Moto Revue

Jean-Luc Fouchet « Il y a une crise des vocations »

Créateur et promoteur du championna­t de France SX Tour On s’apprête à fêter les 30 ans du championna­t de France supercross, par lequel sont passés la plupart des top pilotes français durant cette période. Où en sommesnous aujourd’hui ?

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Si l’on parle de pilotes d’élite, qui s’exilent aux USA pour accomplir une carrière au plus haut niveau, Marvin Musquin et Christophe Pourcel sont les derniers représenta­nts de ce système. Cette année, le SX Tour (appellatio­n officielle du championna­t) compte dix épreuves, un record. Nous avons une série de cinq épreuves en été, et cinq en hiver, alors qu’auparavant, la saison était concentrée sur la période automne-hiver. Mais nous devons faire face à une sorte de crise des vocations. Où sont les enfants d’Yves Demaria, Frédéric Bolley, David Vuillemin ? Cette année, à Châteauneu­f-les-Martigues, dans le fief des Sudistes, il y avait 12 pilotes derrière la grille en catégorie 125 Junior...

D’où vient le problème selon toi ?

Eh bien, je dirais que même s’il n’y a pas une réponse unique à cette question, ce manque de relève est en partie dû au fait que les teams de Grands Prix, en recherche de jeunes pilotes, les prennent sous leur coupe d’abord pour le championna­t d’Europe, et les empêchent de rouler en SX, sous prétexte de leur éviter de prendre des risques. Quelques épreuves du championna­t d’Europe tombent en plus en même temps que les courses de SX Tour estivales... Le dernier exemple en date est celui de Zach Pichon, le fils de Mickaël (double champion du monde MX 250 en 2001 et 2002 et multiple champion de France SX) : il a signé pour l’équipe Suzuki dirigée par Stefan Everts, un ancien adversaire de Pichon en GP, et il ne peut pas rouler en SX ! Ce qui ne l’a pas empêché, malheureus­ement, de se blesser récemment à l’entraîneme­nt. La volonté des pilotes d’y participer ou pas est déterminan­te. Tout vient de là. Un Romain Febvre qui roule à Lille, c’est intéressan­t, parce que ce faisant, il brise un peu la glace du diktat des teams de GP, en disant que le SX lui apporte un plus pour le MX, et que cela lui est utile pour le championna­t du monde. D’une façon générale, on peut se demander ce que fabriquent les pilotes de Grands Prix pendant les cinq mois que dure l’intersaiso­n... Il y a peut-être là-dedans un manque de motivation de leur part pour aller se frotter aux spécialist­es du SX Tour que sont les Coulon, Soubeyras, Izoird, Teillet ou Boog. Enfin, les courses de sable nous font aussi du tort, et absorbent quelques concurrent­s qui pourraient peut-être s’épanouir en supercross...

Ferrandis, intégré à une équipe de pointe en 250 avec le team Yamaha Star Racing. Il y a vingt ans, les meilleurs pilotes français roulaient à la fois en Grands Prix et en championna­t de France supercross, le but ultime étant pour eux de poursuivre leur carrière aux USA – où non seulement le rêve d’évoluer en supercross se concrétisa­it, mais où le bonus financier était important. À présent, comme le décrit Jean-Luc Fouchet (voir page 137), la tendance est donc au repli sur le Vieux Continent et à ses Grands Prix. On peut le regretter, mais le pli semble pris. David Vuillemin ne peut que le constater : « J’y vois une tendance assez marquée à un changement d’intérêt, une bascule des jeunes pilotes français vers le MX2 et le MXGP. Peut-être que ça leur semble trop dur d’aller tenter leur chance là-bas... Gautier (Paulin), Romain (Febvre), ils restent en GP. La vision a changé, le point de repère, ce n’est plus JMB, Pichon ou moi. Je respecte ce choix, qui est plutôt de suivre un plan de carrière “à la Cairoli ou à la Herlings”, mais je trouve ça dommage, parce qu’on sait bien que le supercross et le motocross vont de pair : les deux discipline­s aident à aller plus vite et à progresser, et à ne favoriser qu’une des deux, ça limite la progressio­n. Personnell­ement, j’aimerais voir des Paulin ou Febvre venir se frotter à des Soubeyras ou des Izoird en SX Tour, ça serait à mon sens bénéfique pour tout le monde, y compris pour les jeunes pilotes. » En vingt ans, les choses ont changé, petit à petit, les GP ont repris de l’importance et la barre peut paraître trop haute pour les jeunes Français, incités à rester plutôt qu’à tenter un hypothétiq­ue exil chez les Américains. La roue tourne, et comme le dit Éric Péronnard, « nous sommes peut-être un peu trop “franco-centrés” car dans le même temps, on assiste aux USA à l’explosion de l’Allemand Ken Roczen, et le Slovène Tim Gajser a déjà annoncé haut et fort qu’il poursuivra­it dès que possible sa carrière en Amérique.

Dans la lignée des pilotes d’exception

Ce ne sont donc pas les “vieilles” nations du motocross qui vont renouveler cette tradition de l’expatriati­on des meilleurs Européens vers l’Eldorado du SX US » . En attendant, pour ce 3e Supercross de Paris-Lille (ou 34e si l’on tient compte des 31 éditions de Paris-Bercy), Marvin Musquin ne s’est pas gêné pour reprendre – avec un plaisir non dissimulé – contact avec le public français, et sa démonstrat­ion durant ce week-end lillois sera peut-être, c’est tout ce qu’on lui souhaite, annonciatr­ice d’une grande année 2017. Il se prépare en conséquenc­e pour mettre toutes les chances de son côté, et travaille par exemple depuis cette année avec Aldon Baker (ancien profession­nel de VTT sud-africain devenu depuis 2000 un « faiseur de champions » qui a notamment travaillé avec Ricky Carmichael et James Stewart) : « Avec Baker, ce que j’apprécie vraiment, c’est de m’entraîner avec des pilotes capables de gagner des finales (Ryan Dungey, Jason Anderson). En fait, on se tire la bourre ensemble comme en course, ou presque. On progresse sans que l’entraîneme­nt ne soit jamais fastidieux. Ça peut paraître étonnant, vu de l’extérieur, de rouler avec des adversaire­s, mais c’est le système instauré par Baker et ça donne des résultats pour tout le monde, alors c’est positif. C’est un budget, mais à mon sens, ce n’est pas de l’argent jeté par la fenêtre, et puis que ce soit avec Baker ou avec d’autres coaches, tout le monde le fait aux USA. Sur le plan de la charge de travail et du calendrier des courses, c’est sûr que c’est du costaud, mais justement Baker m’aide à gérer les 17 épreuves (étalées sur 18 semaines !), de façon à optimiser ma condition sur cette longue période où l’on ne souffle quasiment jamais. » 26 ans après le premier des deux SX de Paris-Bercy remportés par Jean-Michel Bayle (le premier, en 1990, précédait son titre US), et dix-sept ans après le premier des quatre SX de Paris-Bercy figurant au palmarès du recordman de l’épreuve David Vuillemin, Marvin Musquin s’inscrit avec ce succès de prestige dans la lignée de ces pilotes d’exception. Le plus dur et le plus beau reste à venir, mais s’il parvient à entrer dans le cercle des candidats au titre suprême, il est probable que le souvenir de ce triomphe lillois aura en partie nourri sa motivation pour aller chercher ce petit plus qui fait les grands champions.

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