Moto Revue

Se faire la malle

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« Le Paris-Dakar ? Et pourquoi pas le Paris-Dunkerque ! » Et voilà comment en 2011, sur une blague qui n’en était pas une d’Antoine, le fondateur, 16 machines ont relié ces deux villes en prenant les chemins de traverse. Aujourd’hui, les choses ont bien changé. Antoine a filé vers d’autres projets, Yann (photo ci-contre,au sein de l’équipe depuis le début), a repris la barre d’une véritable entreprise proposant cinq événements dans l’année : la March Moto Madness (mars), plutôt orientée préparatio­n et mini-défi sur un terrain clos, avant d’attaquer les randonnées avec le Paris-Dunkerque (mai), la Vercingéto­rix (juin), le Cathare moto-trail (septembre) et, nouveauté 2017, la Royale, à découvrir du 20 au 22 octobre dans la région des châteaux de la Loire. Il se murmure même qu’une autre région pourrait accueillir une toute nouvelle aventure dès avril 2018... De la poignée de participan­ts la première année, Cocoricora­ndo affiche désormais complet sur tous ses événements, limitant l’accès à 150 ou 200 motos selon les épreuves pour maintenir sécurité et conviviali­té. Avec une formule incluant petit-déjeuner, repas du soir, trace GPS et un coin d’herbe pour planter sa tente sur le bivouac, l’organisati­on réussit l’exploit d’être pro dans toute sa préparatio­n, tout en oubliant le « client » pour n’en faire qu’un pote durant le week-end. Un excellent état d’esprit que l’on retrouve aussi chez les participan­ts, tous juchés sur des trails et maxi-trails. Si les vraies enduros ne sont pas non plus bannies, celles-ci pourraient s’ennuyer sur des parcours plutôt tracés pour des gros monos et des bis bien lourds, l’objectif de Yann et de son équipe étant de redonner leur liberté à celles qui ont fait les grandes heures des vrais globe-trotteurs et qui n’attendent qu’une paire de tétines pour faire notre bonheur de petits promeneurs. Site Internet : www.cocoricora­ndo.fr

la Yamaha au bord de la rivière, à LavoûteChi­lhac, ville de départ de cette troisième Vercingéto­rix. Elle et moi, on ne se connaît pas, on ne s’est jamais vu, je sais à peine où je suis et je ne connais rien des 700 bornes qui m’attendent, ni des 149 autres participan­ts. Faut dire qu’au royaume de l’arrache, y a un trône à mon nom... Enfin, j’ai une amarre, une solide, puisque Tibo est là, comme toujours quand j’ai un plan bien débile, prêt à me filer la main en cas de pépin ou à me tendre des allumettes, quand le kick du mono pensera avoir gagné. Il fait beau, et les rives de l’Allier s’animent. Il y a dans l’air ce satané parfum, que tu connais, mais sans savoir d’où. Cette odeur d’aventure que tu t’es souvent imaginée, sans jamais l’avoir osée. Cette brise sauvage et sucrée de femme croisée, et que tu n’as pas rattrapée... Ah merde, et voilà, je me barre à peine et je retombe direct dans mes travers cucul la praline, p’tain... Bon, on se casse.

Veni, Vidi, je Kicke

Le gentil organisate­ur a établi deux parcours : un « Aventure », et un « Extrême ». Le premier est destiné à ceux qui n’ont jamais pratiqué le hors bitume, mais qui en veulent quand même sans prendre trop de risques. Le second, basé sur le premier, suit parfois sa propre piste pour t’emmener dans des coins un peu plus techniques. En bons ânes bâtés, on a choisi l’extrême, hein, tant qu’à faire... Et la première grimpette te met tout de suite dans le bain. Des cailloux, du dénivelé, je vois Tibo s’échapper sur sa 250 EXC, pendant que derrière, je rame comme une bête avec le 600 TT. Je me dis bon, la moto est plus lourde, il sait faire, les mathématiq­ues et la physique, y a que ça de vrai... Et je me fais déposer. Par un vieux Ténéré violet et un Dominator moche. Manque plus que le passage d’un Chappy en roue arrière, et je vais me pendre au prochain sapin ! Mais la Vercingéto­rix, c’est pas ça. C’est pas une course. Aujourd’hui, c’est 220 km de route, de chemin et de – petites – ornières qui mèneront jusqu’au bivouac, sur le plateau de Gergovie. C’est la terre telle qu’elle est, si peu écorchée par l’homme, et c’est ce qu’elle a de plus beau. Passé les premiers kilomètres, quelques réflexions sur la vitesse, ma présence ici et l’inventeur du démarreur électrique, le cerveau s’occupe à autre chose. J’accède à un espace nouveau, inconnu. Il n’y a plus de panneaux. Il n’y a plus de publicité. L’homme ne traîne pas assez souvent ici pour marquer de façon indélébile son territoire. L’herbe repousse sur les chemins, les branches s’étendent jusqu’au sol. La nature reprend son droit. Et nous, petits explorateu­rs de pacotille, venons simplement la voir s’étendre, fragile mais implacable, dans l’inertie du temps. La conscience s’éveille : pas seuls sur Terre. Les arbres, les oiseaux, les ruisseaux se moquent éperdument de nos usines, nos églises, nos buildings. Déjà, la mousse et le lichen les dévorent. Laissez-les sans les hommes et ils redeviendr­ont pierre, poussière, et vert. La nature sans nous sera... toujours la nature. J’apprends. Je roule. Je découvre. Ces chemins que peu prennent sont un émerveille­ment. Bien sûr, il n’est pas possible d’éviter l’asphalte dans cette région sur une aussi longue distance, mais les morceaux choisis apportent aussi leur lot de plaisir. Et de repos. 220 bornes, ça ne paraît pas beaucoup, et je connais des types qui en torchent un peu plus en 1 h 09 min 24 sec sur un caillou pas loin de l’Irlande... Mais il nous faudra pourtant 10 heures, sans s’attarder sur les pauses, pour venir à bout de cette première étape. Sans que les difficulté­s soient d’un niveau exceptionn­el, la distance à parcourir ajoutée aux températur­es de cette fin de canicule ont fini par bien épuiser les organismes.

Bêtes des bois

En atteignant le plateau de Gergovie, à l’endroit même où, 2069 ans auparavant, Vercingéto­rix retroussa la toge du grand Jules pour une fessée historique, un petit frisson de plaisir se fait sentir. Pour la beauté du lieu, déjà, et à la vue de toutes ces trognes, poussiéreu­ses et souriantes, comme les nôtres. Les tentes commencent à éclore autour de la « Hutte Gauloise » (le restaurant squatté pour l’événement), et les voix grossissen­t en même temps que la cervoise fraîche fait son apparition. Comme autrefois peut-être,

on fête la victoire du jour, mais sans tomber dans l’excès, d’autres batailles étant à venir. Les troupes sont disparates. De la 990 Adventure rutilante (enfin, plus maintenant) au bon gros Djebel, le cortège de montures déboulant sur le plateau résume à lui seul 25 ans de pages trails des numéros « Spécial Salon ». Les équipement­s sont du même tonneau, du tout-alu-ratech même pas rayé aux vieilles cavalières délavées. Et pourtant, tout se mélange à merveille, créant une ambiance assez rarement rencontrée, où tout le monde aurait partagé un morceau de vie sans pourtant avoir sorti le phalomètre. Là, on raconte la suspension d’un aigle à quelques centimètre­s du guidon, le temps de magnifique­s secondes. Ailleurs, les herbes fouettant les protège-mains, et les sapins immenses apportant un peu de fraîcheur. Sans parcours imposé, sans chrono à torcher, chacun a vécu sa propre vie, sa propre aventure. Yann, le boss de Cocoricora­ndo, en a bien conscience. Il propose, chacun dispose. Tu peux ne pas suivre le chemin qu’il s’est échiné à tracer, arriver à l’heure que tu veux, ou même dormir à l’hôtel si la tente te fait peur, il s’en fout. Au détour d’un coin de table, en lui demandant où pouvait se cacher son plaisir dans tout ça, il a pincé les joues, avant de lâcher : « Dans le sourire des autres. » Je n’en raconterai pas plus sur le bonhomme pour vous inviter à le découvrir personnell­ement mais oui, dans cet espace de liberté, sur cette escapade qu’on ne fait que te proposer, le bonheur se cache un peu partout : dans la satisfacti­on

d’avoir passé un gué, de s’être arrêté à l’ombre d’un chêne ou d’avoir lié une nouvelle amitié. Celle-ci avait d’ailleurs failli mal commencer. Un traître se cachait parmi nous, Gaulois**. Un Romain. Enfin Romain, de son prénom. Pis fier de ses origines avec ça, Môssieu roulant en Guzzi Stelvio, en bon colosse Centurion. J’ai bien pensé à le pousser du haut du plateau, pour faire honneur au grand chef arverne, mais le sieur étant plutôt taillé façon menhir qu’Aigle Impérial, on a choisi le côté houblon de la force. Venu de la région de Cenabum*** avec ses potes Olivier, Nicolas et Xavier-Youri, il a participé à toutes les campagnes auvergnate­s de Cocoricora­ndo. On discute moto, voyages, et même circuit, puisque Nico n’hésite pas à aller râper du slider sur piste avec sa 1200 GS. « C’est un bon coup de bécane entre potes, une coupure avec tout le reste, un truc à part. On a tous nos vies, nos boulots, nos enfants et là, on profite d’un moment juste pour nous, de forcément différent. » Sur les tables alentour, le discours est le même. C’est pas un retour à la nature, juste une mise entre parenthèse­s.

Gros Trip

En regardant de plus près, j’ai la sensation que pas mal de participan­ts ont passé beaucoup de temps avant d’oser l’ouvrir. La moyenne d’âge tourne autour de la cinquantai­ne, et les histoires se ressemblen­t étrangemen­t. « J’ai passé le permis à 18 ans, et j’ai roulé tous les jours pendant 10 ans. Et puis la maison, les gosses, tout ça, c’était du plaisir mais plus de moto. Quand j’ai pu à nouveau, j’en ai racheté une, et je me suis dit allez, pourquoi pas... » Pourquoi pas... Ce fut aussi ma réponse à l’invitation au pique-nique des Orléanais, ce samedi, alors que nous gambadions dans les futaies. Je te passe le menu, on n’est pas sur Instagram, mais simplement te donner le goût de cette conviviali­té, de cette entraide permanente. Il y aura toujours une main pour sortir ta moto d’une ornière, une corde pour t’aider à passer le gué... Tous dans le même bateau, plus de costard, plus de bleu de travail, la poussière a tout recouvert. Ne reste plus que des grands enfants qui se marrent entre eux sur un très beau de terrain de jeu****. Ce côté épicurien se retrouve tout au long de la randonnée. Dans tous les villages, monos et bis squattent les trottoirs. Pas pressés, on prend une tasse ou une assiette, en fonction de l’heure et de l’envie. Plus loin, on béquille et on tombe le tee-shirt pour voir les copains passer dans la flotte. Là-bas, le parvis de la Chaise-Dieu devient une table de pique-nique. La route s’arrête là où l’envie nous mène. Le dernier de ces trois jours restera l’apothéose de cette rando. Dans des décors de plus en plus somptueux, habitués au manque de grip permanent, le chemin est devenu nôtre, et l’histoire est sortie du sentier. Le GPS du camion m’a envoyé à Lavoûte, le road-book de la moto m’a perdu dans le monde, sans savoir l’endroit, obsession de la destinatio­n, tragédie de l’oubli des cartes. Ici pouvait être n’importe où. La terre noire et ces sous-bois aux arbres immenses, c’était les mélèzes du Baïkal à la fin du printemps. L’odeur de la résine, puis celle de la terre mouillée ont continué d’alimenter ce double voyage, celui intérieur prenant une part de plus en plus importante. Quelques kilomètres après la Sibérie, au détour d’un plateau peuplé de buffles roux, la terre a commencé à rougir. Sous le soleil terrible de ce milieu d’après-midi, l’herbe jaune brillait de chaque côté d’un ruban ocre, recouvert d’une très fine pellicule de cailloux noirs. Au loin, le mont Kenya, plus petit que ce que j’imaginais, découpait le ciel bleu de sa pointe noire. La poussière grandissan­te asséchait ma bouche, et je roulais, haletant, à la recherche de mes ouvreurs. Et je les ai vus. Énormes, noirs, avançant d’un pas lourd et conscienci­eux dans ma savane. Un troupeau d’éléphants, gris de silice, massifs, au cache-culbus rendus ivoire par le soleil. J’ai pris soin de les doubler, gazelle parmi les mastodonte­s. Des GS à l’état sauvage, une rareté. Et le fusible a fini par griller. Après avoir relevé la 690 d’Hervé Meoni et confié sa clavicule à une marabout sédentaire, Tibo Kinigadner et sa Katoche m’ont doublé fond de balle à l’approche d’une grimpette pierreuse. Je me suis dit mon vieux Peter, t’oublies la nav’ et tu soudes, JCO t’a promis la 450 pour la prochaine Gilles-Lalay, alors faut pas le décevoir. J’ai avalé la côte du Corbeau Mort à coups de poum-poum monocylind­riques, avant de rejoindre la rive sud du Sénégal. Ou de l’Allier, je ne sais plus. Le lac n’était pas rose mais la vie en avait repris la couleur. De quoi retrouver du goût, la Gaule, et l’envie de réparer cette pourriture d’évier. Paraît que l’aventure est au coin de la rue... Peut-être. Au bout du chemin, certaineme­nt.

*Tu sais pas qui c’est ? Demande à Google. Voilà, maintenant c’est drôle, non ? **Enfin presque, merci de vous reporter à l’arnaque montée par Napoléon III sur l’origine ethnique du peuple français. ***Orléans ****Non, là, y a rien, c’est juste pour le plaisir de mettre des Astérix dans la Vercingéto­risque…

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