Essai dynamique LA DIVA ET LES DIVINES
Opulente limousine ou routière affûtée ? Telle est la question que suggère l’orientation donnée par Honda à son nouveau vaisseau amiral. Coincée entre les K 1600 Grand America et la R 1200 RT – deux BMW représentatives de ces approches –, la GoldWing trace sa voie.
Difficile de ne pas succomber dès les premiers tours de roues aux charmes de ces motos extrêmes. L’adjectif n’est pas choisi par hasard : dans leur domaine, qui est le confort routier et les aptitudes à rouler loin et longtemps, ces trois machines sont extrêmement abouties et font partie du meilleur qu’offre la production moto mondiale. Géraud, qui roule en Honda Africa Twin CRF 1000 L, est instantanément tombé sous le charme de la GoldWing lorsqu’il l’a récupérée chez Honda France. Elle a fait son coup d’épate : imposante pour qui n’a pas l’habitude de ce genre de gabarit, elle l’a bluffé par son équilibre instantané dès les premiers km/h, sa maniabilité rassurante, sa stabilité et la disponibilité de son énorme flat-six de 1 800 cm3. Une fois la prise en main effectuée, la Gold’ déploie ses ailes et impressionne par sa nouvelle dotation en équipement et le confort qu’elle propose. Idem pour Jean-Christophe, qui, en descendant de sa Multistrada 1200 Touring pour sauter au guidon de la K 1600
Grand America, a découvert un nouvel horizon : celui offert par le six-cylindres. Souple à bas régime, réactif sur tous les rapports et incroyablement rageur dans les tours, le six-pattes allemand a laissé notre homme pantois. À tel point qu’il a commencé à scruter sur Le Boncoin pour voir à quel prix les K16 s’échangeaient en occasion… Enfin, Bertrand, qui roule en KTM 1290 Super Adventure, a débuté ce roulage au guidon de la R 1200 RT. Celle-ci a également fait son tour de magie : quelle efficacité ! Comment une aussi grosse moto peut-elle être si facile, changer d’angle si vite, avec autant d’aisance et de sérénité ? Et ce flat-twin qui continue d’épater par l’ardeur qu’il met à ne jamais faiblir, à toujours répondre avec vigueur, le tout dans un confort princier. De quoi tomber sous le charme. Mais alors, dilemme, comment départager ces trois excellentes machines ? En roulant, tout simplement...
Trois philosophies
Le premier test pour des motos voyageuses, c’est leur capacité d’emport de bagages. Déception : le volume a considérablement réduit sur la GoldWing. Idem pour les nouvelles valises latérales de la Grand America, moins logeables que la bagagerie qui équipe la RT. Quelle ineptie ! Monsieur ne pourra plus frimer en disant à madame : « Emporte ce que tu veux, on est en GoldWing ! » Nous réussissons tout de même à loger nos affaires et partons. Au fil des kilomètres, les contours de chaque personnalité se précisent. La K 1600 Grand America fait penser à une berline BMW série M, ultra-puissante et performante, à laquelle le constructeur aurait voulu donner des allures de Cadillac Eldorado avec ses valises qui s’étirent vers l’arrière, ses assises plus basses et ses pieds en avant. La nouvelle GoldWing,
au contraire, ressemble à une cantatrice d’opéra, une diva voluptueuse et charnelle, comme elle l’était auparavant, mais qui se serait mise au fitness, voire au CrossFit :
® elle offre une rigidité nouvelle, un gabarit resserré, une protection excellente mais en deçà de la précédente. Même son six-cylindres à plat semble plus rugueux, moins velouté. La sonorité au démarrage est quant à elle fabuleuse : on dirait un énorme V8 qui s’ébroue. Reste que miss GoldWing n’offre plus la même sensation de tapis volant que le précédent modèle, même si elle conserve un toucher de route typiquement GoldWing qui fera le bonheur des amoureux de la marque. Enfin, la RT, c’est la pince multiple Facom, le couteau suisse, l’outil à tout faire ! Une comparaison moins romantique mais qui représente à merveille l’esprit de la machine. La finition Spezial avec sa peinture pailletée et sa selle marron très tendance lui redonne le brin de sex-appeal qui lui fait si cruellement défaut lorsqu’elle se pare de ses coloris habituels assortis aux costard-cravates citadins. L’inévitable portion d’autoroute est un exercice dont elles se jouent toutes trois le sourire aux lèvres. Avec leur carénage plus enveloppant, RT et Gold offrent une protection supérieure au niveau des jambes. Les bulles sont toutes réglables électriquement depuis le guidon, ce qui n’était pas le cas sur la Gold’ auparavant avec son immense pare-brise. Les plus grands regretteront la courbure du haut de la bulle sur la RT qui envoie l’air dans le casque et empêche de rouler écran ouvert. Sur la Gold’ et la K16, les bulles sont si hautes qu’il est aisé de regarder défiler la route au travers. Sortie d’autoroute, péage : la RT propose deux vide-poches, la Gold’ un seul – mais dont l’ouverture s’est montrée récalcitrante – et nada sur l’America, dommage. Avec des motos autant équipées, la première
difficulté, c’est de s’y retrouver dans les ergonomies respectives. Un problème qui disparaît quand il s’agit de sa moto perso. Mais toutes les fonctions qu’elles proposent sont autant de sources de distraction qui font quitter la route des yeux : gare à la faute d’inattention !
Opération séduction
Le printemps est enfin là. Le soleil brille, les champs sont verts, la route est sèche et les réservoirs sont pleins. Malgré des consos proches, c’est la Gold’ qui donne le tempo des ravitaillements avec son réservoir de 21,1 litres (25 litres pour la RT et 26,5 pour la K 16). C’est déjà pas mal, mais les allemandes offrent près de 350 km d’autonomie, réserve incluse. À l’assaut des virages, un doute surgit : où sont passés les 40 % d’agilité en plus que Honda annonce ? La Gold’ procure une sensation de rigidité importante, comme si vous chevauchiez un énorme rail de chemin de fer. Un ressenti d’autant plus flagrant lorsqu’on quitte le guidon d’une des deux allemandes qui brillent par leur agilité, leur vivacité à plonger sur l’angle, à s’enrouler autour de la colonne de direction pour virevolter malgré leur gabarit imposant. Les BMW impressionnent ! La Gold’ n’est pas une enclume, mais elle offre le feeling d’un bloc, elle vire de toute sa longueur. La japonaise propose de la maniabilité là où les allemandes régalent par leur agilité. Côté moteur, on regrettera, sur la GoldWing, une sixième trop longue. À 2 000 tr/min sur ce dernier rapport (90 km/h), elle reprend en douceur, la poussée se renforçant à 3 000 tr/min. Du coup, on en vient à enrouler en 5e sur les petites routes morvandelles, ce qui ne correspond pas forcément à l’esprit d’une GoldWing. De même, si le flat-six Honda profite de ses 126 ch pour propulser
rapidement la Gold’ aux 180 km/h de sa vitesse maxi autorisée, ce n’est rien comparé à la furie sportive des 160 ch du six-cylindres en ligne de la K16. Quelle rage ! Quel pied ! Sous ses allures de grosse GT pépère, la Grand America dissimule un caractère de feu : son moteur ne demande qu’à prendre des tours. Lancé à l’assaut de la zone rouge, le six-cylindres se met à hurler telle une MotoGP dans la ligne droite du Mans (sic). Autant dire que la vitesse maxi de 162 km/h chrono (172 km/h compteur), à laquelle elle est – elle aussi – bridée, est atteinte en un battement de paupière. Le chant rageur s’accompagne de claquements virils à chaque passage de rapport au shifter : jouissif ! Un accessoire indispensable sur cette moto tant il participe du plaisir de conduite. Plus brutale à bas régime, la RT pourrait se passer plus facilement d’un shifter. Pour autant, cet accessoire n’est pas forcément le gadget que l’on croit sur une GT et il peut manquer en reprenant le guidon de la GoldWing. Cependant, cette dernière dispose de l’extraordinaire boîte automatique DCT. Une version facturée 3 000 € de plus (35 999 €) mais qui devrait offrir un réel supplément d’agrément à cette GoldWing d’un nouveau genre.