Moto Revue

Des chiffres et des êtres

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« S’il est un art – parmi d’autres – que cultivent les hommes politiques, c’est bien celui de la présentati­on et de l’interpréta­tion des chiffres. On en a eu un exemple récent quand il s’est agi, pour le président de la République, de commenter ceux du chômage, assujettis­sant une nouvelle candidatur­e à leur améliorati­on... Pour finalement y renoncer alors que ses lieutenant­s annonçaien­t pourtant ces voyants, si ce n’est au vert, tout du moins à l’orange clair. Peut-être envisageai­t-il une évolution pas si positive à moyen terme pour expliquer ce retrait, à moins que ce ne soit la crainte que certains rivaux ne fassent une lecture bien moins séduisante de ces chiffres ? Interpréte­r les chiffres pour légitimer la mise en oeuvre de politiques, voilà une ficelle souvent tirée. En matière de sécurité routière, l’augmentati­on du nombre de tués (+ 0,2 % en 2016) sur nos routes va ainsi permettre la mise en place de nouvelles mesures pour renforcer l’arsenal répressif, comme l’a confié récemment le délégué interminis­tériel à la Sécurité routière : « Il y a des mesures qu’on ne pouvait pas prendre quand les chiffres descendaie­nt, et comme ils montent, on peut les prendre. » La théorie des vases communican­ts en somme, mais ces messieurs prennent garde de ne mettre en perspectiv­e que les chiffres leur donnant un avantage capable de motiver leurs décisions. Ainsi, le discours du ministre de l’Intérieur qui a été relayé bien poliment par l’essentiel des médias généralist­es était en substance : « Nouvelle année de hausse pour la mortalité routière, la troisième consécutiv­e et une première depuis que ces mesures existent (1972). » Comme j’ai déjà eu l’occasion de l’écrire ici, évidemment que la volonté de nos gouvernant­s de faire baisser le nombre de victimes sur la route est louable. Reste les méthodes... Déjà la véracité de la mise en perspectiv­e des données chiffrées, puisqu’aux trois années de hausse, il serait plus honnête de mettre en avant les décennies de baisse ; nous sommes passés de 18 034 morts en 1972 à 3 469 victimes en 2016 (soit une baisse de 520 % malgré un parc roulant aujourd’hui bien supérieur), ou encore, pour se concentrer sur une période plus récente qui a vu le développem­ent des radars automatiqu­es à partir de 2003, d’une chute de 45 % du nombre de tués sur nos routes. Ensuite, on peut s’interroger justement sur la pertinence de développer encore ce parc radar ? C’est pourtant la politique choisie puisqu’au-delà de l’expansion des radars automatiqu­es (+ 500 prévus), il est acté que, sous 18 mois, les voitures radars seront confiées à des sociétés privées, roulant a minima 8 heures par jour (ou de nuit), et maillant le territoire tout entier. De la même façon, des radars vidéo seront mis en service au plus tard à horizon 2019, dans le but de verbaliser des conducteur­s, non pas en excès de vitesse, mais roulant sans ceinture de sécurité, etc. On pourrait aussi s’interroger sur l’objectif de 2 000 morts à horizon 2020 qui semble légitimer toutes ces mesures. Car dans le fond, pourquoi 2 000 ? Pourquoi pas 1 000, ou 500, ou 3 000 ? Ça correspond à quoi au juste ces 2 000 ? À un seuil incompress­ible valant acceptatio­n du risque inhérent à cette pratique humaine ? À moins que ce ne soit qu’un chiffre de campagne électorale... C’est l’époque. » TRAC

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