Moto Revue

« Il y a clairement une sorte de “motophobie” latente dans notre société »

MOTO REVUE - 02 NOVEMBRE 2016

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Avec la FFMC (Ndlr : Fédération française des motards en colère), j’ai considéré qu’un rapprochem­ent était la meilleure des choses à faire : nous sommes plus forts en nous serrant les coudes plutôt que l’inverse. D’ailleurs, les gens de la FFMC d’aujourd’hui sont des personnes responsabl­es, avec lesquelles on peut tout à fait discuter. Disons que nous sommes d’accord dans 90 % des cas et que l’on trouve des compromis sur les 10 % restants (sourire)...

Et les assurances, où en sommes-nous ?

La problémati­que des assurances reste d’actualité, même si nous avons gagné du temps et calmé le jeu en nous adressant à des assureurs étrangers, essentiell­ement anglais. Mais avant cela, la perspectiv­e que l’on nous annonçait, c’était, à moyen terme, un zéro de plus sur les tarifs d’assurance, ni plus ni moins. Pour prendre un exemple, le tarif pour l’Enduropale du Touquet, 50 000 ou 60 000 €, serait monté à 500 000 ou 600 000 € ! Évidemment, dans ces conditions-là, l’épreuve n’existerait plus... Alors, pour le moment, les choses en sont là, mais si nous sommes contraints de revenir vers les assureurs français, nous savons ce qui nous attend : un zéro de plus... Cette situation provient d’un revirement de la jurisprude­nce datant de 2010 : jusque-là, on considérai­t, en matière d’activités à risques, qu’il fallait appliquer

ce qu’on appelle en droit la théorie de l’acceptatio­n des risques. À partir du moment où l’on se mettait en situation de péril en toute connaissan­ce de cause – et à condition que l’organisate­ur de l’activité n’ait pas commis de faute –, on ne pouvait pas, en cas de préjudice même grave, aller devant le juge demander réparation. Dans ce cas, le juge répondait : «Vous avez pris vos risques en conscience,il faut les assumer.» Aujourd’hui, il faut indemniser. Ce qui se défend aussi, attention, je ne dis pas que c’est scandaleux. Mais cela entraîne des situations très difficiles pour les fédération­s sportives qui y sont confrontée­s. Cela fait des années que nous travaillon­s sur le problème, j’ai vu tous les ministres des Sports depuis que j’occupe ce poste, mais bien qu’ils m’aient tous écouté avec intérêt, leur pouvoir est limité. Un phénomène récent est cependant venu nous redonner espoir : d’autres fédération­s sont à présent impactées par le problème (voile, équitation, montagne et escalade) et du coup, le CNOSF (Ndlr : Comité national olympique et sportif français) s’est associé à nos démarches. En clair, la moto et l’automobile ne sont plus seules. Bien sûr, si demain, le football devait à son tour être touché par le problème, je suis persuadé que cela serait résolu en six mois ! Le fait qu’une prise de conscience ait lieu au plus haut niveau me laisse à penser qu’à moyen ou long terme, nous trouverons une solution. Parce que sinon, le risque d’inassurabi­lité existe bel et bien. Et dans ce cas-là, puisqu’il est obligatoir­e d’être assuré, nous serions dans l’obligation de tout arrêter. Je ne dis pas que ça arrivera demain matin, mais que la menace n’est pas si virtuelle que ça. La solution, j’aurais tendance à penser – et à espérer – qu’elle viendra a priori du législatif. Ce que nous proposons, c’est un retour partiel en arrière vers la théorie de l’acceptatio­n des risques et que parallèlem­ent, on impose une couverture individuel­le Accident… J’espère que ce sera réglé avant que je quitte la présidence de la Fédération. Parce que si ce n’est mon plus gros chantier, c’est du moins l’épée de Damoclès que j’ai au-dessus de la tête, enfin que le sport moto – et même automobile ou autre – a au-dessus de la tête… J’ai ouvert beaucoup de chantiers depuis que je suis à ce poste, alors avant de songer à en ouvrir de nouveaux, il faut déjà mener à bien ceux que j’ai évoqués... En dehors de cela, j’aimerais cependant avancer le travail sur la régionalis­ation, puisque la loi a changé et qu’elle nous y oblige. Aujourd’hui, j’ai 25 régions à gérer, demain, je n’en aurai plus que la moitié. Ce qui générera un socle électoral ridicule. Pour le moment, ce sont 50 personnes qui élisent le Comité directeur et donc le président de la FFM, et à mon sens, c’est déjà trop peu représenta­tif. Avec 100 000 licenciés ou porteurs de titres, il y a clairement un déficit démocratiq­ue à mes yeux... Je dois ajouter la prise en charge de notre « patrimoine », c’està-dire, précisémen­t, la mise en place d’une vraie base de données qui contienne les palmarès complets de l’ensemble des discipline­s gérées par la FFM. Un chantier considérab­le, mais indispensa­ble à mener à bien pour sauvegarde­r la mémoire du sport motocyclis­te français... Quatre personnes sont en charge de ce service, dont une spécialisé­e dans le droit de l’environnem­ent. On intervient lorsqu’un organisate­ur a des problèmes avec une préfecture ; le truc classique, un enduro. On intervient aussi pour ceux qui veulent créer des équipement­s, dans ce cas, ce sont plutôt des circuits de vitesse. Aujourd’hui, pour accomplir une telle démarche, les procédures sont très compliquée­s : il faut faire des études d’impact, sur l’eau, le bruit, on demande même des sondages archéologi­ques... C’est pour cette raison que ce sont majoritair­ement des circuits de vitesse, des projets qui sont portés par des sociétés ou des groupes dotés d’une envergure financière assez large pour effectuer toutes ces démarches. (Sourire) Parfois en achetant, ou plutôt en payant la production des images destinées à la télévision, comme nous l’avons fait pour la finale du championna­t de France Superbike à Albi. Mais pour répondre à cette question, là encore, c’est un phénomène sociétal. Que peut faire le président de la Fédération si les responsabl­es de la programmat­ion sportive à TF1 considèren­t que couvrir un Enduropale du Touquet avec 150 000 spectateur­s ou un Grand Prix de France avec 100 000 spectateur­s n’est pas intéressan­t pour eux, alors que dans le même temps, ils assurent le reportage d’une épreuve qui rassemble péniblemen­t quelques dizaines de spectateur­s dans les tribunes ? De leur point

de vue, ce raisonneme­nt se tient : leur cible, la fameuse « ménagère de moins de 50 ans », est sans doute loin d’être passionnée par la moto... J’aurais tendance à dire qu’il faut déjà être content que sur les chaînes thématique­s la moto soit une discipline qui marche bien. D’autres présidents de fédération­s que je rencontre de temps en temps me disent qu’on est vernis. Quand nous envoyons un courrier à l’Élysée pour faire part de pilotes français champions du monde, cela ne déclenche rien. La seule fois où un pilote français a reçu une lettre de félicitati­ons officielle­s, c’était « une » pilote, en l’occurrence Ludivine (Ndlr : Puy,double lauréate de la Coupe du monde d’enduro féminine et plusieurs fois victorieus­e du classement féminin des Six Jours d’Enduro). Une femme, politiquem­ent, c’est plus porteur. Et encore, il n’est pas question de remise de décoration comme pour les athlètes des JO. Mais pour Johann Zarco ou l’équipe de France du Motocross des Nations, aucune réaction officielle. Les choses ont beaucoup changé, et malheureus­ement pas toujours dans le bon sens : il faut se souvenir que le lendemain de ma victoire à Silverston­e, en juillet 1983, j’ai été reçu au journal de 20 Heures sur TF1 ! Soyons clairs : il y a une sorte de « motophobie » latente dans notre société. On consomme du carburant fossile, on contribue au réchauffem­ent de la planète. Je sais, c’est anecdotiqu­e, mais c’est une question de ressenti, et c’est de cette façon que le grand public nous perçoit. On m’a déjà dit : « Les sports mécaniques ne devraient plus exister.Cela paraît incroyable que l’on s’amuse à tourner en rond sur des circuits pendant que la tendance mondiale est plutôt de réduire les émissions de gaz à effet de serre...» Le facteur sécurité joue également contre nous pour la majorité des gens. Je me souviens d’un épisode qui m’a marqué, avant que je ne sois président de la Fédération ; c’était sur le circuit de Dijon-Prenois, où un médecin qui venait de prendre en charge un pilote blessé m’avait dit : « Ce que vous faites est quasi criminel. Je ne reviendrai plus jamais sur une course de moto.» Je dois dire que ça m’avait interpellé, parce que le discours de ce médecin était

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