arrière avec l’aide d’une boîte de vitesses à cinq rapports provenant d’une Triumph T140. Moteur et boîte sont associés par le biais d’une moderne transmission primaire par courroie Bob Newby. La paire de pots d’échappement fabriquée par Dave dispose d’une petite coquetterie, à l’intérieur de chaque silencieux se trouve une hélice : « La seule
SUR UNE TRITON, PAS BESOIN DE SE PLIER AUX EXIGENCES DES INTÉGRISTES
chose qui ne va pas, c’est que je ne les vois pas tourner quand je roule », plaisante-t-il.
Buick Riviera 1965
À ce stade, vous allez me dire que cette préparation est certes soignée mais plutôt classique, et vous aurez raison. Le design de la moto, en revanche, n’est pas commun. « Après la restauration de ma Buick Riviera de 65, il me restait ses typiques enjoliveurs de phare et j’ai eu l’idée de les incorporer dans le réservoir comme feux de signalisation. » Pas commun, effectivement, mais très américain. « J’ai donc pris du fil de fer et j’ai fabriqué une ébauche en 3 dimensions pour voir s’il y avait de la place pour installer le vrai réservoir sous un faux qui accueillerait ces feux. Ça m’a semblé OK et je me suis lancé dans la fabrication du réservoir d’essence. Ensuite, j’ai travaillé la tôle avec une roue anglaise pour créer une enveloppe autour du réservoir. J’ai fait en sorte qu’il s’adapte aux deux boucles supérieures du cadre de la moto, puis j’ai installé les enjoliveurs chromés avec les feux de signalisation derrière eux, face à l’avant. Je voulais créer une sorte de forme organique qui pourrait permettre à la moto de s’envoler. » Vraiment pas commun ! Et le mélange de composants organiques et géométriques se retrouve sur d’autres parties de la moto. Regardez le réservoir d’huile derrière les longs cornets des carburateurs. Dave a aussi fabriqué ces derniers et les a ajustés pour permettre de monter deux autres enjoliveurs de Riviera dans le réservoir d’huile qui, lui-même, se loge dans les boucles arrière du cadre. Du grand art moderne. Dave a également réalisé la
CETTE TRITON EST UN HOMMAGE À L’INDUSTRIE MÉCANIQUE AMÉRICAINE
selle monoplace de la Triton et là encore, un autre enjoliveur de Buick sert de cache pour les clignotants et le feu arrière. Mais ce n’est pas fini, les caches latéraux sont ajourés et portent l’Union Jack de chaque côté : Dave aurait pu ajouter le Stars & Stripes ! Last but not least, la décoration de la moto, gris argent avec des éclairs jaunes et des carreaux jaunes et noirs, provient de l’avion de chasse North American F86 Sabre qui a marqué l’arrivée aux États-Unis de l’ère des avions à réaction en même temps que les années Triton, dit Dave. Il est fou, ce Gallois ! Trêve de bavardages, allons rouler. En montant sur la Triton, j’ai redécouvert la position typique des café racers des années 60.
On doit tendre les bras pour atteindre les guidons bracelets, qui, grâce à leur col-de-cygne, sont placés assez haut, et évitent ainsi de provoquer des crampes dans les épaules. La paire de compteurs classiques d’origine Triumph est montée sur une plaque incurvée sur laquelle se trouve une rangée de cinq voyants assez lumineux pour être visibles au soleil. Ce qui n’est pas du tout habituel, c’est cette masse de métal qui se trouve devant vous et sur laquelle vous devez coller votre buste en tendant les mains vers le guidon. Ceci dit, les échancrures pour les genoux finissent par donner l’impression que la Triton est assez mince. Ce qui, en dépit du cadre Wideline, est effectivement le cas. Le bicylindre démarre au premier coup de kick, grâce au faible taux de compression et à la carburation apparemment bien réglée, puis se stabilise à un ralenti paresseux de
800 tr/min, tandis que les deux échappements délivrent ce bourdonnement qui reste la signature musicale d’un twin Triumph calé à 360 degrés. Et tout ça avec les hélices qui tournent à l’intérieur des mégaphones ! Grâce à la cylindrée de 804 cm3 de la Williams Triton, tous les avantages du gros bicylindre britannique sont là, mais sans les inconvénients. Le couple est énorme mais le moteur ne rechigne pas à prendre des tours. À l’opposé, même avec
l’arbre à cames plus sportif, le moteur reprend à partir de 1 500 tr/min, sans l’aide de l’embrayage, comme les pilotes de café racer des années 60 avaient tendance à le faire. À partir de ce régime et jusqu’à un peu plus de 4 500 tr/min, le twin peut s’exprimer, le couple supplémentaire permettant une accélération dès les bas régimes et une excellente reprise sur les moyens régimes. 4 000 tr/min au compte-tours permettent de rouler à 70 km/h en cinquième, et bien que l’on ressente quelques vibrations au-delà, c’est tout à fait supportable. On est loin des bicylindres Weslake de course que j’ai essayés et qui vous font sauter les plombages ! À ma grande surprise, la Triton était assez facile à utiliser en circulation, le seul inconvénient étant la manière dont la pédale de kick s’enfonçait sans ménagement dans ma jambe droite…
Wideline Featherbed
Mais le moteur, puissant et souple, associé à un embrayage progressif, fait qu’un trajet urbain n’est pas une torture. Et en plus, cette machine unique fait tourner toutes les têtes ! Mais c’est sur la route que la Triton excelle : le cadre Wideline Featherbed ne s’est pas forgé sa réputation par hasard, et la stabilité supplémentaire – grâce à l’empattement long (1 525 mm) obtenu par la combinaison de la fourche italienne et du bras oscillant de Triumph T140 – n’a pas trop affecté l’agilité de la Triton dans les virages serrés des collines de l’Alabama. Notez qu’avec une fourche Roadholder et un bras oscillant Norton, l’empattement n’est généralement que de 1 410 mm, cela fait une différence énorme. Mais ce café racer reste très agile dans les virages serrés grâce à son faible poids. On découvre seulement un reste de sousvirage juste pour vous rappeler que la roue avant est de 19 pouces, et ce sous-virage
est facile à corriger grâce à une direction légère et précise. Je sais que c’est devenu un cliché mais réellement, aucun cadre de moto n’a jamais offert la tenue de route du Featherbed, avant bien sûr ceux de l’ère moderne et des suspensions qui vont avec. Le cadre de cette Triton a complètement répondu à mes attentes. La fourche Marzocchi permet d’éliminer les bosses et les imperfections de la chaussée, et les amortisseurs Hagon fonctionnent très correctement. Bref, en conduisant la Williams Triton sur les routes de campagne sinueuses, cette machine est apparue étonnamment moderne, non seulement en raison de la qualité des suspensions mais aussi du fait de l’excellente adhérence des pneus Avon. L’inconvénient est que l’on découvre assez rapidement que le levier de la béquille centrale est réglé trop bas et dès que l’on attaque un peu – comme il se doit avec un café racer –, il a tendance à frotter sur le tarmac. Pas très rassurant. Heureusement, vous constaterez qu’il n’est pas nécessaire de tirer trop fort sur le levier pour que le Grimeca freine vos ardeurs, bien aidé par le tambour arrière BSA/Triumph. Dans les années 1950, l’Italie a connu un engouement pour l’imitation des soucoupes volantes à travers le design des voitures et des motos. Alfa Romeo et MV Agusta ont d’ailleurs tous deux fabriqué un modèle dit
« Disco Volante » et cette folie douce et passagère a bien des points communs avec Dave et sa Williams-Triton. Il fallait simplement oser, et il l’a fait. Tant mieux, d’autant qu’il n’a pas sacrifié les performances de son café racer sur l’autel du style. Bien au contraire.
LE COMPORTEMENT DE CETTE TRITON EST ÉTONNAMMENT MODERNE