Moto Revue

Entretien

Johann Zarco pour une interview réalisée lors du GP des Amériques avec un journalist­e du cru

- Par Eric Johnson. Traduction Christian Batteux. Photos Jean-Aignan Museau.

Réalisé à Austin, au Texas, dans le cadre du Grand Prix des Amériques, cet entretien avec Johann Zarco, Hervé Poncharal et Guy Coulon est un instantané daté du 22 avril dernier. Depuis, le GP d’Espagne est passé par là mais les propos tenus il y a quinze jours restent pertinents, comme vous allez le constater...

Avant-propos : cet article a été écrit par Eric Johnson, un confrère américain qui a rencontré Johann Zarco, Hervé Poncharal et Guy Coulon à Austin, dans le cadre du Grand Prix des Amériques, l’avant-veille de la course, puis a rédigé son texte après qu’elle a eu lieu. Depuis que ces lignes ont été écrites et traduites par nos soins, le Grand Prix d’Espagne s’est déroulé à Jerez (voir page 100), sans que l’on connaisse bien sûr ses résultats au moment de boucler cet article (vendredi 4 mai, ndlr). D’autres nouvelles ont été officialis­ées depuis (par exemple l’annonce de sa signature avec KTM pour 2019 et 2020), d’autres exploits ont peut-être été signés par le Français... Il n’en reste pas moins vrai que, sous la signature d’Eric Johnson, émerge la perception que peuvent avoir des observateu­rs étrangers à l’encontre de Johann Zarco, et que ce point de vue décalé nous a paru intéressan­t à plus d’un titre. Il explique pourquoi la cote mondiale de Johann Zarco est à la hausse depuis un long moment. Vu par un Américain, le pilote français est une valeur refuge à privilégie­r dans ce monde incertain de la course motocyclis­te au plus haut niveau... Une opinion majoritair­e en France, mais qui se propage désormais largement à l’internatio­nal, comme le souligne Eric Johnson ci-après.

Hervé Poncharal en a vu beaucoup, depuis les trois dernières décennies passées à la tête d’une équipe engagée en championna­t du monde de vitesse, mais tandis qu’il parle derrière les rideaux baissés du box Monster Yamaha Tech3 attenant à un circuit des Amériques fouetté par la pluie, il n’est pas difficile de se rendre compte qu’il n’a jamais eu affaire à un pilote de la trempe de Johann Zarco auparavant. « Avant, il y a eu Marc Marquez, Valentino Rossi, Jorge Lorenzo et quelques autres, avance-t-il une heure après que Zarco a arrêté le chronomètr­e officiel sur un temps de 2’04’’210 – suffisant pour lui assurer une quatrième position sur la grille de départ du Grand Prix des Amériques, le lendemain. Johann fait maintenant partie de ce groupe. Je pense qu’il a tout bon. Il peut devenir champion du monde MotoGP. Il a déjà gagné deux titres en Moto2, il sait donc

comment gérer une saison. Il appréhende parfaiteme­nt la catégorie MotoGP. Il sait ce qu’il doit faire de différent par rapport à la Moto2. Et lorsque tu désires quelque chose aussi fort que lui et que tu as son talent pour l’obtenir... eh bien, il est impossible de dire qu’il ne gagnera jamais ce championna­t. C’est l’un des cinq ou six mecs qui peuvent le faire. » Guy Coulon, le chef mécanicien de Zarco, ajoute son grain de sel à son tour : « Je ne sais pas ce qui se passera à l’avenir mais je suis sûr d’une chose : Johann est le meilleur débutant en MotoGP depuis Marquez. »

« Surfer sur cette vague de réussite »

Johann Zarco, originaire de Cannes, sur la Côte d’Azur, est la dernière et la plus grosse sensation que le sport ait vue depuis un bout de temps. Double champion du monde Moto2 en 2015 et en 2016 – c’est le seul pilote à avoir accompli pareil exploit depuis la création de cette catégorie intermédia­ire en 2010 –, c’est un individu tranquille, intensémen­t concentré, qui veut clairement devenir le premier Français à remporter un titre en catégorie reine. Et il peut le faire. Rookie of the year (« Révélation de la saison ») en 2017, il est monté trois fois sur le podium, a terminé haut la main meilleur pilote indépendan­t en achevant l’année à une remarquabl­e sixième place finale : Zarco, qui a une main droite de feu, continue sur son élan à l’orée d’une quatrième saison fracassant­e de suite. « C’est vrai que les choses se sont plutôt bien enchaînées, approuve-t-il alors qu’au dehors, une pluie fine tombe désormais sur le circuit texan, qu’il contemple tout en réfléchiss­ant pour formuler sa réponse. Le premier titre Moto2 était déjà quelque chose d’incroyable, le deuxième encore meilleur et ensuite, je pensais que j’aurais peut-être de nouveau la vie dure en MotoGP… Mais ça a été le contraire : j’ai tout de suite eu de grandes sensations et la confiance est montée en flèche à partir du moment où j’ai fait de bons résultats, dès mes débuts dans la catégorie. J’espère à présent surfer sur cette vague de réussite, profiter de cette période que je veux vraiment faire durer pendant plusieurs années. » Basé en Provence, dans le Sud de la France, le team Tech3, sous l’insistance et avec le support de Yamaha, s’est retrouvé dans la mêlée de la catégorie reine en 2001 ; depuis les dix-sept dernières années, Poncharal et ses collègues ont donc compté dans leurs rangs des talents tels qu’Alex Barros, Colin Edwards, Ben Spies, Cal Crutchlow et Andrea Dovizioso, auxquels ils ont permis de s’exprimer, souvent avec brio. À la tête d’une équipe satellite indépendan­te, Poncharal est en permanence à la recherche de la prochaine merveille à débusquer, et avec Zarco, il semble qu’il

ait tapé dans le mille. « Moi, Hervé Poncharal, je dis toujours : “Je ne suis pas Monsieur Je-sais-tout.” Je tiens à garder une attitude humble. La plupart du temps, les meilleurs pilotes Moto2 marchent bien en MotoGP. Johann, il a gagné deux titres de suite, je savais donc qu’il allait être bon. Est-ce que je m’attendais à ce qu’il réalise tout ce qu’il a réussi l’an dernier ? Non. Ce qui s’est produit était au-dessus de mes attentes et au-dessus de ses attentes. Rappelez-vous son tout premier Grand Prix pour nous : il a mené la course avant de faire une petite faute de rien du tout. Il aurait pu se battre pour le podium dès cette première épreuve. Il a achevé l’année au sixième rang mondial, révélation de l’année, meilleur pilote indépendan­t, il est monté trois fois sur le podium tout en figurant cinq ou six fois en première ligne après les essais. Alors non, je ne m’attendais pas à tout cela. J’étais heureux de l’avoir pris chez nous parce que je savais que c’était un bon mec et un pilote rapide, mais je pensais que le processus d’apprentiss­age serait plus long. »

« Là où je veux être »

La campagne 2018 de Johann Zarco a commencé sur une note élevée quand le Français de 27 ans a émergé du troisième et ultime test de pré-saison se déroulant sous les projecteur­s du circuit de Losail, au Qatar, avec le meilleur temps en poche. Une quinzaine de jours plus tard à peine, il revenait pour le lever de rideau officiel lors du Grand Prix du Qatar où il accrochait la pole position et menait ensuite la meute MotoGP pendant 17 des 22 tours de course au guidon de son YZR-M1, avant que son pneu avant ne rende l’âme et qu’il descende à la huitième place. Cependant, ce fut une performanc­e et une course épiques, qui illustrent parfaiteme­nt le style coulé, réfléchi et même détendu de Zarco au guidon de sa machine. « Sur toutes les motos de course, il faut faire de ton mieux dans les virages et en même temps que tu es au maximum de tes possibilit­és, il faut parvenir à te détendre, explique-t-il lors de notre entretien. Ce n’est pas un exercice facile à réaliser, mais quand tu y arrives, tu éprouves un sentiment tellement positif que ça rend tout ce que tu fais positif... Chaque fois que je monte sur la moto, je sens le potentiel que j’ai à son guidon, et avec plus d’expérience, je serai capable d’utiliser la machine de mieux en mieux et en permanence. Bien sûr, je suis toujours en train de progresser. La catégorie MotoGP, c’est là où je veux être. Je ne m’attendais pas à être aussi rapidement aux premiers rangs, mais je vais utiliser cette chance que j’ai pour continuer de travailler dur pour y rester. Tout est une question de feeling, mais si l’on considère toutes les choses qui me restent encore à essayer et à comprendre, je ne suis pas au bout de mes expérience­s. » Zarco continue en pointant le fait que bien que Valentino Rossi et Maverick Viñales bénéficien­t du meilleur matériel en tant que pilotes officiels, lui se sent ne faire qu’un avec sa Yamaha Tech3, tout en appréciant à leur juste valeur les informatio­ns qu’il peut glaner en provenance de l’Italien et de l’Espagnol. « J’apprends beaucoup d’eux et je pense que ça fait de moi un meilleur pilote, affirme-t-il. Cela veut aussi dire que la Yamaha est une bonne moto, puisque les deux versions – officielle et satellite – fonctionne­nt très bien. Nous avons une super machine et je le sais. Personnell­ement, je reste extrêmemen­t concentré pour tirer le meilleur de la moto et je peux constater qu’en l’utilisant à son niveau optimal, eh bien je me bagarre pour la victoire ou pour les podiums. »

« Sa vie est occupée à 90 % par la compétitio­n »

Durant la saison 2017, le Français est parvenu à prendre le dessus sur Rossi et Viñales et à devancer les deux pilotes officiels Yamaha à six reprises. Sur son élan, il a bien failli gagner le récent Grand Prix d’Argentine, en ne lâchant pas le leader de la course, Cal Crutchlow, et en ne s’inclinant que pour 0’’251 seconde, un cheveu en somme. Là encore, il a épaté son boss, Hervé Poncharal : « Tous les pilotes sont des gens spéciaux, et quand je dis “spéciaux”, j’entends par là qu’ils sont un peu dingues ; tu dois forcément être différent d’un type ordinaire pour faire ce qu’ils font. Johann est très concentré et ne se laisse pas perturber par son environnem­ent. En réalité, à ce

moment de sa carrière, je dirais que sa vie est occupée à 90 % par la compétitio­n. Il roule à moto, il s’entraîne physiqueme­nt et il visionne un maximum de courses MotoGP, qu’il regarde à longueur de journées. Il est très, très concentré. C’est un gros travailleu­r, tu aurais du mal à y croire. Je n’ai jamais eu avec moi un pilote qui travaille aussi dur que lui. Jamais. Il est peut-être le pilote qui travaille le plus que j’aie vu au cours de ma carrière en Grands Prix, et je commence à me faire vieux (sic). J’ai travaillé avec beaucoup de pilotes, mais un qui bosse autant que lui, je pense que c’est la première fois. Et quand il te dit quelque chose, tu sais que tu peux lui faire confiance. En sports mécaniques, tu as l’homme et la machine, il est donc facile, quand le pilote ne se sent pas au top, de pointer son doigt vers la moto pour invoquer tel ou tel problème, avec la suspension, le cadre, les pneus ou encore le moteur. Or, il arrive parfois que Johann nous dise : “La moto est OK. C’est moi qui ne vais pas bien. Ne touchez pas aux réglages.” Nous pouvons compter sur lui et lui faire confiance. » Le jour du Grand Prix, le circuit des Amériques écrasé de soleil baignait dans une atmosphère idéale pour une épreuve qui allait durer 20 tours.

« Je cours pour être champion du monde »

Sur un tracé où la puissance moteur est un facteur clé de la course, Zarco et sa M1 étaient un peu justes sur ce plan, mais il réussit à s’insérer en sixième position sur la ligne d’arrivée, en étant, une fois encore, le meilleur pilote indépendan­t du jour. Et bien sûr, tout cela n’est pas passé inaperçu puisqu’à la fin de cette saison, Zarco sera libre de tout contrat (c’était avant qu’il ne signe chez KTM, ndlr). C’est pour cette raison précise qu’il est devenu un pilote que l’on s’arrache dans le paddock fréquenté par les plus hauts décideurs du monde la moto. « J’aimerais beaucoup l’avoir dans notre équipe, dit Poncharal en regardant son équipe démonter et placer dans les caisses tout le matériel destiné à repartir vers les terres spirituell­es des GP en Europe. Tout se goupille bien ces derniers temps. Nous formons un bon groupe. Nous lui faisons confiance et c’est réciproque. Je pense qu’il y a un respect mutuel et ce n’est pas quelque chose que l’on voit très souvent. Nous savons qu’il est objectif et honnête, nous comprenons ce dont il a besoin, il sait comment nous travaillon­s. De ce fait, nous nous entendons très bien, nous partageons les mêmes points de vue… J’aimerais beaucoup le garder, mais ce ne sera pas facile parce que Johann mérite maintenant un statut de pilote officiel, il doit avoir une usine derrière lui pour développer une moto 100 % officielle. » Zarco, de son côté, a fait une longue pause avant d’évoquer sa possible destinatio­n pour la saison 2019. « Je prends mon temps pour décider dans quelle équipe je roulerai parce que je veux être en mesure de me battre avec les top pilotes. Je dois dire que le team Tech3 a été incroyable. Ils sont tous français dans cette équipe et c’était la première fois que je travaillai­s avec des Français ; j’ai aussi beaucoup apprécié ce groupe parce qu’on s’amuse en dehors du travail. Mais quand on bosse, nous sommes extrêmemen­t sérieux et vraiment concentrés sur nos tâches. J’ai un feeling avec eux que je n’ai jamais eu auparavant, alors bien sûr, je me sens bien pour m’exprimer quand je prends la piste. » Pour le moment, l’objectif numéro un de Zarco, ainsi que de toute l’équipe Tech3, est de gagner une course en 2018. « J’espère et je rêve que ça arrive avant la fin de l’année, dit Poncharal en ponctuant ses propos d’un large sourire. C’est extrêmemen­t difficile de gagner une course en MotoGP, mais avec Johann, nous pouvons le faire. » Zarco, avec des méthodes de travail qui lui sont propres, n’est pas obsédé par cette première victoire, mais plus déterminé que jamais pour faire tout ce qui est en son pouvoir pour accélérer le processus qui fera de lui un vainqueur de Grands Prix autant qu’un champion du monde potentiel. « Je n’attends pas cette première victoire, je travaille dur pour l’obtenir, ce qui n’est pas tout à fait la même chose. Il n’y a pas de frustratio­n. Quand nous sommes engagés sur un week-end où les choses s’enchaînent de façon moyenne, nous devons nous reprendre et réaliser que oui, nous nous battons pour la victoire en MotoGP et que c’est déjà en quelque sorte un rêve éveillé que nous vivons. Je cours pour être champion du monde ; le but, par conséquent, est de gagner des courses et d’être champion MotoGP au moins une fois, puis de voir ensuite si je peux répéter ça. »

« Je n’attends pas ma première victoire, je travaille dur pour l’obtenir, ce n’est pas la même chose »

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