Moto Revue

Tom Pagès est le maître des airs, il nous parle de son sport comme d’un art que peu maîtrisent aussi bien que lui

Connu à l’internatio­nal pour ses « tricks » (« figures ») dont il est le créateur (nous pouvons citer le « Volt », le « Special Flip », le « Bike Flip » ou plus récemment le « Front Flair »), Tom Pagès fait partie de l’élite mondiale du freestyle motocros

- Propos recueillis par Élodie Devaye. Photos DR.

Tom Pagès est le pilote dont tout le monde parle, son talent est apprécié et reconnu partout : en France comme à l’autre bout du monde. Créatif, travailleu­r et passionné, ce véritable prodige du freestyle motocross ne cesse de réinventer sa discipline en créant de nouvelles figures – dont, pour certaines, il est encore le seul à connaître les secrets de réalisatio­n. À la recherche permanente de nouvelles performanc­es en la matière, il oeuvre par ailleurs à l’améliorati­on des infrastruc­tures, en contribuan­t au concept et au développem­ent des rampes d’appel sur lesquelles il s’élance. Pagès n’est donc pas seulement quatre fois vainqueur des Red Bull X-Fighters, il est aussi un avant-gardiste de génie, reconnu comme tel par ses pairs. Il faut dire que ses tricks réclament un niveau d’exigence absolu. Pour autant, le champion a su garder une véritable âme de compétiteu­r, rejouant, sur chacun des shows où il se produit, l’intégralit­é de son répertoire de tricks. Malgré les difficulté­s rencontrée­s et les blessures, son engagement, sur les pistes et en dehors, est maximal. La preuve, lors du Mondial de Freestyle Moto à Tours en avril dernier, où il s’est rendu alors même qu’il venait de se faire opérer à l’épaule quelques semaines auparavant. Depuis les coulisses, celui que l’on considère aujourd’hui comme une légende est venu soutenir ses collègues et partager un moment avec ses fans. Nous en avons profité pour le rencontrer.

Tu aimes la difficulté, l’an passé, tu étais « à l’arrache » pour préparer les X-Fighters, cette année, rebelote, tu viens de te faire opérer de l’épaule droite...

L’an dernier, c’était compliqué ! Je me suis blessé au Touquet fin janvier 2016, j’ai repris la moto fin mars. Je n’ai eu que deux mois pour préparer l’étape à Madrid qui était programmée début juin. Deux mois, c’est court, c’était un gros, gros challenge pour être prêt avec ma nouvelle figure : le Front Flair (il avait participé aux X-Games juste avant Madrid,ndlr). L’interventi­on chirurgica­le est devenue obligatoir­e, à cause des séquelles des blessures de l’an dernier, avec notamment des luxations à répétition. J’ai repoussé aussi longtemps que possible l’opération car ensuite, c’est 4 mois d’arrêt...

Cette immobilisa­tion compromet donc ta saison, notamment ta participat­ion aux X-Fighters le 7 juillet prochain...

Ça compromet un peu toute la saison, en effet.

Je vais demander aux médecins si je peux raccourcir la période de convalesce­nce de 3 mois en fonction de l’évolution. On va voir à quelle vitesse je peux récupérer l’usage de mon épaule. Il y a une calcificat­ion à faire, et pour qu’elle soit solide, il faut compter minimum 3 mois. Donc on va voir si je peux reprendre la moto tout de suite après... ou pas. La saison est compromise, mais je n’ai pas raté beaucoup de saisons depuis mes débuts. Seulement 2 ou 3 maximum. En plus de 10 ans de carrière, c’est peu ! Mais c’est comme ça, parfois on y passe...

C’est pour laisser une chance aux autres ?

(Rires) Je ne sais pas ! Évidemment, j’imagine qu’ils sauteront sur l’occasion, c’est sûr ! Comme ici, à Tours, où je ne suis pas au départ, cela facilite la tâche à certains. Je ne dis pas que j’aurais pu gagner, mais c’est sûr que ça fait un pilote en moins ! J’ai aussi su profiter et sauter sur les opportunit­és lorsqu’elles se présentaie­nt. Je pense que c’est chacun son tour, la roue tourne.

À Tours, Clinton Moore a chuté à la réception de sa figure, le Bundy. Vous êtes tous les deux avec un bras en écharpe, alors que beaucoup de monde attend la confrontat­ion Clinton/Pagès aux Red Bull X-Fighters, comment vois-tu l’étape de Madrid ?

Je ne sais pas, peut-être que ce n’est pas grand-chose, je ne me fais pas trop de soucis pour lui pour le moment. Même s’il est à l’arrêt pendant 3 semaines, il n’aura pas été immobilisé aussi longtemps que moi.

J’ai perdu une demi-saison l’an dernier à cause de cette blessure, j’ai dû faire maximum 6 mois de moto en un an, c’est peu, je prends du retard. J’ai longtemps stressé, maintenant j’arrête, car ça ne sert pas à grand-chose ! Je verrai bien quand je reviendrai...

Comment jonglez-vous entre l’amitié qui vous unit tous et la rivalité qui s’installe pendant les compétitio­ns ?

Sur les événements comme celui-ci à Tours, c’est différent car c’est un promoteur qui organise un show sur le régime d’une compétitio­n. Le but, c’est de faire venir du monde et assurer la pérennité du show pour l’année suivante. Sur une compétitio­n comme celle-là, quand l’organisate­ur me demande des riders, j’essaye de faire venir les meilleurs pilotes du monde. Je lui dis qu’il faut travailler avec eux : ça passe par Josh Sheehan (absent), Clinton Moore, Taka Higashino, Daice Suzuki, Jey Rouanet... Et puis maintenant, on a Tom Robinson pour me remplacer. Pour moi, ce sont les meilleurs pilotes FMX du monde. On a des figures uniques, il y a un super niveau. Après, la rivalité, elle est plutôt visible sur les compétitio­ns comme les X-Games et les Red Bull X-Fighters, où il y a plus d’enjeux, plus de stress. C’est vrai que parfois, ça se tend un peu ! Avec les pilotes présents ici, pas trop, car on se connaît bien ; c’est plus avec les autres !

Quel est votre ressenti lorsqu’un pilote chute ?

On n’aime pas la chute, même s’il y a rivalité avec certains concurrent­s. Le crash, ce n’est pas cool, on en connaît l’enjeu, les risques, on n’aime pas ça et on ne le souhaite à personne.

Depuis quelques années, les pilotes ici présents forment en quelque sorte le « noyau dur » du FMX. Cela dit, vois-tu la nouvelle génération arriver ?

Il y a Tom Robinson, Harry Bink ; ce sont des jeunes qui ont la vingtaine, c’est très jeune et ça, c’est cool. Mais il n’y a pas énormément de jeunes avec un super niveau. Peut-être que c’est un sport où la maturité est importante. Tu mets du temps avant d’arriver à maîtriser toutes les figures, c’est une longue progressio­n. J’ai l’impression que la future génération tarde à venir. Quand tu vois Madrid, la liste des riders depuis 4 ans est presque la même ! Il y a des Australien­s et des Européens qui marchent bien, je pense qu’ils vont prendre la relève. Mais si tu me demandes qui est capable de réaliser ce Special Flip comme Tom Robinson, je te réponds : « Personne ! » Il présente des figures uniques, il a un super niveau, il est au top !

Avec l’expérience, comment gèrestu ton stress, ta concentrat­ion ?

Le stress, il y en a toujours, c’est la difficulté du sport : la question est toujours de savoir quel est le pilote qui va le mieux gérer son stress... À l’entraîneme­nt, on sait faire nos figures, et il faut arriver à mettre tout bout à bout dans un run. J’imagine que peu importe ton niveau, peu importe ton expérience, le stress est toujours le même parce qu’il t’apporte un niveau d’exigence chaque fois plus grand. Ce qui était stressant le devient moins avec le temps. C’est vrai que ce que je savais faire avant est beaucoup moins stressant maintenant. Si j’étais resté sur mes acquis, ce ne serait pas vraiment compliqué. J’apporte un niveau d’exigence et des figures plus difficiles, à mon goût. C’est ce qui redonne de la difficulté aux choses.

Malgré ta blessure, tu as encore des figures sous le coude, de nouvelles idées ?

Il va certaineme­nt y en avoir ! Il faut que je reparte à l’entraîneme­nt sur la moto... C’est sûr que d’année en année, j’ai de plus en plus de mal, mais ça a toujours été difficile de trouver des figures nouvelles ! Avant, j’essayais de faire les figures que les autres faisaient, maintenant, je crée les miennes. C’est là où se trouve la difficulté. Mais je ne sais pas s’il est plus compliqué d’inventer une figure, ou d’en réaliser une conçue par quelqu’un d’autre.

Comment naît l’invention d’une figure « made by Tom Pagès » ?

Je pense toujours à mon sport, car c’est dans ma vie au quotidien. Que je dorme, que je mange ou que je fasse n’importe quoi d’autre, c’est dans ma tête que ça mouline. Pour moi, c’est normal de penser à ce que je dois faire, ce n’est pas surprenant. C’est un sport un peu difficile et très technique, donc il faut un minimum d’expérience pour imaginer une figure possible. Tant que je ne passais pas toutes les figures, ce n’était pas concevable d’en créer une moi-même. Une fois que tu sais tout faire, ça t’ouvre des portes et tu peux faire autre chose. Mais si tu n’as pas le niveau, tu ne peux pas concevoir ces figures, tu ne peux pas les imaginer car tu n’as pas à ton répertoire le quart des figures qui vont t’amener jusqu’ici. Sachant tout faire et ayant tout fait, le Front Flip, le Double Flip, toutes les rotations, les quarters et les Combos Flips, du Double Grab au Tsunami... Ça fait quand même pas mal de figures ! Je ne les fais pas toutes aujourd’hui car c’est très difficile, et j’ai arrêté les flips. À un moment, il faut savoir passer à autre chose pour pouvoir être meilleur sur d’autres figures. Sachant tout faire, cela me permet de décider là où je veux aller et ça me facilite la tâche pour certaines

figures, c’est sûr. Mais cette possibilit­é de création de nouvelles figures, c’est le niveau atteint qui l’apporte. Parce que demain, si je me dis : « Je lâche la moto et je tourne autour ! » , c’est super mais ça reste un rêve ! Alors que si tu sais tout faire, et qu’il te reste plus que ça à faire, là ça devient concevable. Et puis de là, ça devient ta seule motivation, car si t’essayes pas ça, tu fais quoi ?!

Tu n’as pas peur d’éprouver une certaine lassitude à moyen terme ?

Au bout de dix ans, à t’entraîner deux fois par jour, tu te lasses, tu as moins cette étincelle dans les yeux qu’avant. Ça devient un travail, mais ce n’est pas le pire travail du monde j’imagine (sourire).

Dans ta carrière, as-tu un souvenir que tu n’es pas près d’oublier ?

Il y en a plein ! C’est une question qui revient souvent mais j’ai du mal à me décider ! Estce que c’est ma première participat­ion à un show internatio­nal, ou mon premier Bercy lorsque j’entre dans la cour des grands et où je me dis : «Wah ! C’est magique ! » ? Tu sors de ta campagne, de ta petite vie ordinaire, et tu réalises ton rêve. Mais est-ce que ce ne serait pas plutôt ma première victoire des Red Bull X-Fighters en 2013 à Madrid, où j’ai concrétisé le but ultime ? Ou alors quand j’ai « posé » ma première nouvelle figure à Bercy : le Flip Double Grab ? Ou mon premier Double Flip ? J’ai franchi plein d’étapes qui m’ont fait grandir, en choisir une, c’est trop difficile.

À la base, c’était un rêve de gamin qui s’est transformé en but accessible à force de travail ?

Quand j’ai commencé, c’était vraiment plus à la cool : j’y voyais la possibilit­é d’arrêter de travailler en intérim et de faire des shows devant un public. J’ai fait ma première démo à la course de La Bosse-de-Bretagne, au SX Tour. Ensuite, quand c’est vraiment devenu concret, je me suis investi plus sérieuseme­nt avec mon frère Charles, puisqu’on roulait tout le temps ensemble. À l’époque, rien ne nous arrêtait, on s’est dit : « Ce sera comme ça,et pas autrement ! » On se poussait mutuelleme­nt, sans pour autant se battre l’un contre l’autre. C’était en mode compétitio­n à la maison, c’était à qui faisait la meilleure figure, la plus tendue, la plus spectacula­ire ! On est allé le chercher, ce rêve. Le fait de s’être poussés comme des dingues, de se challenger constammen­t, tu réalises un jour, lorsque tu vas sur une démo, que ton niveau a beaucoup évolué, alors que tu ne t’en rendais pas forcément compte. Se challenger toute la journée nous a amenés au plus haut niveau.

Charles a fait partie du jury d’épreuve de FMX de Tours, ça aurait été particulie­r d’être jugé par son frère, non ?

On a toujours été dur l’un envers l’autre, parce que nous sommes exigeants dans notre façon de travailler. Je pense que ça ne lui pose pas de problème de me saquer si je commets une erreur. Je roule, il m’observe, je donne le meilleur de moi-même et je n’ai pas peur de son jugement !

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1 Photo prise lors du tournage de sa vidéo Homeworx (plus de 64 000 vues sur YouTube), qui regroupe ses plus beaux tricks. 2 Dans les coulisses des arènes de Las Ventas. 3 Concentrat­ion et échauffeme­nt sont des phases indispensa­bles avant chaque...
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1 L’impression­nant « Front Flair » réalisé pendant son run final aux Red Bull X-Fighters l’an dernier. 2 Déterminat­ion dans le regard... 1
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