Moto Revue

« MARC RESTE POUR MOI LE VÉRITABLE DANGER »

À la tête du service course Yamaha, Lin Jarvis se prépare à une fin de saison animée. Le retour de Rossi, l’évolution de la M1, le parcours de Viñales... Autant de sujets que le Britanniqu­e évoque avec nous.

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Le retour de Valentino Rossi n’est-il pas prématuré ?

À partir du moment où le pilote se sent de remonter sur sa moto et qu’il obtient le feu vert des médecins, il n’y a aucune raison de s’y opposer. De plus, avec encore cinq courses à disputer, tout reste possible. On a vu ce qui s’est passé à Singapour lors du dernier Grand Prix de F1 (accrochage au départ entreVerst­appen, Räikkönen et Vettel,ndlr). Puisque c’est possible, physiqueme­nt comme mathématiq­uement, Valentino veut jouer le coup et nous sommes là pour l’aider à y parvenir.

Pourquoi avoir choisi Van der Mark pour le remplacer si besoin ?

Nous avions le choix entre quatre pilotes. Nos deux pilotes d’essai, Nakasuga et Kozane, ainsi que nos deux représenta­nts en Mondial Superbike, Lowes et Van der Mark. La logique aurait voulu qu’on fasse appel à Nakasuga, mais il participe actuelleme­nt à des tests importants au Japon. Alex ayant eu la chance de rouler sur la M1 du team Tech3 l’an dernier, nous avons décidé de donner la sienne à Michael. Il devra finalement attendre une autre occasion...

Ne serait-il pas temps de demander à vos pilotes de limiter les activités à risques durant la saison ?

Tous les pilotes s’entraînent à moto aujourd’hui. Le niveau de la compétitio­n est de plus en plus relevé et ils doivent s’entraîner comme des athlètes. C’est d’autant plus vrai pour Valentino qui, à 38 ans, a besoin de redoubler d’efforts pour se maintenir au niveau de ses jeunes rivaux. Sa blessure en enduro aurait pu arriver à n’importe qui. Il se baladait avec ses copains comme il le fait tous les samedis. Il a juste posé son pied au mauvais endroit. Sa blessure avant le Mugello était en revanche la conséquenc­e d’une prise de risque peut-être inutile, à la réception d’un saut. Valentino s’entraîne sur les pistes de son ranch depuis des années et il ne s’est jamais blessé.

Les contrats n’étaient-ils pas plus restrictif­s par le passé ?

Pas chez nous. La seule chose que nous leur interdison­s, c’est de participer à des courses de vélo. Il n’y a aucune protection et c’est quelque chose de très dangereux.

Comment décririez-vous cette saison 2017 ?

De façon plutôt positive. Sans vouloir sembler trop confiant ou optimiste, et malgré la blessure de Vale, je pense pouvoir dire que nous sommes encore bien placés dans la course au titre. Je ne sous-estime pas pour autant nos adversaire­s, et notamment Marc. Car même si Dovizioso est compétitif, Marquez demeure pour moi le véritable danger, c’est notre plus sérieux rival. Sinon, jusqu’à présent, cette saison 2017 a été assez étrange dans son déroulemen­t. Nous avons entamé le championna­t très fort après de bons essais hivernaux. Maverick Viñales a gagné les deux premières courses, il s’est à nouveau imposé au Mans... Et puis ensuite, ça s’est compliqué. Nous avons rencontré des difficulté­s et surtout connu deux grosses désillusio­ns à Jerez et à Barcelone, sur deux circuits où Valentino avait gagné l’an dernier. Cela a été pour nous un véritable choc.

Un choc ?

Oui, car nous ne nous y attendions pas. Au-delà du fait que la victoire nous a échappé, nos deux pilotes ont terminé très loin. Nous n’avons jamais été dans le coup sur deux circuits où, normalemen­t, nous sommes très performant­s. Cela n’a fait que confirmer ce que nous supposions, à savoir que les pneus que nous utilisons cette saison ont une fenêtre de fonctionne­ment très étroite. Et qu’il faut impérative­ment s’y trouver. Nos adversaire­s l’ont également expériment­é. Je me souviens qu’au Mugello, Honda s’est soudaineme­nt retrouvé hors du jeu. On a donc connu des moments difficiles sans trop savoir comment les gérer. C’est ce qui nous a amenés à développer un nouveau cadre et un nouveau bras oscillant.

Comment développe-t-on un nouveau cadre sans comprendre vraiment les problèmes ?

Nous avions des idées mais nous ne savions pas si elles seraient bonnes. C’est pour cela que nous sommes partis un peu dans tous les sens avec des évolutions différente­s. Nous avions pour référence les pilotes Tech3, et quand ceux-ci nous battaient, on se disait que, finalement, la moto de l’an dernier n’était pas si mal que ça... On se demandait comment nous avions fait pour perdre le chemin. Je dois dire qu’il y a eu pas de mal de confusion au cours de toutes ces semaines.

Vous n’avez jamais été tenté de revenir au modèle 2016 ?

Non, ça n’est pas quelque chose que les ingénieurs imaginent. Nous avons en revanche utilisé le cadre 2016 comme référence pour comprendre comment nous en étions arrivés là. Une part de notre problème a aussi été la perte de confiance de Maverick. Après son très bon début

de saison, il avait du mal à comprendre et à se remettre en selle. Le mental est tellement important dans ce sport...

Quel rôle Valentino a-t-il joué durant cette période difficile ?

Il nous a été très utile, sans l’ombre d’un doute. Son expérience est énorme, au niveau de la course, mais aussi du fait de sa connaissan­ce de la M1 et des pneus. Il est notre point de référence. Quand Maverick est arrivé, il a tout de suite aimé le cadre 2017. Il a été très rapide avec, et Valentino a dû s’y adapter. Mais quand, sur certains tracés, les choses se sont compliquée­s, c’est là que nous avons pu mesurer que nous avions gagné d’un côté mais aussi perdu ailleurs. Mettre au point une moto de cours est une affaire de compromis. Il faut être certain que ce que tu gagnes d’un côté est plus important que ce que tu perds de l’autre.

Diriez-vous que Valentino est aujourd’hui une ancre pour votre équipe ?

Je ne crois pas qu’il aimerait que j’emploie ce terme à son égard...

On peut quand même dire que c’est lui qui empêche votre navire de dériver...

Oui, mais une ancre, c’est aussi ce qui empêche d’avancer. Disons plutôt qu’il est notre pilier central. On peut chercher ailleurs, mais ses connaissan­ces et ses capacités d’analyse sont uniques. À Brno, Maverick était en difficulté jusqu’à ce qu’il décide d’essayer les réglages de Valentino. Et cela l’a sorti d’affaire. En début de saison, c’était le contraire. L’expérience de Valentino peut parfois être un fardeau. Il peut se montrer trop perfection­niste et perdre du temps sur des détails durant un week-end de course.

Même s’il repousse l’échéance, Valentino finira bien par prendre sa retraite. Pensez-vous qu’il restera lié à Yamaha ?

J’en suis certain. La question est maintenant de savoir : «Jusqu’à quand va-t-il courir ?» Ça me fait sourire de repenser au début de l’histoire, en 2004... Son premier contrat était de deux ans. Il ne voulait ensuite prolonger que pour un an parce qu’il pensait à la F1. Dix ans plus tard, nous sommes toujours là, à supputer la date de sa retraite. Sa décision de rester avec nous reflète parfaiteme­nt la passion qu’il nourrit pour la moto. Je suis certain qu’il restera lié à cet univers parce que c’est le sport qu’il aime par-dessus tout. Il a développé un véritable business autour de ça, et pas seulement avec ses équipes en Moto2 et Moto3. Il est très investi dans son Académie, et je ne le vois pas s’en éloigner durant les dix années à venir. Et tant qu’il est là, même si rien n’est écrit, il y a entre nous un contrat moral. Nous serons toujours prêts à discuter de ce qu’il voudra.

Avec Maverick, vous avez un nouveau talent qui représente l’avenir. Au-delà de ses performanc­es, que pensez-vous de lui ?

Je ne le connais pas encore très bien. Cela ne fait même pas un an que nous travaillon­s ensemble. Il en faut plus pour bien se connaître. Ce que je peux dire, c’est que c’est un bon gars et que je l’aime bien. Il s’entraîne dur, il est très motivé... Il a beaucoup de talent et il ne se complique pas la vie. On voit pas mal de jeunes pilotes aujourd’hui qui ont tendance à s’éparpiller. Ça n’est pas son cas. Il est vraiment très concentré sur l’objectif qu’il s’est fixé. Il veut réussir et il s’en donne les moyens.

L’ambiance est-elle très différente aujourd’hui dans l’équipe ?

Oui, bien sûr. Viñales et Lorenzo ont des personnali­tés très différente­s, et il n’y a pas du tout le même vécu entre Maverick et Valentino qu’entre Valentino et Jorge. Il n’y a jamais eu de conflit entre Viñales et Rossi, c’est plus facile à gérer. Ils ont une bonne relation, et une vision de la course assez semblable.

Avez-vous suffisamme­nt appris en 2015 avec ce qui s’est passé en fin de saison pour éviter qu’une telle situation ne se reproduise ?

On apprend toujours de ce qu’on vit. Maintenant, je dirais que la façon dont nous avons géré tout ça fut la meilleure possible. C’est sûr que si j’avais su ce qui allait se passer, j’aurais peut-être demandé à mes pilotes de faire les choses autrement. J’aurais ainsi conseillé à Valentino de ne pas balancer en public ses accusation­s sur Marquez et la course de Phillip Island. Cela aurait évité que Marc ne se comporte comme il l’a fait à Sepang avec les conséquenc­es que l’on connaît. Mais comment aurionsnou­s pu deviner ce qui allait arriver ?

Il y a aussi eu l’attitude de Jorge sur le podium et sa réclamatio­n après la course...

C’est quelque chose que nous lui avions demandé d’éviter. S’il ne l’avait pas fait, la dynamique aurait été tout autre. Nous n’aurions pas vécu les frictions que nous avons connues dans l’équipe et nous aurions pu fêter le titre dans une bien meilleure ambiance.

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