Moto Revue

Comment est-ce que ça s’est passé ?

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Je dois dire que j’ai beaucoup apprécié mes années passées en Formule 1. Depuis le 1er mai 2000 jusqu’à la fin de l’année 2008 quand Honda a décidé de stopper le projet F1... Presque neuf ans... À regarder, la Formule 1 est ennuyeuse, mais lorsqu’on y est impliqué, d’un point de vue technique, c’est très, très excitant. Les budgets ne sont pas du tout les mêmes qu’en moto et le nombre d’ingénieurs non plus... Cela fait une énorme différence. En F1, les ingénieurs couvrent une zone d’étude beaucoup plus étroite mais en revanche, ils peuvent aller beaucoup plus loin. Oui. Les ingénieurs moto couvrent des domaines très élargis en comparaiso­n... Durant mes années en F1, j’ai appris énormément de choses à propos des moteurs, des châssis et aussi de l’aérodynami­que, spécialeme­nt sur l’aérodynami­que d’ailleurs... C’était lors des essais hivernaux de Sepang, en Malaisie... Je dois dire que j’ai été surpris par ce que j’ai vu.

La vitesse de pointe des Honda était supérieure à celle de la concurrenc­e. C’était très facile de doubler les Yamaha dans les lignes droites, mais quand nous arrivions sur les virages, les Yamaha étaient très au-dessus de nous au freinage... Ce n’était pas acceptable.

Eh bien oui... Ma première pensée fut que nous avions fait quelque chose de travers. Nous avons donc testé différents réglages. Nous avons tenté d’améliorer l’efficacité de notre freinage, mais Yamaha était toujours nettement plus performant que nous dans ce secteur. Oui, c’est ça. À ce moment-là, j’étais déjà vice-président du HRC. Je devais donc m’occuper de diriger l’ensemble du service. Chez nous, le président du HRC est avant tout un représenta­nt officiel, une figure publique. Mais c’est son vice-président qui fait tourner le service. J’ai dû apprendre beaucoup de choses, comme le management, la gestion des budgets, le domaine législatif, mais l’aspect technique de notre travail restait prioritair­e pour moi. Pour améliorer notre efficacité, j’ai donc modifié la structure de fonctionne­ment du HRC. J’ai créé un départemen­t dédié à l’étude des partie-cycles, un autre dédié à l’étude des moteurs, une équipe d’essai pour chacun de ces deux départemen­ts et enfin, une équipe qui devait se concentrer sur les technologi­es du futur. Cette dernière entité travaille indépendam­ment des projets en cours et, selon les cas, pour des projets destinés à être testés dans six mois, dans trois ans, ou dans dix ans... Ils partent de ce qui existe actuelleme­nt... Je leur donne clairement la direction à suivre. Par exemple, en 2009, je leur ai dit : « Vous devez améliorer notre stabilité au freinage,de cette façon,lesYamaha et les Ducati ne nous reprendron­t pas l’avantage que nous avons pris dans les lignes droites.» Notre vitesse de passage en virage n’était pas aussi rapide que celle des Yamaha, mais si nous étions capables de rester devant elles à l’entrée du virage, ça ne serait pas facile pour eux de nous passer dans le virage lui-même...

Disons que c’est un point de vue d’ingénieur : notre vitesse de pointe était notre point fort, notre vitesse de passage en virage notre point faible. Parfois, les gens se focalisent sur l’améliorati­on de leurs points faibles, et oublient leurs points forts. À ce momentlà, nous n’avions pas assez de connaissan­ces ou de technologi­e pour faire progresser notre vitesse de passage en virage mais en revanche, nous savions comment produire des machines très rapides en vitesse de pointe. Avant d’explorer d’autres voies, nous devions donc renforcer notre avantage au maximum : doubler dans les lignes droites, rester devant au freinage et donc dans les virages, puis profiter encore de notre vitesse de pointe dans les lignes droites qui suivaient. Si nous étions capables de faire ça, j’étais persuadé que, tôt ou tard, nos adversaire­s finiraient par se décourager.

L’équipe de développem­ent a fait du très bon travail. Nous avons pu tester plusieurs partie-cycles, différents cadres. En 2010, au Qatar, si vous vous souvenez, la machine de Pedrosa avait tendance à bouger pas mal en bout de ligne droite, et au début, Dani n’aimait pas ça du tout. Dovizioso, en revanche, appréciait cette moto parce qu’elle avait une meilleure vitesse de passage en virage. Sur cette machine, l’idée était d’améliorer la stabilité au freinage. Oui. Mais Dani (Pedrosa) était également très heureux de cette évolution technique... En fait, nous suivons toujours ce concept général. La stabilité au freinage est plus importante que la puissance du moteur, beaucoup plus importante...

Absolument, je peux dire que la première étape de ma mission était accomplie... Ma deuxième tâche était de faire progresser notre vitesse de passage en virage, notre point faible. Avec le temps, nous sommes arrivés à dépasser Yamaha dans les virages. Vous pouvez étudier les données enregistré­es sur tous les circuits. Nous sommes particuliè­rement performant­s dans les virages serrés. Notre machine y est systématiq­uement plus performant­e. Les chronos sur un tour sont très proches, mais parfois Marc (Marquez) a quelques dixièmes d’avance et ils sont dus à l’efficacité de notre moto dans les virages. L’équilibre. En matière d’équilibre général, ils sont très bons. Cela inclut la vitesse de passage en virage, l’accélérati­on... Eh bien, lors des traditionn­els tests de Valence, en fin de saison 2012, quand Marc a essayé notre moto pour la première fois, j’ai été surpris. Les conditions n’étaient pas faciles. Je crois qu’il n’y a eu que 30 minutes durant lesquelles la piste était à peu près bonne pour rouler sur une MotoGP. Mais ses chronos et ses capacités au freinage étaient... whaou ! J’étais très, très étonné. À ce moment-là, je me suis dit que j’avais fait le bon choix. Non, contrairem­ent à ce qu’on pourrait croire. Faire des super chronos sur un tour, tous les pilotes de talent peuvent y arriver, mais parvenir à tenir des chronos constants jusqu’à la fin de la course demande de l’expérience. Marc a clairement exprimé la difficulté qu’il avait à maintenir ses chronos jusqu’à l’arrivée. Il a eu de la réussite dans la première partie de la saison 2013, comme par exemple à Austin où il était le seul à rouler avec un pneu arrière « Hard », ce qui lui a permis de gagner la course. Il était sur le podium de chaque course en début de championna­t. C’est là qu’il a creusé un écart suffisamme­nt important pour se retrouver ensuite en situation de pouvoir gérer cet avantage. Ce n’est qu’à Silverston­e, au mois de septembre, qu’il m’a dit : « Maintenant, je sais comment gérer les pneumatiqu­es.»

Oui... Les pilotes « normaux » ont besoin d’une année, une saison entière pour apprendre la catégorie MotoGP mais Marc, lui, n’a eu besoin que d’une demi-saison. Mais il a aussi été très chanceux, parce que Jorge (Lorenzo)

et Dani (Pedrosa), qui sont très forts, se sont blessés tous les deux. Ils ont raté quelques épreuves et il a pu creuser un écart important. C’est le résultat de la combinaiso­n entre lui – qui avait compris comment piloter une MotoGP –, la machine de cette année-là et son style de pilotage. Je ne peux pas, parce que ce sont deux personnali­tés très différente­s. Ces deux pilotes ont chacun quelque chose de très spécial... en piste.

Marc est « spécial » au freinage ; Casey était très fort en vitesse de passage dans les virages, très bon à l’accélérati­on. Il avait peut-être trouvé le bon équilibre entre l’angle qu’il prenait et la puissance qu’il délivrait via sa poignée de gaz... Sur les acquisitio­ns de données, on pouvait voir qu’il contrôlait à la perfection la limite d’adhérence des pneumatiqu­es, la limite au-delà de laquelle l’adhérence s’efface au profit du système de contrôle de traction. Son contrôle de la poignée de gaz à l’accélérati­on était phénoménal... Toujours sur le fil du rasoir.

Marc est un peu semblable dans son pilotage mais il utilise beaucoup plus le contrôle de traction. Casey, je ne sais pas pourquoi, il était... incroyable. Non ! Casey est quelqu’un de très difficile à comprendre. Mais je respecte sa décision. Notre fonctionne­ment est différent de celui des autres constructe­urs. Pour Honda, il est normal de changer régulièrem­ent de cadre, de bras oscillant... c’est routinier. Si nous trouvons quelque chose qui fonctionne mieux, nous le changeons. Nous optons pour la meilleure solution du moment, rien n’est jamais figé. Un bon exemple de ce système est qu’il y a des pilotes qui roulent avec l’ancien cadre sur les machines d’aujourd’hui. Dans la première moitié de la saison, oui, parce que, comme je l’ai déjà expliqué à plusieurs reprises, nous ne savions pas comment utiliser précisémen­t ce fameux software. Maintenant que nous savons, je dirais que nous l’exploitons à 90 %. La différence, c’est que si nous utilisions le software HRC, ce serait beaucoup plus facile d’un point de vue d’ingénierie des acquisitio­ns de données. Celle de l’année prochaine ! Celle à venir est toujours la meilleure. Si je devais en choisir une, je dirais 2010... L’année où nous avons résolu la majeure partie de nos problèmes en l’achevant, prêts à nous battre pour le championna­t... Ce qui s’est produit en 2011...

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