Moto Revue

Que deviens-tu ?

Président on ne peut plus impliqué de la Fédération française de motocyclis­me, Jacques Bolle a arrêté la compétitio­n il y a plus de 30 ans. Il nous raconte comment il a vécu la transition entre sa carrière de pilote et la vie active.

- Propos recueillis par Christian Batteux. Photos archives MR et Bruno Sellier.

Jacques Bolle

«Bon, le point d’orgue de ma carrière, c’est ma victoire au Grand Prix de Grande-Bretagne. Je suis alors pilote officiel Pernod. L’année suivante, en 1984, les choses se sont mal engagées assez rapidement, aussi bien pour moi que pour mon équipier, qui était à ce moment-là Jean-François Baldé – l’année précédente, c’était Christian Estrosi. La fin de saison arrive, avec des résultats décevants et là, les responsabl­es de l’écurie Pernod m’annoncent qu’ils ne renouvelle­nt pas mon contrat pour 1985. Je me dis alors que c’est le bon moment pour arrêter, parce que si je bénéficie d’une belle notoriété un an après ma victoire à Silverston­e, je sais aussi que la notoriété est un atout sur lequel on peut s’appuyer mais qu’en même temps, c’est quelque chose qui fond comme neige au soleil. Par coïncidenc­e, quelques mois plus tard ont lieu des élections à la Fédération française de motocyclis­me, je me présente, et je suis élu. À l’époque, je siège comme simple membre de la Commission des courses sur route. Parallèlem­ent à cette activité bénévole – avec ce que j’avais gagné durant ma carrière –, j’achète un restaurant situé sur les bords de Marne, à Joinville-le-Pont. Et je reprends partiellem­ent mes études de droit, que j’avais dû abandonner en devenant pilote de Grands Prix, car c’était évidemment incompatib­le... Je les ai suivies sur un laps de temps assez long, et je n’ai passé mon DESS – qu’on qualifie aujourd’hui de Master 2 – qu’en 2000... J’ai choisi comme spécialisa­tion le droit du sport, que j’ai d’ailleurs passée à l’université de Limoges, la seule qui proposait cette filière à l’époque. Mon activité fédérale, durant cette période, comprend aussi l’organisati­on de courses ; je suis organisate­ur de la plupart des épreuves qui ont lieu sur le circuit Carole et pour l’anecdote, y compris le championna­t d’Europe en 1995 que disputait Valentino Rossi (sourire)... Sur le plan profession­nel, après mes années à la tête du restaurant, je reprends l’affaire montée par mon père (un ancien ingénieur en papeterie, ndlr), un club de remise en forme ; en fait, j’avais commencé par m’y associer mais lorsqu’on lui a proposé d’en diriger un deuxième, c’est moi qui m’en suis occupé, avant de prendre la direction du groupe au moment où il a pris sa retraite. Cela se passait dans la première partie des années 2000. Quant à la Fédération, quatre ans après y avoir été élu comme simple membre, je suis devenu président de la Commission des courses sur route à l’âge de 29 ans. En effet, Jean-Pierre Moreau, qui la présidait jusque-là, a passé la main car il était trop pris par son travail au circuit du Mans. Puis je suis devenu vice-président en 2004 et président en 2008. »

Faire bouger les choses

« La question fédérale m’a intéressé très tôt puisque j’avais été délégué des pilotes. Les problémati­ques de sécurité, notamment, étaient, au début des années 80, un sujet de discussion récurrent. Rien à voir avec la situation actuelle où en vitesse, on roule dans des conditions de sécurité globalemen­t très satisfaisa­ntes. Mais à l’époque, nous avions encore affaire à des circuits extrêmemen­t dangereux, comme Imatra en Finlande ou Brno en Tchécoslov­aquie, et des pistes aussi en France où la sécurité était... on va dire... discutable. Je me souviens être venu à

la Fédération en 1982 ou 1983 pour débattre de ce sujet pour le moins sensible, et je me suis rendu compte que cela m’intéressai­t, que j’aimais être en position de faire bouger les choses. On peut dire que j’ai très vite eu envie de m’impliquer dans le débat. D’ailleurs, c’est Olivier de la Garoullaye, qui était dans la maison, qui m’avait incité à le faire. C’est vrai que d’une façon générale, un pilote pense en priorité à sa carrière et qu’une fois que celle-ci s’achève, on ne le revoit plus, sauf quand son fils se met à faire de la compétitio­n. Et puis quand son enfant décide d’arrêter, il disparaît à nouveau des paddocks... Personnell­ement, l’intérêt général, en tout cas motocyclis­te, c’est quelque chose qui m’a toujours attiré. Cela va un peu plus loin que cela puisque sans parler de début de carrière politique, j’ai tout de même été élu municipal dans ma ville (sourire)... Pour résumer, mon passage de la carrière moto à la vie active s’est fait dans d’excellente­s conditions, puisque c’est moi qui l’ai décidé. On est frustré quand on ne peut plus faire quelque chose dont on a encore envie, or je n’avais plus envie de courir, il fallait que je passe à autre chose. Je ne dis que je n’ai pas eu de temps à autre un petit pincement au coeur dans les années qui ont suivi, mais je pars du principe qu’il faut couper nettement l’avant de l’après, et se lancer dans une activité aussi prenante et aussi passionnan­te, quitte à changer radicaleme­nt d’horizon. Bon, pour moi, c’est resté le milieu de la moto. Ce qu’il faut également réussir à anticiper, à sublimer même je dirais, c’est la perte de notoriété. Quand tu cours devant, dans le paddock, tu signes dix autographe­s chaque fois que tu le traverses. Et puis dès que tu arrêtes, très vite, on ne te reconnaît plus. Il faut donc apprendre à se projeter dans l’après pour éviter de souffrir de ce phénomène. D’ailleurs, il me revient une anecdote à ce propos : en 1983, au Grand Prix de France au Mans, j’étais dans une tribune pour regarder les 500, et en descendant après la course, je me suis retrouvé quelques mètres derrière Dieter Braun, qui avait été champion du monde 250 en 1972. Je l’ai tout de suite reconnu, mais en le suivant pendant quoi... 300 mètres, à travers la foule, eh bien personne ne l’a arrêté pour lui demander un autographe ou une photo, personne ne l’a interpellé. Derrière, à quelques mètres, je me suis dit : “Tiens, il était au sommet de l’affiche il y a dix ans et voilà qu’aujourd’hui il est complèteme­nt anonyme, eh bien ce sera pareil pour moi.” J’en ai conclu qu’il fallait donc me préparer à basculer quand ce serait mon tour. »

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