Essai dynamique À CONTRECOURANT
Le contre-courant, ce n’est pas celui d’un Sportster tel qu’on le connaît et que le comportement de cette Iron 1200 confirme, mais bien ce particularisme propre aux Harley-Davidson qui ne font décidément rien comme les autres.
Ne cherchez rien de rationnel dans le charme qui opère en prenant le guidon d’une Harley. Enfin, ça dépend du moment. Si le moment où vous enfourchez ce Sportster suit celui que vous avez passé à profiter du spectacle visuel offert par cet assemblage d’acier, par ce côté brut de la matière, par la force qui s’en dégage, par l’association des couleurs et par l’équilibre esthétique qu’il propose, alors jusque-là rien d’anormal – et même tout de logique – à apprécier se poser sur la selle type café racer et à saisir le guidon « mini-Ape » de cette Iron 1200. Cette moto en jette pas mal, normal d’être sous le charme. Là où le côté un peu irrationnel de la chose se met en branle, c’est justement quand l’ensemble devient mobile et que dans nos cerveaux de journalistes habitués à tester tout un tas de genres et de styles de motos, les comparaisons se font. Là, si on se concentre sur des données brutes, totalement objectives, l’Iron 1200 entre alors dans une phase critique de turbulences, ou dans une phase de turbulences critiques, comme vous voulez. On peut ainsi considérer que pour 11 290 €, on nous propose une moto très sèche de suspensions (et une garde au sol très limitée), dans l’absolu plutôt inconfortable donc, animée par un moteur plutôt poussif ne développant que 65 chevaux, associé qui plus est à une boîte de vitesses à la sélection trop ferme, ralentissant plus que freinant véritablement, et ne proposant aucune assistance électronique autre que celle imposée par les normes d’homologation (ABS avec Euro 4). Dans l’absolu donc, soyez convaincu que n’importe quel petit roadster japonais proposé à moins de 7 000 € assure des prestations dynamiques largement supérieures à celles de ce Sportster 1200 Iron. Mais ce constat, la clientèle de Sportster HD s’en tamponne le coquillard, au sens figuré comme au sens propre, elle qui accepte – et qui aime – se tanner le cuir sur les selles du constructeur américain. Parce qu’une Harley, c’est tout sauf une histoire de compromis, encore moins de performance. Ce n’est pas une quête de prise d’angle, d’accélération, de freinage de trappeur, ce n’est pas plus la recherche d’une position naturelle, ou confortable... Ce n’est simplement pas une histoire de pilotage. Rouler en Sportster, puisque c’est elle qui nous intéresse ici (mais la démonstration vaudrait aussi pour d’autres modèles du catalogue), c’est passer outre l’essentiel des critères objectifs pour entrer dans son propre univers.
Si elle a des défauts, ils sont assumés et charmants
Un univers plus rugueux, où le temps ne défile pas à la même vitesse, où on ne lit pas la route mais où on prend plaisir à la parcourir, se faisant chahuter quand le goudron devient irrégulier, s’amusant à faire frotter les repose-pieds et les protections de tubulures d’échappement quand l’asphalte devient lisse, s’appliquant à bien passer les rapports dans un « clong » caractéristique avant d’essorer l’accélérateur pour rejoindre le virage suivant. C’est le plaisir ininterrompu de faire partie du paysage, de prendre le temps de le respirer, de tourner la tête à 360° pour ne rien manquer. Rouler en Sportster Iron 1200, c’est prendre le temps de découvrir, à commencer par le décor
dans lequel elle évolue, et ces sensations caractéristiques conduites par des vibrations qui ne sont jamais gênantes quand on ne cherche pas à évoluer trop haut dans les tours. Son bon espace de vie, sur un rapport enclenché en quatrième par exemple, c’est après 2 000 tr/min (en dessous, ça cogne très désagréablement), et plutôt entre 2 800 et 3 800 tr/min. Là, le twin ronronne, reprend bien, allonge, et affirme son avantage comparé à celui de 883 cm3. Ces chevaux en plus, ce couple en plus, c’est le supplément d’âme qu’il manquait à la 883. Avec la 1200, on va plus loi dans le choix de la destination mais aussi dans la durée. Ce sera une moto que l’on garde, que l’on fera évoluer par touches. Changer peut-être le guidon, même si nous l’avons trouvé très sympa (large mais pas trop haut finalement), adopter une autre selle (pourquoi pas pour accueillir un passager)... Une moto évolutive que ses futurs acquéreurs devraient avoir envie de faire évoluer plus longtemps. Alors bien sûr, comme on l’a dit, ce Sportster a des défauts, mais il vit très bien avec, les assume, et pour beaucoup, c’est même ce charme qui leur plaît. S’offrir une moto vivante, vibrante, qui en ne vous ménageant pas vraiment d’un point de vue dynamique, vous préserve aussi de certaines tentations. Avec elle, contrairement à d’autres, à l’approche d’un certain rythme, les « warnings s’allument », vous faisant comprendre que plus, ce sera forcément trop. Alors, on rentre dans le rang, ou plutôt on en sort, pilotant une moto qui détonne d’avec le reste de la production. Une moto très attachante qui fait de ses défauts des qualités, pour peu qu’on soit sensible à la petite musique qu’elle vous fredonne à l’oreille.