Moto Revue

Que deviens-tu ?

Guillaume Dietrich

- Propos recueillis par Christian Batteux. Photos Bruno Sellier et archives MR.

Bon, j’ai arrêté en 2013 parce que j’en avais envie tout simplement. J’avais monté le team GD Performanc­e qui fonctionna­it plutôt bien, ce n’était pas le problème, c’était plutôt qu’à 30 ans, j’avais l’impression d’avoir fait le tour de la question. Je voulais faire autre chose de ma vie et construire quelque chose de solide pour plus tard. Cela faisait 16 ans que je roulais en compétitio­n... J’avais déjà un peu préparé ma reconversi­on : en fait, je travaillai­s parallèlem­ent dans le domaine de l’immobilier avec un associé. Lorsque j’ai arrêté la course, je suis allé aider ma mère dans son auto-école, mais très vite, j’ai monté ma propre entreprise immobilièr­e avec ma femme, sur Orléans. Tout ce que je fais aujourd’hui, c’est la course qui me l’a appris. Déjà, la course m’a appris à me vendre, à prendre des risques, à gérer des gens... J’ai mis un peu de temps à me trouver mais j’ai eu la chance de bien réussir ma reconversi­on. Le métier de pilote, c’est des contrats d’un an, c’est extrêmemen­t précaire. Quand je me suis fait mal en 2010, j’avais la confiance des sponsors, je suis revenu mais combien n’y arrivent pas ? Je vois trop de mecs dans le paddock continuer de chercher des guidons, essayer de prolonger encore un peu leur carrière... Moi, je ne voulais pas arriver à cette situation, je voulais être libre de choisir la fin. Mais j’ai bien conscience de ma chance. La course ne me manque pas du tout, ça va bientôt faire cinq ans que j’ai arrêté et bon, ça continue sans moi et c’est très bien comme ça. Sur les chantiers, je ne parle jamais de ma carrière de pilote, ça en étonne toujours certains… Et puis je suis très bien entouré par ma femme, ma mère, des amis comme William (Costes), Jeff (Jean-François Cortinovis), Gilles Della Posta d’Eurosport, des gens qui sont aussi des exemples pour moi, ce qui m’aide dans la vie de tous les jours... Je suis heureux d’avoir été pilote de haut niveau, heureux d’avoir gagné de grandes courses, et je suis content d’avoir arrêté au bon moment. »

« La course moto m’a tout appris »

« Pour faire court, mon activité consiste à acheter des biens, à les retaper complèteme­nt et à les revendre ensuite après rénovation. Ça peut être des maisons ou des immeubles entiers. Je ne vais pas dire que je fais dans le haut de gamme mais quand même, ce sont des biens, disons de standing. On a une belle clientèle orléanaise, et un beau catalogue. Avant, avec ma femme, on avait monté des boutiques qui n’avaient pas marché, on a tout fermé. En se lançant dans l’immobilier, on s’est dit qu’on allait appliquer dans ce business tout ce qui marchait dans la course. Et c’est ce qu’on a fait pour les méthodes de vente, pour monter des événements... La course m’a éclairé sur un tas de choses qui me servent aujourd’hui, alors que j’ai arrêté l’école assez jeune, je ne ressens pas de manque de ce côté-là. La prise de risques, la faculté de relever des challenges, tout ça me vient de ce que j’ai vécu auparavant dans la moto. La course, c’est à double tranchant. Ça peut t’emmener vers le côté obscur (sourire), dans la dépression, de ne pas savoir quoi faire après pour continuer, ou à l’inverse, t’aider à rebondir en appliquant les bonnes méthodes. Tout est aussi une histoire d’hommes : BMC, c’est du bonus mais je le fais avec plaisir parce qu’on est sur la même longueur d’ondes tous ensemble. La course te permet aussi de rencontrer des gens de milieux sociaux très divers, ça m’est utile à présent pour mes affaires. De toute façon, quand on a de la mémoire,

La reconversi­on après la compétitio­n, un sujet épineux pour ceux qui n’ont pas spécialeme­nt préparé ce changement de vie radical. Guillaume Dietrich, qui brilla en endurance aussi bien qu’en vitesse, est cependant là pour nous montrer que cela n’a rien de la mission impossible.

tout est utile. Même les erreurs que j’ai pu faire – et il y en a que je n’aurais jamais dû faire – sont des choses qui me servent aujourd’hui pour avancer dans la vie. Et je préfère les avoir faites à 20 ans plutôt qu’à 30. Ce sont des choses dont je ne parle pas souvent, peutêtre de peur que ce soit mal interprété, mais je viens d’un milieu pas facile, et le fait est que la course moto m’a ouvert des horizons, des portes et que sans cela, je ne sais pas ce que j’aurais fait de ma vie. Alors on me dit : “C’est mieux ce que tu fais maintenant, tu gagnes mieux ta vie”, je dis oui mais sans oublier de préciser que sans “l’avant”, c’est-à-dire la course, il n’y aurait pas cet “aujourd’hui”... Ceci dit, si tu as été bon dans la moto pour gérer correcteme­nt ta carrière et tes relations avec tes partenaire­s, tu seras bon dans les affaires. J’aimerais bien d’ailleurs travailler de ce côté-là avec la fédé, parce qu’en dehors des pilotes de Grands Prix qui ont de plus gros contrats et donc moins de difficulté­s à envisager une reconversi­on, je serais fier d’aider les pilotes qui cherchent à se reconverti­r, les aider à éviter les erreurs classiques, même si je reste modeste et prudent, car tout peut toujours s’arrêter du jour au lendemain... Les gens qui ne me connaissai­ent que superficie­llement et ne me voyaient que de l’extérieur me prenaient pour un branleur mais en réalité, j’étais un pilote qui n’arrêtait pas de gamberger et de chercher à améliorer les choses, en travaillan­t par exemple avec un préparateu­r physique, en me mettant très tôt à la sophrologi­e, à remplir des cahiers entiers où je notais absolument tout – ce que je continue à faire d’ailleurs. Aujourd’hui, j’inculque un peu de tout ça à mes enfants : ils font de la sophrologi­e sans le savoir mais je leur apprends à faire de la visualisat­ion, à penser à autre chose quand ils ressentent une douleur normale de croissance, quand ils ont froid, et ça marche. Bon, mon fils a plus de caractère et c’est un peu plus compliqué (sourire)... Je suis positif depuis que j’ai arrêté la course en fait. Il était temps. C’était le bon moment. Et si j’ai mis un moment avant de revenir sur un circuit, quand ça m’arrive, je suis cool, bien, je ne me dis pas qu’ici ou là je faisais tel ou tel chrono à l’époque où je roulais... Quand je commente sur Eurosport, j’ai ce même état d’esprit : tu ne m’entendras jamais dire du mal ou descendre un pilote, parce que depuis ton fauteuil de commentate­ur, c’est trop facile, et puis tu n’es pas dans l’instant, pas avec lui... Si je dois donner une estimation de l’organisati­on de ma vie profession­nelle, je dirais 60 % avec mon business, 20 % avec BMC et 5 % avec Eurosport, où j’interviens sur l’endurance avec Gilles Della Posta. Sinon, ma vie est partagée en 60 % de boulot et 40 % de vie de famille. Je pourrais gagner plus d’argent en faisant plus de stages par exemple, mais je privilégie le temps passé avec mes enfants. Ma mère travaillai­t douze heures par jour, je ne veux pas reproduire ce schéma. Tant que je peux faire comme ça, je le fais. Je ne pars jamais en vacances sans eux. Je voyage beaucoup plus aujourd’hui qu’ils sont là. Ma fille a déjà mis les pieds sur chaque continent, et je veux leur faire comprendre pourquoi il y a des gens qui n’ont pas notre chance de vivre dans le confort matériel et dans un pays en paix. Les futurs et j’espère nombreux voyages qu’on fera ensemble serviront à ça aussi... »

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2 1 En 2007, le voilà champion de France Superbike, un titre qu’il va conserver l’année suivante. 2 Parallèlem­ent au SBK, il remporte les 24 Heures du Mans avec la Suzuki officielle du SERT, en 2007 et 2008. 3 Et en 2010, il parachève cette tournée des...
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