Moto Revue Classic

SUPERBIKE US

Durant trois années complèteme­nt folles, de 1980 à 1983, Eddie Lawson et Wayne Rainey ont fait la gloire du championna­t Superbike AMA sur leurs Kawasaki. Les deux stars nous racontent.

- Par Eric Johnson. Traduction Élodie Frioux. Photos archives Moto Revue et Kawasaki Museum.

De 1981 à 1983, Kawasaki s'est imposé en SBK US avec Lawson et Rainey.

Oui, les débuts du Superbike, c’était ça : le bon vieux temps, raconte Eddie Lawson. Suzuki, Kawasaki et Honda étaient très impliqués à cette époque. Je suis arrivé au meilleur moment, en 1980. Il y avait Freddie Spencer, Wes Cooley et moi. Wayne Rainey nous a rejoints en 1981. Les constructe­urs étaient très compétitif­s. Le Superbike US décollait. » En 1979, Eddie Lawson, jeune et talentueux pilote californie­n de dirt-track, construisa­it des maisons à mi-temps, et roulait sur une Kawasaki 100 Racecrafte­rs sur l’Ontario Motor Speedway (circuit disparu depuis longtemps), l’autre moitié de son temps. Rapidement, il participe à des courses AFM 250 (Fédération motocyclis­te américaine) dans la région. Gary Mathers (team manager Kawasaki US) le repère vite et lui offre la possibilit­é de rouler en Superbike US pour la saison 1980 sur une Kawasaki

KZ 1000 Superbike. Fatigué de marteler les charpentes et réjoui à l’idée de gagner sa vie de sa passion (la moto), Lawson signe sans hésiter un instant. « Je courais en championna­t AMA et je participai­s aussi à beaucoup de courses locales en Californie du Sud, se remémore-t-il depuis sa maison de Lake Havasu, en Arizona. J’ai participé à pas mal de courses en

AFM au niveau local. Quand j’étais jeune, on avait encore de nombreux circuits : Ontario, Riverside, Willow Springs et aussi Orange County, Laguna Seca, Sears Point et tous les autres. On était en selle cinq jours sur sept, le reste du temps, je faisais du dirt-track. Avec Wayne Rainey, Kevin Schwantz et Randy Mamola, on a dû gagner environ

250 courses en AFM avant de passer en Grands Prix. » En 1980, après un combat de titans, Eddie rate de peu la couronne du championna­t AMA SBK face à Wes Cooley et le team Suzuki Yoshimura qui disposait de gros moyens. Bien que déçu par cette défaite, le combat pour décrocher ce titre l’a considérab­lement fait progresser sur l’asphalte. « Après une saison en SBK avec ces gars, je savais que je pouvais gagner, reprend-il.

À cette époque, Honda,

Suzuki et Kawasaki étaient très impliqués en SBK AMA. Le sport était populaire, les superbikes 1000 étaient magnifique­s et les gens suivaient la discipline.

Si on brillait pendant les courses, nous aussi, on nous reconnaiss­ait. » À la veille de la saison 1981, le programme Superbike de Kawasaki est ambitieux. L’usine japonaise recrute alors un petit génie qui allait construire un moteur et le régler à la perfection pour Lawson. Son nom ? Muzzy ! Et lui aussi vient du dirt, à l’image de Lawson peu

de temps auparavant. « On se débattait avec notre moto jusqu’à l’arrivée de Rob Muzzy, explique Lawson. Il a tout changé. » Muzzy sera l’homme providenti­el. Affligée par des problèmes mécaniques et un manque de fiabilité, la KZ 1000 était rapide et puissante, mais nécessitai­t des réglages très précis. « Oui, c’est vrai », répond le bonhomme lorsqu’on lui demande s’il est vrai qu’il doit son embauche à une annonce de Kawasaki publiée dans Cycle News. « À l’époque, je me disais que travailler pour une usine en compétitio­n, ça serait gagner sur tous les plans : travailler dans le monde de la course et la sécurité de l’emploi. J’ai envoyé des candidatur­es à Honda, Suzuki et Kawasaki mais n’ai reçu que des réponses négatives. Juste avant de recevoir la dernière, j’ai vu cette annonce dans Cycle News. Kawasaki cherchait un mécanicien pour la piste. Je connaissai­s Steve Johnson qui travaillai­t chez eux, je l’ai contacté et il m’a confirmé ce que je venais de lire. Il m’a dit qu’ils cherchaien­t un gars comme moi, que j’étais même exactement ce qu’il leur fallait. J’ai envoyé un CV avec d’excellente­s références, ils m’ont demandé si je pouvais les voir un ou deux jours plus tard. Je me suis rendu au siège, ils m’ont engagé comme chef mécanicien pour Lawson en Superbike. C’est à ce moment qu’on a commencé à construire les motos qui iraient avec nous à Daytona. » Muzzy était une sorte de magicien avec la KZ 1000. Lawson et lui se sont tout de suite employés à optimiser la base de la moto de course pour la première manche de la saison 1981 qui allait se dérouler le 6 mars sur le Daytona Internatio­nal Speedway. « La moto avait une bonne base », dit Muzzy dont les moteurs de KZ 1000 développai­ent 150 ch au vilebrequi­n à 10 250 tr/min. « Nous avons fait quelques modificati­ons, elle avait des défaillanc­es. On a trouvé des solutions et on l’a rendu compétitiv­e. Le truc, c’est qu’avec Eddie, on pouvait se rendre sur une course, tester ci ou ça, et le samedi soir, il était capable de tout changer : la fourche, le moteur, voire les rapports de boîte... On travaillai­t toute la nuit et le dimanche matin, une nouvelle moto était prête. Il partait et faisait des miracles sur la piste. Si on améliorait quelque chose, Eddie pensait toujours que c’était bien mais perfectibl­e. On travaillai­t sur des points qu’on ne pensait pas modifier

À CETTE ÉPOQUE-LÀ, LES MÉCANICIEN­S N’AVAIENT PAS PEUR DE SORTIR UNE SCIE POUR CHARCUTER LA MACHINE

et au final, on se rajoutait du travail pour peu de résultats. Par exemple, si on renforçait le cadre à tel endroit, pour que l’avant ne tremble plus, on pouvait créer un déséquilib­re à l’arrière, et on devait corriger ce nouveau problème. C’était sans fin. » Le reste appartient à l’histoire. La saison 1981

SBK AMA fait même partie des classiques. Lawson, Muzzy et Kawasaki contre le jeune Freddie Spencer sur la Honda et Wes Cooley sur la Suzuki. Au final, Lawson est titré après avoir gagné quatre courses sur les huit du calendrier. « Rob et moi, on s’entendait bien et on a fait du bon boulot ensemble. Je lui faisais part de mon ressenti sans jamais rien édulcorer », reprend Lawson, qui en deux saisons, devient un peu l’homme à battre sur asphalte. « Je lui expliquais mes sensations et lui comprenait toujours à quoi je faisais référence et savait appliquer mes commentair­es sur les réglages de la moto. Je lui disais seulement comment, selon moi, la moto réagissait. À cette époque-là, les mécanicien­s n’avaient pas peur de sortir une scie pour charcuter la machine.

Les amortisseu­rs et d’autres pièces de la partie-cycle n’étaient pas extraordin­aires, mais la Kawasaki avait surtout beaucoup trop de puissance par rapport aux pneus dont nous disposions. Et le cadre avait tendance à se plier...

Alors quand on pense à ce qu’on a accompli, c’est franchemen­t pas mal ! Même moi, je n’en revenais pas.

Je sais que chez Honda, les ingénieurs se posaient aussi des questions. » Pendant ce temps en Californie, Wayne Rainey, alors âgé de 21 ans, avait déjà participé à dix courses du championna­t de flat-track Grand National AMA, et en avait gagné d’autres, organisées par le California club où il remportait 500 $

par victoire. « En 1980, je courais en flat-track avec Kawasaki, explique Rainey à Monterey en Californie. C’est comme ça que ma relation avec a commencé avec eux. Eddie courait déjà chez les Verts. Il devait participer à la Houston short-track, mais il s’est blessé. Comme il devait rester en convalesce­nce pour un moment, il leur a dit de m’appeler... » Rainey remplace Lawson pour la manche du championna­t Grand National AMA à Loudon le 21 juin 1981. Et cette course va changer la vie du jeune Californie­n. Portant un cuir et des bottes de dirt-track, il remporte sa première course sur piste, au guidon d’une 250 GP qui plus est. Dans le Cycle News du 1er juillet 1981, on pouvait lire : « Rainey montre la voie aux novices. » C’était pourtant sa première course dans la catégorie et la deuxième fois seulement qu’il montait sur une 250 GP. Les dieux de la course avaient parlé. Le jour suivant la victoire de Loudon, Kawasaki lui offre un contrat pour devenir le coéquipier d’Eddie Lawson en Superbike pour la saison 1982. « Je suis passé du gars qui faisait quelques courses en club à coéquipier de Lawson sur une Kawasaki 1 025 cm3 officielle. Cette machine était un monstre. Je n’aurais jamais imaginé devenir pilote à un tel niveau, même dans mes rêves les plus fous, déclare un Wayne Rainey en repensant à son arrivée en SBK AMA à Daytona. J’étais au guidon d’une Superbike 1000 cm3 et j’allais me battre avec Eddie Lawson, Mike Baldwin et Wes Cooley, je n’avais jamais rien fait de pareil. Je n’avais jamais couru pour un team usine, je n’avais jamais roulé sur des circuits aussi légendaire­s que le Daytona Speedway. Je n’avais aucune expérience, tout est arrivé très vite ! Je me souviens avoir été sur le circuit, sur cette grosse moto avec un tout petit carénage, un amortisseu­r bitube, un pneu Goodyear à l’arrière et un Michelin à l’avant. Je sortais des virages relevés en cinquième et la machine commençait à trembler de l’avant à

274 km/h... Je m’agrippais de toutes mes forces au guidon ! C’était la pire chose à faire ! Même avec l’estomac calé contre le réservoir, les poignées m’échappaien­t et j’étais à deux doigts de la chute quand arrivait la longue ligne droite. Wes Cooley est venu me voir après la course en m’expliquant que si je continuais comme ça, j’allais me faire (très) mal. Il m’a dit de ne pas être aussi crispé au guidon. Je me suis détendu et c’est vrai que tout allait mieux après. Mais vous imaginez un peu la situation ? Vous êtes à plus de 270 km/h, l’avant se met à trembler, mais il faut se détendre… » 1982 se passe bien pour Kawasaki. Rainey gagne sa première course à Loudon le 19 juin et termine troisième du championna­t, juste derrière Lawson. « J’ai eu d’assez bons résultats pour ma première année en superbike, dit Rainey à propos de ses débuts sur les surpuissan­tes 1000 cm3. J’ai une théorie. Je pense qu’un passé en flat-track peut réellement aider sur piste, à condition de savoir faire glisser la moto sur l’asphalte. Lorsque j’ai gagné cette course

sous la pluie, la moto était loin d’être stable, mais ça ne m’a posé aucun problème. En flat-track, il faut savoir jouer avec la poignée d’accélérati­on et maintenir la vitesse. Un subtil équilibre entre agressivit­é et finesse pour éviter les erreurs. » Fatigué de perdre contre Kawasaki, Honda arrive au Daytona Internatio­nal Speedway, à l’ouverture de la saison 1983, avec une révolution­naire VF750, V4 à refroidiss­ement liquide. L’arme fatale ? « Face à Honda, on était David contre Goliath,

fit remarquer Rainey. J’étais devenu le pilote n° 1 du team car Eddie courait désormais en Grands Prix en Europe.

Rob Muzzy, Mark et Steve Johnson se sont donc chargés du développem­ent de ma moto. C’est en 83 que j’ai remporté quelques-unes de mes plus grandes victoires, surtout parce que la

Honda était tellement plus performant­e que notre moto. Le titre s’est joué entre Mike Baldwin et moi, le dernier week-end à Willow Springs, explique Rainey qui allait finalement décrocher le titre. J’ai fait mes classes sur ce circuit. On était chez moi et toute ma famille et mes amis étaient venus. Je me souviens de cette journée dans le désert. Il y avait un vent à décorner les boeufs (sic). Ça a été un véritable carnage sur la piste, des motos avaient percuté des obstacles. Baldwin et moi, on savait que celui qui battrait l’autre serait champion. En arrivant sur la ligne droite, une bourrasque de vent nous a frappés tous les deux, il est sorti de sa trajectoir­e pour aller à la faute juste devant moi. Sa moto est partie en tonneaux et a pris feu. Il y a eu un drapeau rouge et un nouveau départ, mais sans Mike, qui n’était plus en mesure de rouler. À la fin de la course, nous avons gagné un championna­t où personne n’aurait misé un centime sur nous, moi y compris. Cette année-là, j’ai appris des choses sur moi qui allaient me servir dans le futur, quand je rejoindrai les GP de moto. » Kawasaki venait de décrocher un 5e titre de champion SBK AMA en 8 ans et l’impensable est arrivé, la marque décidant de mettre fin à son programme SBK. Une véritable bombe.

Suite à la crise économique qui faisait rage aux États-Unis, les ventes de motos avaient drastiquem­ent chuté, ne laissant d’autre choix à la marque verte de se retirer. « Nous avions une super équipe,

rappelle Rob Muzzy. Tout le monde s’entendait bien, on travaillai­t dur, aucun de nous ne dormait. Mais ça en valait la peine, nos efforts ont été récompensé­s. Je rencontre des gens qui, aujourd’hui encore, me posent des questions ou me disent simplement à quel point ils avaient apprécié cette fameuse saison 1983. » Lawson, qui vit à Lake Havasu où trônent ses innombrabl­es trophées FIM et AMA, témoins de l’une des plus incroyable­s carrières moto, ajoute :

« Quand on regarde en arrière, on se rend compte que c’était une période géniale. Lorsqu’on est pilote, on est un peu dans sa bulle, on ne voit pas toujours ce qui se passe autour de nous. Si le Superbike actuel pouvait être un peu plus comme dans les années 80, ça serait formidable. C’était le bon vieux temps. Vraiment. »

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 ??  ?? 1 - Le team Kawasaki au grand complet à l’abord de la saison 1982. On reconnaît Eddie Lawson (n° 21),
Wayne Rainey (n° 60) et le crossman Jeff Ward (n° 11), futur septuple champion US.
1 - Le team Kawasaki au grand complet à l’abord de la saison 1982. On reconnaît Eddie Lawson (n° 21), Wayne Rainey (n° 60) et le crossman Jeff Ward (n° 11), futur septuple champion US.
 ??  ?? 2 - Lawson a été deux fois champion US en 250 (ici lors d’une victoire aux 100 Miles de Daytona réservés aux 250).
2 - Lawson a été deux fois champion US en 250 (ici lors d’une victoire aux 100 Miles de Daytona réservés aux 250).
 ??  ?? 1 - Eddie Lawson a été champion Superbike en 1981 et en 1982 au guidon de cette KZ 1000.
1 - Eddie Lawson a été champion Superbike en 1981 et en 1982 au guidon de cette KZ 1000.
 ??  ?? 2 - L’équipe dirigée par Rob Muzzy a travaillé avec acharnemen­t pour décrocher trois titres de 1981 à 1983.
2 - L’équipe dirigée par Rob Muzzy a travaillé avec acharnemen­t pour décrocher trois titres de 1981 à 1983.
 ??  ?? 3 - Lawson avec Wes Cooley, pilote Suzuki titré en 1979 et en 1980.
3 - Lawson avec Wes Cooley, pilote Suzuki titré en 1979 et en 1980.
 ??  ?? 4 - Lawson faisait parfois tout modifier sur sa machine la veille de la course.
4 - Lawson faisait parfois tout modifier sur sa machine la veille de la course.
 ??  ?? 5 - Il a raflé deux titres en Superbike US avant de partir disputer les Grands Prix en 500.
5 - Il a raflé deux titres en Superbike US avant de partir disputer les Grands Prix en 500.
 ??  ?? 6 - La bestiale KZ 1000.
6 - La bestiale KZ 1000.
 ??  ?? 2 - À ses débuts en Superbike, il devait s’accrocher au guidon, mais ça ne l’a pas empêché de décrocher le titre en 1983.
2 - À ses débuts en Superbike, il devait s’accrocher au guidon, mais ça ne l’a pas empêché de décrocher le titre en 1983.
 ??  ?? 1 - Le jeunot Wayne Rainey est entré chez Kawasaki après avoir gagné une course en 250 lors de laquelle il remplaçait Lawson, blessé.
1 - Le jeunot Wayne Rainey est entré chez Kawasaki après avoir gagné une course en 250 lors de laquelle il remplaçait Lawson, blessé.
 ??  ?? 3- et 4 - Eddie Lawson sur sa Kawasaki de Superbike US, un duo qui a marqué les esprits.
3- et 4 - Eddie Lawson sur sa Kawasaki de Superbike US, un duo qui a marqué les esprits.
 ??  ?? 5 - L’équipe s’est retirée fin 1983 à cause de la crise économique.
5 - L’équipe s’est retirée fin 1983 à cause de la crise économique.

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