Moto Revue

Endurance

Le team Honda F.C.C. est en tête du championna­t du monde d’endurance, nous vous le faisons découvrir

- Par Michaël Levivier. Photos Michaël Levivier et Honda France.

Dix-huit ans qu’une Honda officielle n’avait plus gagné au Mans (National Motos, team privé, l’avait emporté en 2006) depuis la VTRSP2 pilotée par Sébastien Gimbert, Fabien Foret et Sébastien Charpentie­r en 2000. Le 22 avril dernier, sur le circuit Bugatti, la Honda n° 5 du team F.C.C. TSR Honda France a renoué avec le succès lors de la 40e édition de cette épreuve mythique. Un bonheur n’arrivant jamais seul, cette Honda – pilotée par les Français Freddy Foray et Alan Techer et l’Australien Josh Hook – s’est retrouvée en tête du championna­t du monde. Mieux encore, la CBR officielle n° 111 Honda Endurance Racing, engagée par Honda Europe, qui peine depuis 2014 à trouver la voie du succès (hormis une victoire aux 8 Heures d’Oschersleb­en cette année-là) s’est emparée de la deuxième marche du podium, offrant ainsi un doublé historique au premier constructe­ur mondial, un exploit que la marque n’avait plus réédité aux 24 Heures du Mans depuis 1986. Que se passe-t-il chez Honda ? À quoi est dû ce réveil ? Qui donc est ce team japonais, habitué des 8 Heures de Suzuka, et qui porte les couleurs de Honda France ? Bruno Skotnicki, responsabl­e de la presse et longtemps formateur technique du réseau au préalable, un des piliers de Honda France qui a connu les grandes heures de la filiale française en endurance, jusqu’à la victoire de la VTR en 2000, nous explique comment ils ont rejoint l’aventure : « Le directoire au Japon a demandé à Fabrice Recoque, directeur de la division moto de Honda France, si l’on souhaitait s’investir aux côtés du team F.C.C. TSR de Masakazu Fujii (le patron de la société TSR et team manager de la n° 5, ndlr), team qui participe depuis 2016 au championna­t EWC. Vu le niveau de compétence technique qu’ils possèdent et ce qu’ils avaient déjà démontré en terminant 3e de leur première course de 24 heures au Mans en 2016, on a tout de suite dit oui. Sachant en plus qu’ils avaient déjà choisi deux pilotes français avec Freddy Foray et Alan Techer. » Ce dernier, moins connu, a notamment roulé en Grands Prix en Moto3 et surtout en Moto2 dans le cadre du championna­t espagnol CEV avec l’équipe de Bruno Performanc­e, le team de Bruno Boggiano, troisième pilier de cette équipe à la structure complexe. « L’histoire entre TSR et Bruno Performanc­e a débuté parce que Fujii cherchait une structure pour faire rouler ses partie-cycles dans le championna­t CEV en Moto3 et Moto2, précise Skotnicki. Il est tombé sur Bruno Boggiano et le courant est tout de suite passé. Ce sont des gens qui se connaissen­t très bien et ça, dans l’endurance, c’est capital. Ils ont une confiance totale les uns envers les autres. Bruno Boggiano, qui vit en Espagne, est belge, mais d’origine italienne. Il est donc francophon­e. Il est ravi de bosser avec nous, et l’on s’entend très bien. En plus, Masakazu Fujii est fan de l’Europe... » L’équipe F.C.C. TSR Honda France est donc un team très cosmopolit­e puisque composé d’un staff japonais, espagnol et français. Mais l’âme du team, et ce qui le rend si particulie­r – et si efficace –, ce n’est pas seulement ce meltingpot, c’est aussi et surtout son chef d’orchestre, Masakazu Fujii, et l’esprit qui l’y instille.

« Honda c’est ma famille »

Masakazu Fujii est un drôle de personnage, discret comme le sont souvent les Japonais, quelqu’un qui peut paraître assez distant mais qui aime pourtant rigoler lorsqu’on le connaît. C’est surtout un homme incroyable­ment

déterminé et combatif et qui jouit d’une fantastiqu­e intimité avec Honda. « Fujii San est le fils d’un ami intime de Soichiro Honda (le fondateur de Honda, ndlr), explique Bruno Skotnicki. Son père a connu les grandes heures du développem­ent de Honda au début des années 1950. Il a été pilote officiel Honda et fut le premier pilote à faire gagner Honda en dehors du Japon. Grâce à ça, le niveau de respect de la maison mère vis-à-vis de lui est inimaginab­le. Ce code d’honneur, cette fidélité à travers les âges, c’est typiquemen­t japonais. » Questionné sur le sujet, Fujii reste vague, et préfère, de façon très humble et typiquemen­t japonaise, évoquer son attachemen­t et sa dévotion à la marque. « Honda n’est pas un sponsor ou juste un constructe­ur. Je considère Honda comme ma famille. Mon esprit est un esprit Honda. J’ai beaucoup de voitures, toutes sont des Honda. Toutes mes motos sont des Honda. Mes tondeuses sont des Honda. Mes générateur­s sont Honda. Et ma femme est japonaise (rires). Entre Honda et moi, il n’y a pas de contrat, de papier, une poignée de main suffit. » Assis sur des banquettes dans la semi-remorque à l’arrière du box, Fujii évoque malgré tout la relation entre son père et Soichiro Honda. « Lorsque Honda a construit le circuit de Suzuka (en 1962, ndlr), Soichiro Honda a demandé à mon père de quitter Tokyo où j’étais né pour venir s’installer à Suzuka. Et nous avons déménagé là-bas. J’y habite toujours. Mais maintenant, je vis aussi en Espagne : j’aime l’Europe. » À la manière du SERT (Suzuki Endurance Racing Team) dont les locaux jouxtent le circuit du Mans, ceux de TSR sont basés à quelques centaines de mètres du tracé de Suzuka. TSR signifie Technical Sport Racing. « C’est un fournisseu­r du HRC » , précise Skotnicki. Et Fujii de confirmer : « Il y a environ 40 employés à TSR au Japon, dont une vingtaine dans le départemen­t course. Nous travaillon­s avec beaucoup de compagnies japonaises, tels que F.C.C., NGK, Showa, Nissin... Avec eux aussi, pas de contrat, juste une poignée de main. Avec le HRC, la situation est identique : ils ne fabriquent pas eux-mêmes leurs motos. Ce sont mes clients. Je leur fais des cadres, des bras oscillants, des réservoirs, des carénages en carbone... Le cadre de Marc Marquez, c’est nous qui l’avons fait. Les carénages aussi... C’est notre travail, c’est normal » , avoue de façon tout à fait naturelle Masakazu Fujii. Voilà qui permet de comprendre un peu mieux le niveau de finition, de qualité et de performanc­e de la Honda CBR n° 5. « Le team a une énorme capacité de développem­ent électroniq­ue, reconnaît Bruno Skotnicki. Ils peuvent tout fabriquer, les faisceaux, etc. Leur capacité d’ingénierie est énorme. On ne travaille pas en direct avec le HRC, mais on n’en est pas loin. Fujii est dans les petits papiers de la maison, il y a ses entrées. » De fait, ce dernier reconnaît que cette fascinante promiscuit­é avec Honda ne date pas d’hier : « Soichiro Honda détestait les 2-temps. C’est pourquoi le R&D Honda et TSR ont développé ensemble, et dans le plus grand secret, l’Elsinore. » Une moto de cross dont le premier prototype roula en compétitio­n dès 1972 et qui inaugura l’ère du deux-temps chez Honda, avec les succès commerciau­x et en compétitio­n que l’on connaît. « Beaucoup de personnes nous demandent si nous sommes un team d’usine, reprend Fujii San. Non, nous sommes des clients, nous sommes un team privé, mais notre niveau est très proche de celui de Honda, car nous sommes Honda au fond de nous. Parfois, notre matériel, nos pièces sont mieux que celles du HRC ou du R&D Honda. Car ce que nous voulons avant tout, c’est battre Honda. Nous voulons gagner. »

Objectif : le titre

« Notre objectif est de remporter le championna­t, martèle Fujii San. Gagner Le Mans n’était pas la priorité, mais ce fut quelque chose de fantastiqu­e. Autrefois, je n’étais pas intéressé par l’endurance. Ma seule préoccupat­ion était de gagner les 8 H de Suzuka, car c’est un événement très spécial, une course à part. Ce sont mes amis de chez Bridgeston­e qui m’ont amené à l’endurance. Ils venaient d’arrêter le MotoGP et ils avaient des équipes avec des camions et des entrepôts en Allemagne : arrêter la compétitio­n signifie qu’ils allaient devoir les licencier. Ils m’ont alors demandé de m’engager au Mans. Et j’ai dit OK. Lors de ma première participat­ion au Mans en 2016, nous avons terminé 3e. C’était ma première course de 24 heures : mes yeux se sont ouverts. J’ai découvert un autre monde, une sensation tout à fait différente de ce que je connaissai­s. J’ai participé à beaucoup de Grands Prix : 125, 250, 500... J’ai obtenu de bons résultats. Je possède un solide savoir-faire technique. J’ai construit des cadres, des carénages, des pièces moteur, des éléments techniques... C’est mon travail. Mais Le Mans, les courses de 24 heures, c’est la vraie vie ! » Souvent, de part leur culture et leur sensibilit­é, les Japonais dépassent le factuel pour ressentir le spirituel. Les choses ont un sens. « Tout le monde naît, vit et meurt ; certains jeunes, d’autres très vieux. C’est la vie. Une course de 24 heures, c’est comme une vie humaine rapportée à ce laps de temps. Il y a le départ et le drapeau à damier et entre les deux, la vie. Pour moi, c’est le même feeling, s’enthousias­me Fujii San. C’est totalement différent du reste ! Aux 8 Heures de Suzuka, je dis aux pilotes de ne pas ramener la moto s’ils tombent, à mes mécanicien­s

de ne pas réparer : vous n’avez plus aucune chance de gagner. Alors que dans une course de 24 heures, on se bat jusqu’au bout, on répare coûte que coûte. » Et quand on lui demande pourquoi, au vu de son expertise, il ne préfère pas courir en MotoGP, Fujii répond de façon très nette : « Depuis toujours, ma passion ça a été les Grands Prix mais aujourd’hui, c’est devenu juste un jeu d’argent. Si vous avez un gros budget, vous pouvez gagner. Ce n’est pas intéressan­t. L’endurance, ce n’est pas ça. Regardez nos pilotes : Freddy Foray est très connu, mais Alan Techer ou Josh Hook, qui les connaît ? Pourtant, nous avons gagné au Mans. Ici, nous sommes en pole position (l’interview a été réalisée avant la course de Slovaquie, ndlr), nous avons un bon potentiel. Nous sommes allés en février à la direction de Honda. Ils m’ont demandé de prendre des pilotes de Grands Prix ou de Superbike pour Suzuka : Leon Camier, Carl Crutchlow, Takaaki Nakagami… J’ai refusé. Je préfère garder mes pilotes et leur donner de la motivation en leur disant : la n° 5 sera aux 8 Heures de Suzuka et c’est vous qui serez dessus ! Et puis c’est essentiel pour le titre. » Fujii ne perd pas son objectif de vue. « Nous voulons avant tout être champions du monde. Nous sommes heureux d’être en leader, mais notre première cible n’est pas la victoire ici en Slovaquie, c’est de battre le GMT. Je respecte beaucoup Christophe Guyot, mais chaque point compte. » Finalement, au terme de la première des trois courses de 8 heures qui comptent pour le championna­t du monde EWC et qui se déroulait le 12 mai dernier sur le Slovakia Ring, la n° 5 a dû se contenter, après une belle bagarre, de la 3e marche du podium derrière le GMT 94 et la YART n° 7, victorieus­e. « C’est bien, mais ce n’est pas l’idéal » , commentera sobrement Fujii après la course. « Bien », car le team F.C.C. TSR Honda France conserve la tête du championna­t avec un petit point d’avance sur la Yamaha du GMT. Prochain round le 9 juin aux 8 Heures d’Orschersle­ben, en Allemagne, terrain de jeu favori du GMT. La lutte s’annonce intense !

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