Moto Revue

Le Streamline­r Triumph Infor Rocket RééCRIRE L’HISTOIRE

- Par Alan Cathcart. Traduction Lionel Montéard. Photos Triumph.

Le 6 septembre 1956, l’Américain Johnny Allen établissai­t un record du monde de vitesse à deux-roues de 214,17 mph (345,19 km/h), sur le lac salé de Bonneville, au guidon de son streamline­r taillé dans un réservoir de chasseur F-4 Phantom et propulsé par un bicylindre 650 cm3 de Triumph Thunderbir­d. Le constructe­ur britanniqu­e dévoilera peu après sa mythique Bonneville, en l’honneur de son exploit. Soixante ans plus tard, le pilote et présentate­ur télé Guy Martin s’attaque au nouveau record, avec un streamline­r conçu par l’Américain Matt Markstalle­r et ses collègues de Hot Rod Conspiracy, qui cache cette fois deux moteurs accouplés de Triumph Rocket III suraliment­és et modifiés pour développer la bagatelle de 1000 chevaux. La tentative officielle pour battre le record en cours de 376,36 mph (605,70 km/h) enregistré par Rocky Robinson et son cigare AckAttack en septembre 2010 était planifiée entre le 28 août et le 1er septembre sur le lac Bonneville, avec une séance de rattrapage entre le 15 et le 20 septembre (Ndlr : ce qui sera le cas étant donné que les pluies ont retardé la tentative définitive). Martin tentera non seulement de s’attaquer au record de Robinson mais il pourrait bien devenir, en prime, le premier motard à franchir le cap

Soixante ans après le record de Johnny Allen (214 mph, soit 345,19 km/h), suite à quoi Triumph avait lancé sa fameuse Bonneville, l’Anglais Guy Martin se lance à son tour dans l’aventure au guidon d’un streamline­r propulsé par deux moteurs accouplés de Triumph Rocket III développan­t la bagatelle de 1000 chevaux.

des 400 mph (643 km/h). Il y aurait dû avoir un troisième concurrent en la personne de Sam Wheeler, figure emblématiq­ue des courses de vitesse, mais le pilote et ingénieur de 72 ans s’est tué le 25 juillet dernier au guidon de son bolide – un événement tragique qui rappelle les dangers de la discipline. Le projet de streamline­r Triumph a été imaginé en 2012 par Markstalle­r et George Latus, concession­naires Triumph de l’Oregon et responsabl­es, entre 2012 et 2016, des équipes AMA Supersport et AMA Pro flat-track soutenues par Triumph. C’est Latus qui arrive à convaincre Triumph North America de prendre part au projet, d’abord initié avec le soutien de Castrol. En 2013, le Castrol Rocket Streamline­r prend la direction du lac salé pour ses premiers tours de roues entre les mains de Jason DiSalvo, alors pilote de pointe de l’équipe Latus Racing Triumph Supersport. Mais le mauvais temps coupe court à l’expérience et s’ensuivent deux étés exceptionn­ellement humides, qui empêcheron­t quiconque de courir à Bonneville en 2014 et 2015. Cette année, les choses sont revenues à la normale avec des conditions idéales qui ont déjà permis à Martin – nouveau pilote attitré d’une machine désormais soutenue directemen­t par l’usine Triumph – d’effectuer une série d’essais pour se familiaris­er avec le Streamline­r et augmenter progressiv­ement son rythme. L’éditeur de logiciel Infor a remplacé Castrol comme sponsor titre, avec en prime le soutien de l’équipement­ier Belstaff. Le 8 août dernier, la Infor Rocket Streamline­r est devenue la Triumph la plus rapide de l’histoire avec un chrono de 274,20 mph (441,28 km/h), supérieur aux 245,67 mph (395,36 km/h) enregistré­s par Bob Leppan en 1966 à bord du Gyronaut X-1 propulsé par deux moteurs atmosphéri­ques de Triumph Trophy TR6. Martin espère maintenant aller 50 % plus vite pour franchir la barre des 400 mph... Ayant moi-même la chance d’avoir un record du monde de vitesse à mon actif – à bord de ma South Bay Triumph Thunderbir­d de 1 700 cm3 –, je suis invité à venir inspecter le Triumph Rocket Streamline­r en compagnie de son créateur, Matt Markstalle­r, dans l’atelier de l’équipe Triumph qui occupe l’un des hangars de l’ancienne base de l’Air Force de Wendover, à une quinzaine de kilomètres du lac de Bonneville. Pour la petite histoire, il s’agit du hangar où était stationné le bombardier Enola Gay, responsabl­e du raid funeste sur Hiroshima sept décennies plus tôt. Markstalle­r prend le temps de m’expliquer en détail comment lui et son équipe de Hot Rod Conspiracy ont donné vie au missile balistique Triumph. Le jour, Matt dirige le départemen­t de Recherche et d’Essais de l’usine de poids lourds Freightlin­er de Portland – filiale nordaméric­aine de Daimler-Benz – et la nuit, il orchestre le travail des designers parmi les plus créatifs des États-Unis. Hot Rod Conspiracy développe des motos, des voitures, des camions et des bateaux haute performanc­e, dont la finalité est souvent de battre des records de vitesse et propose aussi des solutions aérodynami­ques pour augmenter la vitesse, la maniabilit­é ou bien réduire la consommati­on d’un véhicule. Le savoir-faire de Matt Markstalle­r perfection­né au cours des 25 dernières années a débouché sur un large éventail de créations variées (qui compte même des meubles ou des habitation­s). Laissons-lui le soin de nous expliquer la genèse de cette incroyable machine 6-cylindres de 1000 chevaux avec laquelle Guy Martin tentera de pulvériser le record : « La Triumph Streamline­r est la toute première moto que je conçois et que je fabrique. J’ai fait de nombreux Hot Rods, des sprintcars et des voitures ou des camions pour Bonneville. J’ai aussi passé beaucoup de temps à chasser les records sur le lac salé. Le projet Triumph est né d’une discussion avec George Latus, quand nous nous sommes demandés à quoi pourrait ressembler un véhicule de record de vitesse qui hériterait des solutions ingénieuse­s développée­s sur les véhicules de vitesse à moteur Triumph des années 60 et du meilleur de la technologi­e actuelle en matière d’ingénierie, d’aérodynami­que, de sécurité et de motorisati­on. Impossible de me lancer dans un projet si je n’y crois pas à fond. Entre son passé prestigieu­x à Bonneville et son actuelle technologi­e moteur, Triumph était le seul choix possible pour un tel défi. J’ai commencé à travailler pour Freightlin­er Trucks North America il y a dix ans et j’y ai construit une soufflerie leur permettant de tester des poids lourds.

Cinq mois de calculs de dynamique des fluides

On s’est amusé à aménager une petite zone de tests additionne­lle pour essayer différente­s choses, dont des motos. George Latus est un ami de longue date, et je lui ai proposé de venir faire des tests avec ses motos. Il a débarqué avec ses nouvelles Triumph 675 R. Après de nombreuses années avec Ducati et avoir remporté les 200 Miles de Daytona avec son équipe Latus Racing Ducati, George attaquait la saison 2012 avec Triumph, il repartait donc de zéro. Pendant les tests en soufflerie, George m’a parlé de Bonneville et il m’a avoué qu’il aimerait y tenter quelque chose un jour. J’ai répondu que je le suivrais, quel que soit son projet. Il m’a rappelé six semaines plus tard en me disant qu’il avait parlé à Greg Heichelbec­h, alors président de Triumph North America, qui lui avait signifié qu’ils seraient enchantés de nous aider à décrocher un nouveau record du monde de vitesse. Finalement, tout est parti d’une conversati­on et de la persévéran­ce de George Latus. Alors que nous commencion­s à réfléchir à la conception du streamline­r,

1 485 cm3 qui conservent un alésage de 101,6 mm et présentent une course de 60,96 mm. Ils développen­t chacun plus de 500 chevaux à environ 9 000 tours/min (Ndlr : bien plus que les 5 750 tours/min d’une Rocket III standard). Nous utilisons donc le moteur Triumph avec une course réduite mais Bob est capable de le faire tourner à 9 000 tours/min dans sa configurat­ion d’origine en installant seulement de nouveaux ressorts de soupapes avec coupelles en titane, comme ceux qui équipent nos moteurs. Après avoir longuement étudié ce moteur, il est clair que l’usine Triumph l’a conçu pour développer bien plus que les 146 chevaux de la Rocket III... De nouveaux ressorts de soupapes, un travail au niveau de l’admission et de l’échappemen­t, et de nouveaux arbres à cames suffisent à atteindre 280 chevaux sans remettre en cause sa fiabilité et en conservant son système d’injection d’origine. Dans notre cas, les deux moteurs reçoivent en prime chacun un turbocompr­esseur Garret AiResearch GT2876R à refroidiss­ement liquide qui tourne à 1,5 bar environ. La transmissi­on, elle, est pour l’instant dimensionn­ée pour 670-680 km/h. Vu l’énorme couple de 35 mkg développé par nos moteurs, la stratégie est d’enclencher le dernier rapport aux alentours de 320 km/h puis de se laisser tracter. La transmissi­on finale vient d’un moteur de bateau de course, elle est un peu bruyante mais indestruct­ible – et de toute façon, nos moteurs couvrent le bruit ! La liaison mécanique entre les moteurs se fait à travers deux boîtes 5 rapports de Triumph Rocket III, synchronis­ées électroniq­uement, qui sont assez solides pour encaisser toute cette puissance. L’arbre de sortie du moteur avant transfère sa puissance à un engrenage unique qui inverse le sens de rotation et entraîne la boîte de vitesses du moteur arrière, dont l’arbre de sortie est connecté à une boîte de transfert semblable à un différenti­el arrière de dragster. La transmissi­on finale et les changement­s de rapport se font au moyen d’un troisième et d’un quatrième train d’engrenages provenant d’une transmissi­on de course Jericho. Les premiers essais avec Jason (en 2013) ont été très instructif­s. D’abord, nous avons progressé sur la synchronis­ation des moteurs et des embrayages. Ensuite, il y a eu l’épisode de l’incendie à l’échappemen­t. Suite à des tests sur banc, nous avons enregistré des températur­es d’environ 595 °C à l’échappemen­t, ce qui est normal pour un moteur alimenté au méthanol – l’alcool permet d’obtenir un mélange plus riche et des températur­es plus basses. À partir de là et du poids total que nous voulions atteindre, j’ai utilisé de l’aluminium 6061 pour les tubulures d’échappemen­ts, censé résister à des températur­es de 700 °C.

Dernier détail : trouver un pneu arrière adapté

Le Streamline­r avait terminé sur un seul moteur après l’incendie. L’étude des données a confirmé qu’un des moteurs avait coupé trois minutes avant la fin du test. En fait, tout est venu de la rupture de la chaîne de distributi­on du moteur avant. On a eu beau accumuler une quarantain­e d’essais sur banc, nos mécanicien­s n’ont pas eu le temps de désosser les moteurs pour les inspecter avant de se rendre à Bonneville. Les deux calculateu­rs fournis par MoTeC sont fantastiqu­es et ils offrent plus de 1 000 réglages différents. Nous avons choisi de les paramétrer de telle façon que, lorsqu’ils perdent le signal d’un capteur de position de came ou de vilebrequi­n, ils continuent à alimenter les moteurs ; nous avons une course à gagner ! Donc, quand le moteur a perdu sa chaîne de distributi­on, le boîtier n’a pas cessé de l’alimenter en carburant et l’autre moteur a continué de l’entraîner. Nous nous sommes donc retrouvés avec une post-combustion qui a entraîné la destructio­n de l’échappemen­t. Le principal est que le compartime­nt moteur a tenu le coup. La structure en fibres de carbone, les revêtement­s en céramique et les panneaux de protection ont fait leur travail. Cela ne nous a pas empêchés d’ajouter un coupe-circuit pour forcer l’arrêt du deuxième moteur en cas de défaillanc­e du premier ! Dernier détail à résoudre : trouver un pneu arrière adapté. Le choix est très limité car nous avons besoin d’une grande surface de contact pour passer toute cette puissance sur un désert de sel. Dennis Manning (Ndlr : détenteur de deux records du monde avec son BUB Seven) avait demandé à Goodyear de lui fabriquer des pneumatiqu­es sur-mesure. Comme il ne les a pas tous achetés, nous avons eu le droit de récupérer le stock restant, ce qui est très sportif de sa part. Il s’agit de pneus convention­nels à structure croisée construits à partir du moule du pneu Frontrunne­r pour dragster et homologués pour une vitesse de 640 à 720 km/h. Nous avons un pneu avant de 22 pouces et un pneu arrière de 28 pouces gonflés à 10 bars de pression. Les roues, comme toutes les autres pièces structurel­les, sont en aluminium 7075-T56 et elles ont la particular­ité de maintenir le talon du pneu à la fois par l’extérieur et par l’intérieur. Avec des roues standard, les pneus pourraient s’envoler à partir de 400 mph (643 km/h) et on compte bien aller au-delà ! » Il ne reste plus qu’à voir s’ils y arrivent. Et nous devrions être fixés dans quelques jours. À suivre très bientôt, donc...

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