JEAN-CLAUDE CHEMARIN
Jean-Claude Chemarin, associé « historique » de Christian Léon chez Honda de 1977 à 1980, a achevé sa carrière en endurance avec Kawasaki en 1982.
Après Honda, Jean-Claude Chemarin a passé deux ans chez Kawasaki. Récit.
Pilote Honda pendant neuf ans, dont quatre en association avec Christian Léon, Jean-Claude Chemarin s’est bâti pendant cette période un palmarès exceptionnel. Quatre fois champion d’Europe d’endurance de 1976 à 1979, quatre fois vainqueur du Bol d’Or (en
1976 avec le Britannique Alex George), deux fois vainqueur des 24 Heures du Mans (1978 et 1979), deux fois vainqueur des 24 Heures de Liège (avec Gérard Debrock en 1974), son nom était quasi jumelé avec celui de Léon (ils furent coéquipiers de 1977 à 1980). En 1981, il a rejoint les rangs de Kawasaki et y a passé deux années, assorties d’une victoire aux 24 Heures du Mans en 1981 (avec Christian Huguet), d’un titre de champion du monde (avec Jacques Cornu) et d’une victoire aux 24 Heures de Liège (avec Cornu et Sergio
Pellandini) en 1982.
Il nous raconte.
« À la fin de la saison 1980, les responsables de Honda m’avaient signifié qu’ils n’avaient plus besoin de mes services (rire)… Christian (Léon), qui était mon coéquipier dans l’équipe, ne souhaitait plus rouler avec Chemarin (sic), déjà. Comme il était employé Honda à l’année, tandis que moi je n’étais que prestataire, un “second”, lui donc souhaitait
plutôt un duel “Léon contre Chemarin” (rire) ! Ensuite, il a eu des offres de (Dominique) Méliand, qui était son voisin d’immeuble, pour rouler chez Suzuki. Il est parti essayer la moto au Japon et c’est ainsi que malheureusement, il nous a quittés… Pour en revenir à mon cas, monsieur Guillou, qui avait été mon manager pendant des années, n’a en fait pas eu le courage de me convoquer pour me dire qu’il ne me renouvelait pas, il a envoyé un “second” pour m’annoncer ça, bon… Disons que la fin de cette collaboration n’a pas été d’une grande courtoisie… Mais tout bien pesé, je dirais que ça a été un mal pour un bien. Ceci dit, je comprenais très bien la volonté de Christian (Léon). Ça s’était très bien passé pendant quatre ans ensemble, et c’est peut-être symbolique, mais le fait d’avoir un nom qui est un prénom prête à confusion. Christian a toujours été un pilote supérieur à moi, au niveau performance sur un tour. En revanche, en endurance, sur la durée, la nuit, Chemarin avait sa place. On peut dire que nous étions complémentaires. Alors, après la fameuse annonce de Honda, pendant un mois ou deux, je ne savais pas si j’allais continuer ou si j’allais arrêter. En fait, c’est grâce à Christian Huguet que j’ai intégré l’équipe Kawasaki. Lui-même avait roulé avec Honda auparavant, et il a intercédé auprès de Xavier Maugendre pour que je passe avec eux. »
À l’époque, c’était Serge Rosset qui s’occupait de l’équipe en endurance ?
« Exactement. Il avait pris la suite après Godier et Genoud, en passant une grosse marche au-dessus, avec un soutien accru de l’usine et de Kawasaki France, bien sûr. Je suis donc devenu le coéquipier de Christian Huguet en 1981. Quand je dis que ça a été un mal pour un bien, c’est que ça m’a permis de montrer que je n’étais pas qu’un “second” pilote. Jusque-là, ma carrière en endurance, c’était : second de Michel Rougerie, de Gérard Debrock et de Christian Léon donc. Ça m’a toutefois permis d’apprendre beaucoup de choses, et c’était une situation très “confortable”. Quand je me suis retrouvé chez Kawasaki, Christian Huguet m’a tout de suite mis en valeur, il est vrai que mon palmarès était conséquent, et je me suis senti à l’aise dans ce nouveau rôle, ça m’a fait du bien. Et tout cela conjugué à notre envie de démontrer notre valeur nous a permis de gagner dès la première épreuve de la saison, les 24 Heures du Mans.
En même temps, tu passais d’une Honda en fin de cycle à une Kawasaki plus moderne...
« Oui, plus moderne, surtout au niveau de la partie-cycle. La moto était plus courte, plus basse, on mettait le genou par terre facilement, le centre de gravité était plus bas… Le réservoir était moins long et la moto était globalement beaucoup plus maniable. À l’inverse, la Honda RCB avait un empattement nettement plus long, elle n’avait plus évolué depuis 1977. Question moteur, la Honda était extrêmement fiable et il n’y avait rien à dire sur sa qualité, ni sur sa puissance. Mais elle était restée figée un peu trop longtemps du côté de sa partie-cycle, et elle était fatigante à emmener. On avait les bras très en avant, assis sur l’arrière. Le déplacement
sur la selle était des plus restreints. On ne pouvait pas ouvrir le genou, on était encastré entre le réservoir et la selle. La longueur du réservoir faisait qu’on avait déjà les bras tendus (rire) ! Bon, c’était très bien pour des circuits comme Spa, avec des grandes enfilades. Mais ensuite, les évolutions ont induit un pilotage beaucoup plus sur l’avant, avec les bras pliés. Alors, pour moi, la différence s’est immédiatement sentie en passant sur la Kawasaki. Une conduite toute nouvelle. »
Et l’équipe était solide...
« J’avais une motivation toute neuve, et puis Serge Rosset, c’est quelqu’un qui a du tempérament, il savait mener ses troupes. Je sortais d’une très belle maison – Honda reste selon moi le summum – pour arriver chez Kawasaki dans une équipe où accessoirement, tout était divisé par quatre, revenus y compris. Chez Honda, j’étais très bien payé, on était assurés, vraiment, c’était le must. Honda, à l’époque, ça n’avait pas d’équivalent. Avec Kawasaki, c’était une petite structure. Même l’usine, c’est plus petit, ce n’est pas du tout la même chose. Il fallait être motivé, ce qui était mon cas. »
On pourrait dire que c’était pour toi comme un nouveau départ, après neuf années en rouge...
« Oui, et en fin de compte, c’est pour ça que je dis que c’était un mal pour un bien. Je me suis complètement remis en question. Sur plein de choses. C’était facile pour moi chez Honda : j’avais fait un bail de 9 ans, j’étais installé dans une routine. Je ne me rendais pas compte de ce que j’avais. Du confort. Je suis tombé dans une équipe où je participais, je conduisais le semi-remorque, je passais de pilote d’usine à pilote d’importateur. Mais je me dis que j’ai bien fait.
Ils m’ont donné la possibilité de prouver ce que je valais. »
C’est le côté pervers de s’être installé dans cette situation auquel tu as fini par échapper en roulant chez Kawasaki ?
« Tout à fait. Je pense qu’avec le temps, la réflexion, je me suis rendu compte plus tard que je m’étais installé dans un confort un peu trop facile à vivre : je ne me bougeais plus (rire) ! »
Alors, quand tu arrives chez Kawasaki en 1981, est-ce que tu as beaucoup de travail de mise au point sur la moto ou est-elle, au contraire, relativement aboutie de ce point de vue ?
« Elle était déjà très avancée, comme je l’ai dit, c’était une moto de nouvelle génération. L’équipe Kawasaki Performance de Rosset était très à l’écoute de ce que je pouvais leur suggérer, car j’amenais avec moi une méthode de travail acquise chez Honda qui leur était précieuse. Par exemple,
AVEC LA KAWA, SUPÉRIEURE À LA HONDA EN PARTIECYCLE, J’AI ADOPTÉ UNE CONDUITE TOUTE NOUVELLE
on travaillait beaucoup sur le positionnement, l’ouverture des guidons pour pouvoir se déplacer plus facilement et être plus agile sur la moto, la répartition des masses, la répartition du freinage, car j’utilisais souvent le frein arrière pour m’économiser et on avait du coup jumelé l’avant et l’arrière. La moto était plus stable, elle ne dribblait pas de l’arrière au freinage. C’était très efficace et ça se ressentait sur 24 heures. C’était une série de petits détails qui ont rendu la moto plus efficace et plus confortable. Gain de temps et de confort.
Si la moto n’est pas fatigante, on gagne de la performance, surtout sur 24 heures.
Les relations avec l’usine Kawasaki étaient-elles plus distantes qu’avec celle de Honda ?
« Disons que Serge Rosset et monsieur Maugendre faisaient le nécessaire, surtout au niveau des moteurs. Ce n’était pas comme Honda, dont le service course (le RSC, ancêtre du HRC, ndlr) avait créé la moto de A à Z. Avec Kawasaki, l’usine intervenait surtout sur le moteur et c’était l’équipe Performance qui s’occupait essentiellement, comme je le disais, des évolutions propres à l’endurance sur la partiecycle. Encore une fois, comparativement à Honda, Kawasaki était une petite maison. Il faut se souvenir que Godier et Genoud avaient déjà beaucoup travaillé sur la partie-cycle, Georges était un super technicien, ils avaient vraiment fait avancer les choses sur la partie-cycle avec Alain (Genoud) et Serge (Rosset). En 1981, j’ai récupéré tout l’acquis de ces gens-là. »
Donc la première année se passe très bien et tu retrouves un autre coéquipier pour l’année suivante, en 1982, en la personne de Jacques Cornu...
« Oui, Jacques était un grand pilote de Grands Prix, c’est le cas de le dire (il frôlait le mètre 90, ndlr) ! Pour résoudre le problème de la position, vu la différence de taille entre nous, je mettais une cale au fond de la selle (rire) !
Bon, Jacques arrivait bien à se caser sur une 250, alors… Et avec lui, j’étais encore associé avec un coéquipier qui avait des capacités de sprint, tandis que moi, j’étais toujours constant, de jour comme de nuit ; un pur pilote d’endurance. Sur un même relais, j’arrivais par exemple à faire des séries de 10 à 15 passages en n’ayant qu’un dixième de seconde de différence. »
C’est avec Kawasaki que tu achèves ta carrière ?
« Oui, j’ai couru avec Kawasaki en 1981 et en 1982 et j’ai décidé d’arrêter à la fin de la saison. Je m’étais donné un délai. Je m’étais dit que je ferai quinze ans en tant que pilote et que j’arrêterai ensuite. J’avais perdu beaucoup de gens qui m’étaient proches. Et puis ces deux dernières années chez Kawasaki m’ont permis de prouver beaucoup de choses, de démontrer ma valeur. Ça a été une très bonne chose, ça m’a fait du bien ; je n’avais plus rien à prouver. Ce que j’avais accompli me suffisait. De plus, le passage à trois pilotes ne m’inspirait pas. Une nouvelle génération de pilotes arrivait. Moi, j’avais fait mon temps. »