Ventes aux enchères La maison Bonhams alignait une quinzaine de bijoux sous les verrières du Grand Palais
Organisée sous la nef du Grand Palais, la vente Bonhams a regroupé une quinzaine de motos de collection. De ce bel écrin, nous avons poussé la porte – comme nous l’aurions fait d’un couvercle – pour aller respirer le parfum de cet univers méconnu qu’est l
L’endroit est si majestueux qu’il en semble presque irréel. Et puis finalement, à bien y regarder, une fois habitué à l’intensité des projecteurs dont se dégage une chaude lumière, on en vient à penser que ce lieu est un théâtre à la mesure de l’événement qui s’y joue. Sous la nef du Grand Palais, sont regroupées des centaines de véhicules de collection s’exposant aux yeux de quelques badauds, mais surtout de fins connaisseurs, passionnés ou investisseurs. Étalés sur leur lit de moquette, autos, motos, et autres véhicules motorisés attendent qu’un coup de marteau vienne sceller leur sort. Le marteau, c’est le garant de la vente aux enchères, son résumé, en tout cas la symbolique qui accompagne autant qu’elle détermine le moment où l’un de ces biens changera de propriétaire. Au premier, et au seul coup de marteau, l’objet acheté prendra une nouvelle destination qui lui permettra de continuer son histoire. Un garage, une route, un circuit, un musée… C’est bien un musée vivant qui s’expose sous nos yeux. De magnifiques autos aux chromes rutilants (130 voitures étaient à acquérir cette année lors de cette vente Bonhams), de toutes les époques et de tous les styles, certaines estimées à bien plus d’1 million d’euros, mais aussi quelques motos. Comparé à la part prise par l’automobile, le contingent des motos s’avère réduit (à peine plus de 10 %). Cependant, quant au choix des modèles proposés, au-delà des marques qui sont différentes bien entendu (même si on a découvert là-bas que MV Agusta avait produit des camionnettes), il y a une cohérence dans les époques retenues, et dans l’état évidemment exceptionnel de ces engins. Parmi la quinzaine de deux-roues proposés, on trouvait pas mal de Ducati. Modernes, anciennes, mais toujours des sportives. La « vedette » de cette vente moto aura été
la plus récente du lot, une 990 Desmosedici RR de 2009, affichant 10 kilomètres au compteur, et qui a été attribuée à 61 000 € (hors frais qui s’élèvent à environ 20 % du prix sous le marteau). Un tarif intéressant pour l’acheteur, sûrement même une bonne affaire pour une moto dont la cote est amenée à continuer de grimper. En même temps, nous ne saurons pas si le nouveau propriétaire l’aura achetée dans le but de réaliser un investissement spéculatif, ou simplement pour avoir le bonheur de rouler sur une MotoGP homologuée pour la route, et parfaite pour envisager le circuit. Des quinze modèles vendus, l’essentiel le sera soit par téléphone, soit par Internet. Et d’ailleurs, les enchères sur les motos n’auront pas été à la hauteur des espérances, ni des vendeurs, ni de la maison de vente Bonhams. On est loin des ventes réalisées en Angleterre ou aux USA quand les Brough Superior et les Vincent s’échangent pour plusieurs centaines de milliers d’euros. Le record à ce jour pour les motos de collection étant détenu par une Brough Superior 750 BS4 des années 1930 vendue plus de 430 000 €, elle-même encore bien loin de la Harley-Davidson « Captain America » chevauchée par Peter Fonda dans le film Easy Rider et vendue aux enchères pour 1,35 million de dollars (1,26 million d’euros)... À Paris, les stars étaient clairement du côté de l’automobile, bien moins de celui de la moto. Une particularité logique, comme nous
l’explique Christophe Gaime, rédacteur en
chef de Moto Revue Classic : « La vente aux enchères, ce n’est pas une tradition française, mais bien anglo-saxonne. Nous, notre culture, c’est la petite annonce et le bouche-à-oreille. Les plus grosses ventes aux enchères sont organisées aux USA et en Grande-Bretagne, c’est là-bas que les records tombent pour les Brough Superior et les Vincent. Ils en viennent même à y vendre des pièces détachées pour ces motos. Il y a une vraie culture de l’achat aux enchères dans ces pays, les ventes ont aussi parfois un but caritatif. La vente aux enchères, c’est aussi une manière d’étaler sa richesse, même si les ventes les plus importantes se font souvent sous couvert
d’anonymat. » Lors de cette vente parisienne, les sommets (au moins sur les motos) n’ont pas été atteints, les acheteurs sont restés discrets.
Le marteau qui tombe ne garantit pas la vente
Tellement discrets dans leurs enchères qu’il n’est pas certain qu’ils soient devenus propriétaires des modèles qu’ils convoitaient, comme nous l’explique Paul Gaucher, spécialiste de la division auto chez Bonhams : « Toutes les motos vendues ici avaient un prix de réserve, c’est-à-dire un prix minimum sous lequel le vendeur décide de ne pas vendre. Ce prix n’est pas connu des enchérisseurs, seulement du vendeur et du commissaire-priseur (Ndlr : la personne qui tient le marteau et mène la vente). En général, le prix de réserve est compris dans l’estimation inscrite au catalogue de vente. Même si le marteau tombe pour clore la vente d’un lot, si le prix de réserve n’est pas atteint, la vente n’est pas validée. » Pour l’essentiel des motos présentées au Grand Palais, les enchères seront restées en deçà, souvent bien en deçà, des estimations. Le marteau est ainsi tombé à 5 000 € pour une NSU 241 de 1939 (prix estimé entre 9 000 et 12 000 €), à 16 000 € pour une Terrot 500 de 1917 (estimée initialement entre 17 000 et 22 000 €), à 3 200 € pour une Gilera 175 de 1957 (entre 6 000 et 9 000 €), ou encore 34 000 € pour une Bimota 748 de 1985 (estimation allant de 40 000 à 50 000 €). Loin des records des ventes anglaises ou américaines peut-être, mais une spécificité que Bonhams entend continuer de cultiver, puisqu’elle est la seule maison de vente à posséder un département moto. Mais au fait, comment prépare-t-on un catalogue de vente aux enchères Paul Gaucher ? « Bonhams étant seul sur la place, beaucoup de propriétaires viennent naturellement à nous. Après, nous avons une base de données, un carnet d’adresses, qui nous permet de cibler les vendeurs potentiels et nous leur proposons alors de vendre leurs motos. La sélection des modèles se fait en
fonction de la rareté, de son état, de son historique, mais aussi en fonction du prix sur lequel on doit s’accorder avec le vendeur puisque l’on se doit d’être plus attractif que lors d’une vente classique, qu’une vente de gré à gré. Aux enchères, il y a aussi une commission acheteur (Ndlr : environ 20 %, donc). Tout mis bout à bout, on ne doit pas être plus cher qu’une vente classique. » Même dans un tel lieu, avec des modèles prestigieux, l’intérêt est parfois d’espérer pouvoir y réaliser une bonne affaire mais à cela, deux conditions. La première, que les enchères ne s’emballent pas, ce qui est toujours possible (et le but pour les maisons de vente – on le rappelle – commissionnées sur les achats) mais qui n’a pas été le cas à Paris. La seconde, soit que le prix de réserve soit bien en deçà du prix de vente estimé, soit qu’il n’y ait pas de prix de réserve du tout ! Ce qui n’a pas été le cas non plus pour les motos de cette vente parisienne (c’était vrai pour certaines autos).
21 jours pour se mettre d’accord
Mais ce qu’on fait jouer dans une maison de vente de produits de luxe, c’est l’expertise. « Pour Bonhams, l’intérêt d’une vente aux enchères, c’est déjà d’y trouver des modèles assez exceptionnels. Ça permet aussi, pour les vendeurs, de prendre conscience de la valeur du modèle qu’ils désirent vendre. Parfois, ils n’en ont aucune idée, parfois ils le surévaluent, notre expertise permet de mettre le modèle en perspective avec le marché. Ensuite, la magie des enchères est de réunir de nombreux acheteurs potentiels qui vont peut-être permettre au vendeur de réaliser une jolie plus-value » , poursuit Paul. Plus-value potentielle, moins-value possible (assujettie à la présence ou non d’un prix de réserve), l’issue est au moins double… Parfois plus… Il est ainsi possible, lorsque le prix de réserve s’approche de l’enchère, qu’une négociation s’installe entre la maison de vente et le vendeur afin de déterminer si ce dernier accepte de laisser partir le bien. Quoi qu’il en soit, même après que le marteau est tombé au moment où le commissaire-priseur lance son traditionnel « adjugé ! », la maison de vente reste engagée avec ses vendeurs 21 jours après la vente. Dans ce laps de temps, si un acheteur se dédit, au-delà des pénalités financières qui lui seront adressées, la maison peut décider soit de proposer de nouveau le bien lors d’une vente ultérieure, soit si l’écart avec le second acheteur n’était pas si éloigné, entamer une discussion avec lui pour tenter de finaliser la vente. Ces 21 jours, c’est le délai légal imparti pour tenter de trouver un accord entre vendeur et acquéreurs. Et les accords, apparemment, finissent souvent par se trouver… En témoigne le chiffre d’affaires réalisé pour l’année 2016 par le secteur motorisé au coeur des ventes aux enchères. Il serait proche d’1,5 milliard d’euros.