BALDÉ RACONTE
De 1970 à 1982, en vitesse ou en endurance, Jean-François Baldé a brillamment représenté Kawasaki au cours d’une carrière sur laquelle il revient ici.
Jean-François Baldé revient sur une carrière dédiée à Kawasaki.
Entré « dans la carrière » en 1969, Jean-François Baldé s’est illustré en compétition pendant une vingtaine d’années, concluant en 1989 par une sorte de tour d’honneur long d’une saison une présence remarquée en Grands Prix, la plupart du temps en moyennes cylindrées. Et c’est donc avec Kawasaki qu’il a effectué la plus grande partie de ces vingt et un ans de courses, aussi bien en endurance qu’en vitesse.
Il a gagné deux fois en endurance sur Kawasaki : les 1000 Kilomètres du Mans en 1973 (avec Christian Léon, sur une 750 H2R) et en 1976 (avec Gilles Husson sur une 1000). Et toujours avec la marque verte, il a remporté quatre de ses cinq victoires en Grands Prix : l’Argentine en 250 en 1981, la France, les Pays-Bas et la Grande-Bretagne en 350 en 1982 (sa cinquième victoire, pour l’anecdote, date de 1983, et il l’a décrochée en Afrique du Sud avec une Chevallier/ Yamaha). En 1980, le Français s’est classé au troisième rang mondial en 250 et en 350, une performance qu’il a rééditée en 1981 et 1982 en 350. En 1981, il a aussi terminé vice-champion du monde en 250. Pour ce numéro spécial de
Moto Revue Classic
Collection consacré
à Kawasaki, le Hyérois revient sur ces années de rêve…
« Avec Kawasaki, ça s’est fait de cette façon : Xavier Maugendre venait de récupérer la carte de Kawasaki et en venant voir Gilbert Guignabodet, qui était concessionnaire, il lui a dit qu’il avait des motos pour faire de la course ; c’est comme ça que Guignabodet m’a fait acheter une 500 H1R, pour le championnat de France. Et puis il y a eu l’endurance, dans laquelle Maugendre s’est également impliqué, avec Godier et Genoud. Maugendre, toutes proportions gardées, c’était un peu comme Soichiro Honda, qui disait que pour vendre des motos, il faut gagner la plus grande course du monde – à l’époque, le Tourist Trophy. Eh bien, monsieur Maugendre, lui, a toujours considéré aussi que la compétition en général faisait vendre des motos et c’est comme ça qu’il a eu l’idée de créer la Coupe Kawasaki et qu’il s’est toujours impliqué en compétition avec ses Kawasaki. Pour lui, à son époque, la course de référence, c’était le Bol d’Or. C’était celle qu’il fallait gagner pour faire connaître sa marque. Je suis ensuite resté fidèle à Kawasaki et à monsieur Maugendre, qui m’a donc toujours aidé et m’a fait bénéficier des fameuses KR qui m’ont fait connaître en Grands Prix. À l’époque où je roulais en endurance avec Kawasaki, Jean-Louis Guillou, au moment de monter l’équipe officielle Honda, était venu chez moi avec un chèque sur lequel, grosso modo, je pouvais inscrire la somme que je voulais. Il voulait former un équipage avec Christian Léon et moi, qui avions été coéquipiers chez Guignabodet et en endurance. Mais j’ai refusé cette proposition pourtant très tentante, vu ce que ça représentait pour moi sur le plan financier…
J’ai essentiellement couru en endurance avec les quatre-temps, même si sur des courses plus courtes comme les 1000 Kilomètres du Mans, nous étions au guidon de la H2R (il a d’ailleurs gagné cette épreuve en compagnie de Christian Léon en 1973, ndlr). Au-delà de cette distance, ça vibrait tellement qu’au bout d’un moment, les pattes de cadre cassaient ! »
Quand passes-tu sur les 4-temps en endurance ?
« Eh bien si j’ai couru mes deux premiers Bol d’Or avec une Suzuki T20 de chez Guignabodet, je suis ensuite passé en quatre-temps au moment où la Z 900 a été commercialisée. Il a fallu pas mal travailler dessus pour en faire une machine compétitive ; le gros inconvénient était en effet qu’elle avait été pensée pour la route, et qu’elle avait donc un moteur assez large. On avait soudé un angle en alu sur le carter d’alternateur pour le protéger, on coupait le carter pour être à ras de l’alternateur, afin de gagner quelques degrés d’angle… Cependant, cela nous a valu de ne pas gagner le Bol d’Or avec Yvon DuHamel : on était en tête devant les Honda mais à quelques heures de l’arrivée, on a usé cette plaquette, et l’huile s’est mise à fuir. On a dû s’arrêter changer le carter d’alternateur et on a fini deuxièmes. J’ai roulé plusieurs années avec Kawasaki en endurance, y compris dans une écurie sponsorisée par la boîte de production de Michel
Sardou et Pierre Billon, avec Kork Ballington comme coéquipier. Ça devait être en 1979, pour la deuxième au Castellet. Mais ce qui me passionnait, c’était avant tout la vitesse, et l’endurance me servait à me financer. C’est d’ailleurs ce qui nous a séparés avec Christian Léon. Il m’en a reparlé longtemps après.
Il a choisi la sécurité, en optant pour un contrat avec Honda qui lui assurait cette sécurité,
là où il était le roi chez Honda, où il pouvait demander ce qu’il voulait. Moi, je suis parti dans la galère, à dormir dans mon camion, pour courir en Grands Prix. Il m’a dit plus tard : “Ah, Jean-François, j’aurais dû prendre ta voie (rire) !” On était super copains, pas du tout concurrents. »
La bascule du côté des Grands Prix, ça se passe quand ?
« Bon, pour l’anecdote, mon premier Grand Prix, je l’ai fait avec une Kawasaki 500 H1R, avec l’écurie Elf-Guignabodet. J’ai fini 8e et Léon 4e si je me souviens bien. C’était au Castellet, en 1973, Saarinen avait gagné sur la Yamaha quatre-cylindres et Agostini était tombé. Mais Kawa n’a pas insisté avec ses H1R et c’était trop coûteux de développer une autre machine pour la catégorie 500, du coup, ils se sont focalisés sur l’endurance, pas comme Honda cependant. De mon côté, en 1974, je me suis lancé en solo avec mon camion et mon mécano, José, avec une TZ que j’avais achetée. Les débuts ont été un peu difficiles mais en 1976, pour le premier
Grand Prix de la saison qui avait lieu au Mans, j’avais préparé ma TZ 350 en bouchonnant les vilebrequins pour avoir plus de précompression. J’avais mis des bouchons de champagne.
Et ma moto, c’était un avion. Ça m’a permis à moi, illustre inconnu, de faire mon premier podium en Grands Prix (troisième en 350). Aux côtés de Johnny Cecotto et Walter Villa. Mais jusqu’à ce que les choses deviennent un peu plus sérieuses quand j’ai obtenu des Kawasaki grâce à Maugendre, je galérais pas mal, je n’arrivais pas à me faire engager à tous les GP, à une époque où il y avait des grading lists et où les organisateurs faisaient un peu ce qu’ils voulaient. »
L’association Baldé/ Kawasaki, c’est ça qui a marqué les mémoires...
« La KR a été une grande réussite, surtout en tenue de route. On ne changeait pas un ressort de l’année, ça ne sautait jamais, tu faisais n’importe quoi, ça tenait ! La preuve : Hervé Guilleux, qui tombait souvent, quand il s’est retrouvé sur une KR, il a gagné un Grand Prix et a terminé quatrième du championnat du monde 250 (en 1983) ! C’était vraiment une moto extraordinaire. Quand on la recevait avant le premier Grand Prix, deux ou trois semaines avant le début de saison, en ouvrant la caisse et en démontant la machine, on trouvait toujours un message du service course inscrit au marqueur : “Bonne chance pour la saison !” En 1981, j’ai réussi à gagner mon premier GP en Argentine parce que j’avais eu le temps de faire des essais au Castellet, près de chez moi, tandis que Mang était encore dans la neige en Allemagne (sic), et je m’étais rendu compte que la nouvelle suspension arrière, à laquelle l’ingénieur japonais avait ajouté une biellette, ne fonctionnait pas. J’avais remonté la machine avec la partie-cycle de la saison précédente et c’est comme ça que j’ai gagné facilement à Buenos Aires. Alors, pour en revenir au fait que j’ai pu disposer de ces motos qui m’ont permis d’évoluer au plus haut niveau en 250 et en 350, disons que même si je n’étais sans doute pas le meilleur pilote français de l’époque,
monsieur Maugendre, sachant probablement que j’avais refusé la fameuse proposition de Jean-Louis Guillou pour entrer chez Honda, a considéré que j’étais en quelque sorte “son” pilote, et il s’est démené pour m’acheter les motos d’usine avec lesquelles j’ai pu rouler pendant trois ou quatre saisons. Parce qu’au Japon, Baldé, même si je roulais pour la marque en endurance, ils ne savaient pas vraiment qui c’était… À l’époque, il fallait acheter les motos. Et ça a pu se faire grâce au poids commercial de Kawasaki France et à l’investissement financier de Maugendre. »
On imagine, à t’écouter, que ces motos, avec lesquelles tu aurais pu être champion du monde 250 (en 1981) et 350 (en 1982), elles t’ont laissé de grands souvenirs ?
« Ah oui, c’était merveilleux d’avoir ces motos. Moi qui aime les choses bien faites, je me régalais. Je voulais qu’elles soient belles, alors j’ai été le premier à peindre les roues aux couleurs de la machine, c’est-à-dire en vert. On disait de moi que j’avais du sang vert, d’ailleurs, il y a eu des autocollants où l’on me voit en train de me faire une transfusion avec du sang vert… »
Les trois quarts de ta carrière sur Kawasaki, ça a dû te laisser autant de grands souvenirs que provoquer de belles rencontres…
« Bien sûr, et parmi elles, il y a l’importateur de Kawasaki en Argentine, avec qui je suis toujours resté en contact, et qui a conservé ma moto et mon cuir. C’est lui qui avait fait en sorte que Maradona vienne me voir après ma victoire en 1981, alors qu’il commençait à être une grande vedette… Il a un musée avec pas mal de motos de course, c’est un passionné, il avait fait faire une banderole pour m’accueillir à l’aéroport de Buenos Aires, lui aussi a du sang vert dans les veines. Je reste également en contact avec (Kork) Ballington, avec lequel j’avais couru un Bol d’Or au Castellet. C’est quelqu’un d’extrêmement gentil. Pour conclure, et donner peut-être une explication au fait que je n’ai jamais été champion du monde face à Anton Mang, disons que Mang – que Guignabodet appelait à ses débuts “la chicane mobile” –, a bénéficié, avec l’aide Sepp Schloegel, avant de rouler sur
Kawasaki, de machines qui marchaient super fort et qui lui permettaient de rester au contact des meilleurs. C’est comme ça qu’il a appris son métier et qu’il est devenu redoutable. Les compétences et les moyens techniques existants en Allemagne, ils n’avaient pas d’équivalent en France. J’ajoute à cela le fait que du côté des pneumatiques, – mais cela, je l’ai appris de la bouche d’un technicien de la marque bien plus tard –, Mang avait toujours de meilleures enveloppes que moi, marché allemand oblige… »
LA KR A ÉTÉ UNE GRANDE RÉUSSITE, C’ÉTAIT UNE MOTO DONT JE CONSERVE DES SOUVENIRS FANTASTIQUES