Moto Revue Classic

RANDY DE PUNIET

L’expérience menée par Kawasaki en MotoGP, de 2003 à 2008, s’est achevée sans aller à son terme. Randy de Puniet et Christophe Bourguigno­n, qui y furent associés pendant deux ans, se souviennen­t.

- Propos recueillis par Christian Batteux. Photos archives Moto Revue.

Le consultant de CanalĂ a brillé sous les couleurs vertes en MotoGP. Retour.

> Randy de Puniet.

J’ai fait la dernière année des 1000 et la première année des 800 cm3 avec Kawasaki, en 2006 et en 2007. Bien sûr, pour moi, ce sont de bons souvenirs, c’est avec eux que j’ai commencé à rouler en MotoGP. J’arrivais de la catégorie 250 cm3 où je faisais partie du team d’Aspar Martinez. Même si Kawasaki n’était pas le meilleur team en MotoGP, c’est toujours un honneur d’entrer dans un team d’usine. La première année a été dure, parce que je me suis blessé, la moto était également difficile à piloter à cette époque, ça a donc été une année très compliquée mais malgré tout, j’ai beaucoup appris aux côtés de Christophe (Bourguigno­n), qui était mon chef mécanicien. »

Quand tu dis que la moto était « compliquée », c’est aussi parce que cette machine de 2006 n’était pas aussi sophistiqu­ée que les MotoGP actuelles ?

Bien sûr. Ne serait-ce que sur le plan de l’électroniq­ue, Kawasaki avait pas mal de retard, nous étions équipés de pneus Bridgeston­e qui n’étaient pas encore les références du plateau MotoGP, ça faisait pas mal de paramètres pas faciles à gérer, un vrai challenge pour mes débuts en MotoGP. Mentalemen­t, c’était dur, il n’y a pas eu beaucoup de résultats, mais je savais que j’avais un contrat de deux ans, il fallait s’accrocher et ne pas se décourager.

Et arrive alors la bascule avec le changement de cylindrée, qui passe de 1000 à 800 cm3 entre 2006 et 2007 ?

Exactement. La moto arrive en fin d’année, au mois de novembre. Je vais la tester à Sepang, en Malaisie. Je pars pour mon tout premier run, je boucle un tour mais je rentre aux stands, et je leur demande s’il n’y a pas un souci, si la moto n’est pas en panne…

Ça ne marchait pas du tout ! Au niveau puissance, on avait une moto qui n’avançait pas. À ce moment-là, je ne savais pas si toutes les 800 allaient être comme la nôtre mais paradoxale­ment, les chronos était plutôt bons. Cependant, les moteurs n’arrêtaient pas de casser, une vraie catastroph­e : les Japonais ont passé leur temps à refaire des moteurs tout au long de cette première session d’essais. Ça a été difficile pour eux mais aussi pour moi ; je me suis dit : « Comment on va faire l’année prochaine ? » Et finalement, ils ont bossé tout l’hiver, et deux mois après, c’était tout autre chose. Une moto compétitiv­e, avec encore quelques soucis techniques, mais qui avait définitive­ment passé un cap. Elle était même meilleure que la version précédente qui était une 1000 cm3 ! Moi aussi, j’avais progressé, je m’étais remis de toutes mes blessures, je me sentais bien.

Il y avait tout pour mieux faire. Comment s’est passé le début de saison 2007 ?

Il a été compliqué, avec des erreurs, des chutes, des casses… Et puis à partir de Barcelone, qui devait être le septième Grand Prix, je me qualifie en première ligne, je termine cinquième en course, et à partir de là, j’ai fait une super fin de saison, avec beaucoup de premières lignes, des Top 5, un podium au Japon (une deuxième place, ndlr). Je me sentais vraiment bien sur cette moto, dans cette équipe. La moto était quasiment devenue la plus puissante du plateau, avec la Ducati. Évidemment, je garde de cette deuxième partie de saison

2007 un super souvenir.

Le directeur du projet était Ichiro Yoda, ça se passait bien avec lui ?

Super. Il était bien sûr compétent et humainemen­t,

c’était un mec bien (Yoda avait auparavant travaillé avec l’équipe Yamaha Tech3 lorsqu’Olivier Jacque et Shinya Nakano ont terminé premier et deuxième du championna­t du monde 250 en 2000, ndlr). Les problèmes sont venus à partir du moment où Michael Bartholemy a remplacé Harald Eckl pour la gestion sportive du projet. En théorie, j’aurais dû avoir une nouvelle propositio­n de contrat après Barcelone mais il repoussait sans cesse l’échéance. À l’époque, il y avait une trêve de quasiment un mois entre Laguna Seca en juillet et Brno en août. À Laguna Seca, je fais encore une belle perf, sixième je crois, il me redit qu’il faut encore attendre, qu’on verra ça un mois plus tard à Brno… Là, Éric (Mahé) me dit : « Ça commence à puer, il n’y a plus de trop de places de dispo, tu vas te retrouver à pied. » C’est pour ça qu’il est allé voir (Lucio) Cecchinell­o et qu’on a signé avec LCR. Chez Kawasaki, Bartholemy n’a pas apporté le contrat quand il commençait à être plus que temps de le faire, il a fallu que je prenne une décision. Mais honnêtemen­t, c’est un grand regret dans ma carrière : ne pas avoir continué au moins un an de plus avec eux.

Là-dessus, Christophe Bourguigno­n et toi êtes d’accord !

Ouais. Je pense que j’ai commis des erreurs au cours de ma carrière mais dans ce cas-là, ce qui s’est produit m’a coûté cher. Tout allait bien jusque-là dans cette équipe ; je me sentais bien sur la moto qui était en progrès constants, les Japonais m’adoraient, j’étais super bien entouré. J’étais pilote n° 1 et bien que ce soit une petite équipe, ça bossait dur et les résultats étaient là. Ça me fait penser à l’équipe Suzuki actuelle d’ailleurs. Sauf que Suzuki a persévéré en MotoGP. Mais c’est exactement le même schéma : des gens compétents, motivés, avec un esprit encore un peu familial. En 2008, pour plein de raisons, c’est parti en vrille. Malheureus­ement, ils se sont retirés des Grands Prix. C’est vraiment dommage.

L’histoire des premiers tests en Malaisie prouve en effet que l’équipe ne manquait pourtant pas de motivation !

C’est sûr. Au mois de novembre 2006, à Sepang, quand on fait ces premiers tests, ils bossaient toute la nuit dans le box pour refaire des moteurs. Le matin, je montais sur la moto, au bout de cinq tours, j’en reprenais un dans la gueule ! Eh bien, les mecs repartaien­t au charbon sans se décourager. C’est clair : ils étaient motivés !

Du coup l’impression que ça laisse c’est qu’il manque une japonaise sur la grille...

Oui, et je pense que c’est une question d’argent, de budget, et qu’ils ne reviendron­t plus. Ce n’est pas une question de compétence­s, Suzuki a persisté et ils sont dans le coup. Quand j’arrête avec eux fin 2007, la Kawasaki est plus performant­e que la Suzuki. Même s’ils avaient commencé tardivemen­t en MotoGP, ils avaient vite rattrapé leur retard.

> Christophe.. Bourguigno­n..

Bon, en 2003, je ne faisais pas encore partie de l’équipe. Cette première année, les pilotes étaient les Australien­s

Garry McCoy et Andrew Pitt. La moto avait un carénage extrêmemen­t anguleux, carré. Je suis arrivé dans le team Kawasaki en 2004 et j’y suis resté jusqu’en 2007.

J’ai fait deux ans avec Alex Hofmann et deux ans avec Randy de Puniet. En 2004, je me souviens qu’au niveau électrique, enfin du faisceau électrique, la moto était encore très basique. C’était une MotoGP bien sûr, mais disons plus une Superbike améliorée. C’était au moment où Eskil Suter commençait à être impliqué dans l’aventure. Il s’occupait du développem­ent de la partie-cycle et du carénage, l’usine Kawasaki se concentrai­t sur le moteur. Avec mes gars, je faisais en quelque sorte le lien entre l’usine et Suter à l’époque. C’était un chouette projet, les Japonais étaient ouverts et réceptifs à nos remarques. Du côté des suspension­s, on était revenu à des choses plus standards, notamment en travaillan­t avec du Öhlins dont j’avais une grande expérience (Christophe a longtemps travaillé avec le fabricant suédois, aussi bien en motocross qu’en vitesse, ndlr). On avait fait refaire des biellettes de suspension arrière avec un rapport plus classique pour le MotoGP. Globalemen­t, l’usine appuyait beaucoup le projet, les ingénieurs partiecycl­e étaient derrière Suter mais manquaient clairement d’expérience sur ce point pour le MotoGP, en termes de rigidité, de résistance des matériaux du cadre, des bras oscillant. Ils travaillai­ent en parfaite harmonie, sans garder de secret d’un côté comme de l’autre. Moi, j’ai fait ma dernière année avec eux en 2007, puis j’ai suivi Randy chez LCR (où Christophe se trouve toujours, 13 ans plus tard, et officie en tant que responsabl­e technique tout en travaillan­t également comme chef mécanicien pour Cal Crutchlow, ndlr).

Cette expérience t’a semble-t-il laissé de bons souvenirs…

Super. Leur façon d’aborder la course, le contact avec les ingénieurs de l’usine, le projet lui-même, avec une moto devenue vraiment performant­e à la fin alors qu’ils étaient partis d’une feuille blanche… Pour moi, c’est vraiment regrettabl­e qu’ils ne soient plus là. S’ils étaient restés, vu comment les choses s’étaient passées jusque-là, je suis sûr qu’ils seraient devant, avec les top teams, sans problème… Il y a eu des problèmes internes, des « malfonctio­nnements » (sic) dans la gestion du projet, ils ont semble-t-il décidé de passer à autre chose avec le Superbike… Au début des

800 cm3, en 2007, nous avons eu énormément de casses moteur, ça manquait vraiment de fiabilité, on changeait de moteur je ne dirais pas tous les jours mais presque. À l’époque, nous n’étions pas limités en nombre de moteurs. Le plus gros souci venait de la transmissi­on, des cascades de pignons…

Mais très vite, les Japonais ont réagi, ce qui prouvait leur très grande motivation et leurs compétence­s.

Les résultats obtenus prouvent bien, comme tu dis, que cette machine avait en effet le potentiel pour faire de grandes choses...

Oui, elle était devenue très performant­e et si l’équipe avait de très bons pilotes pour l’emmener dans le Top 5, elle n’avait pas non plus des Rossi ou des Stoner pour la faire gagner. Il y a eu des premières lignes, des podiums, OJ qui débarque en Chine pour remplacer Hofmann et qui fait deuxième en 2005, tout cela montre qu’il y avait de quoi faire, c’est sûr. Encore une fois, c’est un regret pour moi qu’ils ne soient plus dans le paddock du MotoGP, d’autant plus, mais je me répète, qu’il y avait un potentiel de fou.

Sur la fin de votre aventure commune avec Randy chez Kawasaki, vous n’aviez plus de problèmes de fiabilité ?

Non, effectivem­ent. Quand je parle de ces problèmes de fiabilité, c’était quand ils cherchaien­t la puissance et la performanc­e. Quand on développe une nouvelle machine, il faut toujours en passer par là, et trouver le maillon faible. Mais on avait une assistance de folie, les gars ouvraient les moteurs sur les circuits, comme ils n’étaient pas scellés à l’époque, on pouvait réparer sur place ! Peut-être qu’on leur a vendu du vent au début du projet, qu’il aurait fallu être plus patients, travailler plus sur le long terme. En tout cas, je ne connais personne qui ait travaillé sur ce projet et qui n’a pas été heureux d’y participer. Même si j’aimerais qu’il y ait encore du vert sur les grilles de départ en MotoGP, ça reste un grand souvenir.

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 ??  ?? 1- En 2006, Randy découvre la catégorie MotoGP en même temps que sa Kawasaki officielle. 2- Une tribune entière l’acclamait quand il a fini deuxième au Japon en 2007. 3- Le podium de ce GP avec Loris Capirossi (vainqueur) et Toni Elias (troisième). 4- L’équipe Kawasaki était comme une petite famille. 5- Les Verts travaillai­ent avec le manufactur­ier de pneus Bridgeston­e. 6- Une banderole pour Randy au Japon.
1- En 2006, Randy découvre la catégorie MotoGP en même temps que sa Kawasaki officielle. 2- Une tribune entière l’acclamait quand il a fini deuxième au Japon en 2007. 3- Le podium de ce GP avec Loris Capirossi (vainqueur) et Toni Elias (troisième). 4- L’équipe Kawasaki était comme une petite famille. 5- Les Verts travaillai­ent avec le manufactur­ier de pneus Bridgeston­e. 6- Une banderole pour Randy au Japon.
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 ??  ?? 1- Sur la grille de départ du Grand Prix du Portugal en 2006. Une année d’apprentiss­age avec son chef mécanicien, Christophe Bourguigno­n (deuxième en partant de la droite). 2- La première saison avait été compliquée mais Randy gardait le sourire, conscient que le meilleur était à venir.
1- Sur la grille de départ du Grand Prix du Portugal en 2006. Une année d’apprentiss­age avec son chef mécanicien, Christophe Bourguigno­n (deuxième en partant de la droite). 2- La première saison avait été compliquée mais Randy gardait le sourire, conscient que le meilleur était à venir.
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 ??  ?? 3- Dans le bon paquet aux USA, ici derrière Rossi, Edwards, Capirossi, Melandri et Nakano en 2006. 4- Avec Christophe Bourguigno­n. Les deux hommes ont ensuite travaillé ensemble chez Honda LCR. 5- Un wheeling pour célébrer son meilleur résultat avec sa 2e place au Japon en 2007.
3- Dans le bon paquet aux USA, ici derrière Rossi, Edwards, Capirossi, Melandri et Nakano en 2006. 4- Avec Christophe Bourguigno­n. Les deux hommes ont ensuite travaillé ensemble chez Honda LCR. 5- Un wheeling pour célébrer son meilleur résultat avec sa 2e place au Japon en 2007.
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