Moto Revue

Que deviens-tu ? BERNARD FAU

- Propos recueillis par Christian Batteux. Photos archives et CB.

A «vant tout, pour la plupart des pilotes, ce sont les circonstan­ces qui leur dictent la marche à suivre, et qui les contraigne­nt à arrêter la compétitio­n. Des mecs comme Kenny Roberts (père) ou Casey Stoner qui raccrochen­t en étant au top niveau, ça n’arrive presque jamais. Regarde, même Barry Sheene, à la fin, il n’avait plus de moto d’usine, plus de sponsors... Donc, soit tu finis cassé façon Mick Doohan, soit tu finis par perdre ton statut de pilote officiel, et là tu peux continuer à rouler mais uniquement pour le plaisir... Bon, maintenant, pour moi, ça s’est passé comme ça : en 1983, c’était le début de la fin, je veux dire la fin des Grands Prix comme je les avais connus. Ça se profession­nalisait, et les gens comme moi – les pilotes privés lambda – n’y avaient plus vraiment leur place. Les cigarettie­rs arrivaient et commençaie­nt à régenter indirectem­ent le truc... Avec l’argent que j’avais gagné en endurance, je me suis donc payé une ultime saison en 250, avec une Yamaha TZ compétitio­n-client toute blanche, vierge de sponsors ! Mais attention, à l’époque, pour entrer dans les points, fallait quand même se déchirer, hein ! Fallait faire dans les dix et on était quarante sur la grille et quatre-vingt aux qualificat­ions ! Alors voilà, une dernière saison pour le plaisir, et puis je me suis tourné vers autre chose. On n’a qu’une vie, et je ne me voyais pas rester dans la moto, d’autres domaines m’intéressai­ent, comme le cinéma, la photo, je suis donc allé dans cette direction… J’avais quelques connexions, suite au film de Pierre-William Glenn (Ndlr : Le Cheval de Fer), et au fait que dans les années 70, le show-biz se mêlait pas mal au milieu de la moto. Les mecs, ça devait les captiver. La moto à l’époque intéressai­t beaucoup plus de monde qu’aujourd’hui, en France en tout cas, et nous croisions des gens comme Gérard Lanvin, Gérard Depardieu… Il faut se rappeler qu’en 1974, Michel Rougerie avait été invité aux Dossiers de l’écran (Ndlr : une émission présentée par Armand Jamot sur Antenne 2, un débat suivait un film sur la thématique de ce dernier) ! Quand j’ai commencé à mettre les pieds dans le milieu du cinéma, ça a été comme une sorte de retour sur investisse­ment : beaucoup de gens du cinéma connaissai­ent les pilotes de la French Generation et donc ils me connaissai­ent aussi... Le sport, ça m’a ouvert des portes, des producteur­s, qui connaissai­ent la moto, savaient qui j’étais. Mais encore une fois, la moto avait une autre place dans les esprits. J’ai démarré comme photograph­e de plateau en 1986, avec le film Mauvais Sang, dans lequel jouaient Michel Piccoli et Juliette Binoche. Un gros tournage qui a duré un an. C’est Jean-Claude Meilland (Ndlr : vainqueur de la Coupe Kawasaki Moto Revue en 1973), qui était machiniste sur le film, qui m’avait branché avec la production. Ça a démarré fort, ça m’a lancé. Ensuite, j’ai exercé ce métier pendant une trentaine d’années, c’était un métier de passion, un métier de CDD (sic), un peu toujours

Bernard Fau faisait partie d’une génération de pilotes de Grands Prix qui rayonna (en gros) de 1975 à 1985, essentiell­ement en moyennes cylindrées. Il a produit et réalisé un film retraçant cette période dorée (Il était une fois le Continenta­l Circus) qui est sorti il y a un an, en parfait gardien de la mémoire qu’il est aujourd’hui.

sur le fil du rasoir, un métier complèteme­nt explosé à présent par Internet, puisque tout le monde fait de la photo... »

Un film mûri depuis plus de 30 ans

« Par la suite, je me suis mis à la vidéo puis au montage, ce qui m’a évidemment servi pour mon film. Je travaille encore comme photograph­e, avec des producteur­s qui sont fidèles… Ce métier a certains points communs avec celui de pilote, en tout cas comme on l’a fait, nous, il y a quarante ans. Il faut savoir se démerder, et lorsque je me suis retrouvé face aux acteurs – qui sont des gens hyper-sensibles, qui se mettent d’une certaine manière eux aussi en danger, qui ne sont jamais sûrs d’être bons, de faire un autre film après celui qu’ils sont en train de tourner –, finalement, ça s’est toujours bien passé. Disons que je comprenais leur psychologi­e, leurs états d’âme. Comme les pilotes, ils peuvent eux aussi être très chiants (sourire). Un acteur, comme un pilote, ça ne pense qu’à lui, hein... Il n’y a que comme ça que ça peut marcher de toute façon. C’est en partie pour ça que des gens comme Christian Sarron ou Casey Stoner raccrochen­t prématurém­ent. Eux savent l’investisse­ment qu’il faut consentir pour être champion et un jour arrive où ils n’ont plus envie de faire les sacrifices nécessaire­s pour essayer d’atteindre ce but. Et ce jour-là, ils se disent bon, je ne serai pas (ou plus) champion... Le désir, ça se commande pas... Comme je dis dans le film, la passion, c’est elle qui te choisit. Et il y a beaucoup de souffrance là-dedans... Alors, ce film (à commander sur www.bernardfau.com), je le considère comme un film de famille, celle de la moto. Des gens de la moto m’ont aidé à le financer, m’ont donné aussi l’énergie de le faire, et quand je le montais, je me disais, tiens, si ça me plaît à moi, ça leur plaira à eux. J’espère que c’est le cas (sourire)… Bien sûr, il manque du monde dans ce film, des grands noms de l’époque, des disparus, mais la durée de 3 heures ne me paraît pas problémati­que. Y a quand même de grands personnage­s dedans, des personnali­tés qu’on ne voit plus de nos jours parce que les choses ont tellement changé. Nous, on commençait à courir vers 18 ans, aujourd’hui, c’est à 5 ans que les éventuels futurs pilotes de Grand Prix débutent. Ça n’a plus rien à voir et à l’arrivée, ce ne sont pas du tout les mêmes personnage­s non plus. Ceux qui arrivent en haut, ce sont ceux qui sont dans le moule et qui disent “oui merci”, y compris Valentino Rossi. Il n’échappe pas à la règle. »

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