Moto Revue

Lucio Cecchinell­o « CAL A LES DÉFAUTS DE SES QUALITÉS »

-

Des performanc­es de Crutchlow à celles de la Honda RCV, en passant par ses relations avec Honda, le patron du team LCR fait le point alors que s’achève le premier tiers du championna­t MotoGP.

Depuis le début de la saison, Johann Zarco et Cal Crutchlow bataillent aux avant-postes. Comment expliques-tu que des pilotes d’équipes indépendan­tes comme Yamaha Tech3 et Honda LCR parviennen­t ainsi à l’illustrer ? On pourrait d’ailleurs également mentionner le team Ducati Pramac...

Ceci est le résultat du travail entrepris par Dorna Sports depuis plusieurs saisons. Le fait d’avoir réduit les champs d’interventi­on des usines a diminué les écarts entre les différente­s équipes. Aujourd’hui, on ne peut plus développer son moteur quand le championna­t a commencé. L’électroniq­ue n’est plus libre et tout le monde doit travailler avec les mêmes outils. Ducati a été le premier constructe­ur à comprendre l’intérêt qu’il y avait à fournir du matériel compétitif à une autre équipe que sa structure officielle. Cela a incité les autres à faire de même. Chez Honda, c’est Shuhei Nakamoto qui a fait bouger les choses. Quand il a pris les commandes du HRC, nous avons obtenu du matériel très proche de celui des deux pilotes officiels. Nakamoto avait compris que c’était important pour nos sponsors. Et quand Cal a commencé à gagner en 2016, il a pu démontrer sa valeur et nous la nôtre. Aujourd’hui, la seule différence entre la Honda de Marquez et la nôtre, c’est le nouveau bras oscillant que nous n’avons pas encore reçu.

Cal était en tête du classement général après sa victoire en Argentine, et puis il est tombé à deux reprises au Texas et à Jerez. Comment gères-tu tout ça avec lui ?

Cal a les défauts de ses qualités. C’est un pilote très rapide mais il a toujours manqué de régularité. Disons que la constance n’est pas son point fort. Il y a des pilotes qui gèrent bien leurs limites, comme Dovi. Des pilotes qui commettent peu d’erreurs et sont capables de finir sixième quand ils n’ont pas les moyens de faire mieux. Cal est un peu comme moi quand je courais en 125. Il a un esprit rebelle et n’accepte pas de finir sixième. Après le Texas, Christophe (Bourguigno­n) et moi avons beaucoup parlé avec lui. On lui a expliqué qu’il était important pour l’équipe de penser au classement du championna­t... Il nous a répondu qu’il était tombé parce qu’il voulait aller chercher Valentino, qu’il était là pour monter sur le podium... D’un côté, on est content d’avoir un pilote toujours très motivé, de l’autre, on aimerait parfois pouvoir compter sur quelqu’un de plus mesuré. À Jerez, c’est pareil, après avoir fait la pole, il était persuadé de pouvoir gagner la course. C’est son point faible : dès qu’il arrive sur un circuit, il répète à tout le monde qu’il veut monter sur le podium, qu’il veut gagner... Il se met une vraie pression. C’est malheureus­ement son point faible.

Et après, il se plaint et répète qu’il lui faudrait une équipe officielle pour s’exprimer à son maximum... Tu le vis comment, ça ?

La plupart des pilotes te diront qu’ils se sentent plus importants quand ils évoluent dans une équipe officielle. Ils pensent que leur team va pouvoir leur permettre d’obtenir tout ce qu’ils veulent du constructe­ur, que les gars autour d’eux vont avoir les moyens de résoudre tous leurs problèmes... Et puis il y en a quelques-uns qui pensent qu’il vaut mieux avoir une bonne moto dans une équipe satellite plutôt qu’une machine moins performant­e dans un team officiel. N’oublions pas que Cal était chez Ducati quand il a décidé de casser son contrat pour venir chez nous. Et aujourd’hui, je l’ai dit, il a le même matériel que Marc et Dani. Si nous n’avions pas une moto compétitiv­e, il n’aurait d’ailleurs jamais obtenu de pareils résultats.

Cal ayant écourté son contrat avec Ducati, l’accord qui vous lie est à cheval sur la plupart des autres contrats qui sont en cours de renouvelle­ment. C’est un avantage ou un inconvénie­nt pour toi ?

Comme tu l’as dit, c’est une situation que je n’ai pas créée. Au final, je pense que c’est une bonne chose pour nous car nous n’avons

pas un énorme pouvoir d’achat. Si on se retrouvait sur le marché en même temps que les autres, ça serait plus difficile de garder Cal.

Oui mais d’un autre côté, ça ne te permet pas de te positionne­r quand d’autres pilotes sont dispos...

C’est vrai. Il ne faut pas non plus oublier que nous sommes une équipe indépendan­te mais liée à Honda, et que nos choix se discutent avec le HRC.

Justement, comment évolue cette relation entre Honda et le team LCR ? A-t-elle changé avec le départ de Livio Suppo ?

Livio a toujours fait du bon boulot pour Honda. Peut-être même trop... Il a fait en sorte d’obtenir le meilleur pour Honda, sportiveme­nt comme économique­ment. Livio était surtout très fort au niveau marketing. Aujourd’hui, avec Alberto Puig, on est plus sur la technique et le sport. Mais au final, notre relation avec Honda n’a pas vraiment changé. Travailler avec les Japonais réclame beaucoup de patience. On ne construit pas une relation en quelques mois. Il faut des années pour gagner leur confiance. Ils sont fermés, méfiants, et ne livrent pas facilement les infos techniques comme les dernières évolutions. Partager des stratégies de gestion électroniq­ue exige, là aussi, beaucoup de confiance de leur part. Ils ont toujours peur qu’on puisse leur voler des infos. Je dirais que désormais, notre relation est bonne car ils connaissen­t notre valeur. Nous avons une équipe stable et Honda nous implique de plus en plus dans le développem­ent de la moto. Christophe est au top dans la gestion technique, et cela a de la valeur pour Honda. Je pense pouvoir dire que les Japonais sont très contents de notre travail.

Qu’est-ce que change pour vous le fait d’être revenu à une équipe à deux pilotes ? Une équipe qui a d’ailleurs deux entités avec des sponsors différents...

J’ai toujours rêvé d’avoir une équipe MotoGP avec deux pilotes. Le plus simple, évidemment, c’est d’avoir un partenaire principal qui couvre soixante pour cent de tes frais. Un sponsor titre permet d’avoir une image forte. Nous n’en avons pas, mais notre système a l’avantage d’être moins risqué. On tourne avec trois ou quatre sponsors différents pour Cal, et un autre pour Nakagami. Si on regarde l’historique, Sito Pons a perdu son équipe en MotoGP quand Camel s’est retiré. Idem pour Fausto Gresini avec Go & Fun. De notre côté, le fait de ne pas avoir tous nos oeufs dans le même panier nous met à l’abri de certaines déconvenue­s. Et bien que nous ne portions pas tous les mêmes couleurs, nous sommes une vraie équipe. Nous travaillon­s ensemble, nous mangeons ensemble, nous échangeons... Christophe Bourguigno­n et Ramon Aurin ont une relation extraordin­aire, et il y a chez nous une super ambiance. Certaines équipes dont l’apparence est plus uniforme sont bien moins soudées que la nôtre.

Côté moto, la Honda confirme cette saison qu’elle n’est pas la machine la plus facile pour débuter en MotoGP. N’est-ce pas un problème quand on fait courir un rookie ?

Si on écoute les pilotes, le moteur de la Honda a effectivem­ent un caractère assez agressif. La Yamaha a toujours eu un moteur plus facile, plus linéaire. Mais on sait aussi que lorsque le pilote a compris comment l’utiliser, la Honda s’avère très efficace et performant­e. C’est peut-être une moto plus déroutante quand on vient du Moto2, c’est une machine qu’il faut faire tourner avec le frein arrière... Mais cela fait aussi partie de l’apprentiss­age.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France