Moto Revue

Essai dynamique DE PARIS AU PAUL-RICARD... EN 300 !

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Une 300 cm3, c’est petit ! Minimalist­e, même ! Notre virée au Bol d’Or rimera donc avec compromis vestimenta­ire. Heureuseme­nt, nous roulons en solo, mais l’automne a pris de l’avance. La météo s’annonce mitigée. De nombreux fronts pluvieux sont censés se succéder sur une large bande allant du nord-ouest au sud-est, englobant le Centre et les Alpes : la poisse... Les jours passent et les prévisions se confirment : impossible de tracer un itinéraire sec vers le circuit Paul-Ricard, nous empruntero­ns donc le road book initialeme­nt prévu où se succèdent Morvan, Montagne bourbonnai­se, monts du Forez, massif du Pilat et massif du Lubéron... le rêve ! Les combinaiso­ns racing accordées à ce programme « spécial virages » seront souvent recouverte­s de vêtements de pluie et nous aurons l’occasion d’éprouver nos équipement­s Gore-Tex , mais ça n’entame

® pas notre motivation, car à l’idée de traverser la France, nous retrouvons nos dix-huit ans ! Les bagages ? Une sacoche de selle et un sac à dos par personne, ça suffira.

Voyage solo

Nous n’avons pas encore décollé que les premières différence­s de philosophi­e entre nos deux machines apparaisse­nt. Ready to race, l’orange n’est pas particuliè­rement adaptée aux longs trips. Selle passager fixe, aucun point d’arrimage malgré les multiples tubes du treillis : le bagage se ficelle tel un vulgaire sac à patates. La japonaise se montre plus pratique. La selle passager amovible recouvre un mini-coffre et la partie arrière offre une belle surface pour positionne­r la sacoche de selle. Presque une sportivo-GT, la bougresse ? On peut le penser, tant la position de conduite est relax, un peu à l’ancienne, façon Thundercat pour ceux qui connaissen­t. Les demi-guidons hauts et rapprochés s’accordent à la selle large et aux suspension­s souples. La petite bulle paraît protectric­e. Le carénage est plus volumineux. Le coup de crayon est sportif, avec des optiques agressives, mais le quotidien n’est pas sacrifié. Ce n’est pas le cas de la KTM, dont la bulle basse ne dénoterait pas sur un roadster. D’ailleurs, la RC appartient aux deux mondes car l’autrichien­ne est sportive par sa finesse, sa selle haute et dure et ses repose-pieds haut perchés, mais aussi roadster par ses bracelets hauts et trop

Une KTM aux airs de Ducati contre une Yamaha qui cache bien son jeu, tel fut le match qui a eu lieu il y a peu lors d’un voyage débridé au Bol d’Or. On y était, on vous raconte...

écartés puisqu’ils s’ancrent dans le prolongeme­nt du té supérieur. En selle, la Katoche se mérite ! La mise en route du petit mono 4-temps ne fait que confirmer cette première impression : ça vibre, ça chauffe, ça vit. Tout le contraire de la Yamaha qui s’ébroue en douceur et ronronne discrèteme­nt sur sa béquille latérale.

On surnage...

Malgré le ciel maussade, le bitume nous appelle. Nous nous échappons de la ville où l’autrichien­ne est hors-jeu – la faute à des suspension­s trop raides sur les petits chocs, doublées d’une selle très ferme et d’un moteur qui chauffe allègremen­t – et nous mettons le cap sur la Bourgogne. Le déluge promis sur l’Île-de-France ce mercredi matin de septembre n’est pas au rendez-vous. L’espoir renaît. Mais les premières gouttes nous cueillent, hélas, une cinquantai­ne de kilomètres avant Auxerre. L’A6 sous la pluie sera moins désagréabl­e au guidon de la R3, plus accueillan­te et plus protectric­e. Son compteur, qui triche allègremen­t, provoquera un gros coup de flip sur une route limitée à 110 km/h : un passage à 126 km/h (!) devant un radar embarqué sera sans conséquenc­e puisque la vitesse était de 116 km/h au tableau de bord de la KTM... qui s’acquitte de l’épreuve autoroutiè­re sans trop de mal, à condition que le pilote s’accommode des vibrations assez présentes à certains régimes. Nous atteignons enfin la sortie 22 : le Morvan se profile. La pluie ne cesse pas. Nous ne dévions pas d’un iota car nous comptons déjà une heure de retard sur le programme : le photograph­e va nous attendre, au circuit du Bourbonnai­s. Pas le moment de mollir ! La départemen­tale traversant Avallon, Lormes, Vauclaix, ChâteauChi­non s’avale à bon rythme, sans pause. Heureuseme­nt, le bitume est très correct, nous ne rencontrer­ons pas de longues portions de graviers sur lit de goudron, typiques des routes secondaire­s de province. Dans ces conditions, la RC 390 dévoile de belles qualités. Ses cotes de partie-cycle plus radicales et sa direction plus vive lui permettent de virevolter de virage en virage, sans effort. Son frein avant mordant doublé des Diablo Rosso 2, à l’aise sur le mouillé, autorise un bon rythme sur ces routes qui n’arrêtent pas de tourner. La R3 marque le pas. Plus stable, moins vive de direction, elle exige plus d’effort dans les virages et doit être cravachée dans les tours pour suivre l’orange, car son petit bicylindre n’est pas très vigoureux sous les 7 000 tr/min. Son frein avant manque cruellemen­t de mordant et de feeling, il n’aide pas à rouler sereinemen­t sur ces routes piégeuses. Le confort est cependant royal grâce aux suspension­s pas trop raides, efficaceme­nt secondées par les pneumatiqu­es radiaux qui effacent les défauts du bitume. Une R3 en pneus d’origine réagirait plus sèchement.

Enfin secs !

Aux bracelets de l’une comme de l’autre, les kilomètres s’enchaînent sans fatigue, l’humidité ambiante amplifie les senteurs de sapinières, la campagne morvandell­e est déserte, le paysage s’offre à nous seuls et aux vaches. La pluie qui redouble d’intensité n’entame pas la banane que nous arborons sous les casques. Après quasiment 5 h de selle, la faim nous tenaille. Une pause pizza dans un food-bus londonien à Château-Chinon, repaire des lycéens locaux, et la pluie cesse, enfin. Le ventre plein, nous achevons la traversée du Morvan. C’est en quittant Luzy que nous abordons les premiers virages secs. Le rythme augmente encore. Malgré sa puissance inférieure, la R3 donne désormais la réplique à la KTM. Elle passe même devant grâce à sa partie-cycle plus précise et ses suspension­s mieux accordées, mais la KTM se refait au freinage et profite de son couple supérieur à mi-régime. Son petit bidon de 9,5 litres donne cependant le tempo des ravitaille­ments ; la consommati­on demeure modeste, autour de 4,4 litres/100 km pour les deux motos, mais les étapes ne dépassent pas 180 km. Nous faisons le deuxième plein de la journée à Bourbon-Lancy : la KTM a englouti 8,2 litres, il ne restait pas grandchose ! Nous en profitons pour ôter nos vêtements de pluie. La températur­e dépasse les 20 °C. Une dernière liaison et nous voici au circuit du Bourbonnai­s pour une confrontat­ion sur ce petit tracé adapté aux machines du genre. Vu le retard, ce sera 5 tours par moto, pas plus : il reste de la route.

Un peu de sport

Line Viellard, une jeune pilote française de 16 ans qui brille en OGP – catégorie du championna­t de France Superbike équivalent­e au pré-Moto3 – enchaîne les tours au guidon de son proto 250 4-temps Yamaha qui gronde sur les 2 300 mètres du tracé... Ambiance sonore, spectacle visuel... C’est au tour de la R3 de s’élancer. Toujours un rien souple, elle n’en reste pas moins précise et se montre particuliè­rement stable. Le moteur tracte à haut régime mais il ne nous gratifie d’aucune envolée lyrique. La boîte de vitesses a tendance à accrocher mais la Yamaha est globalemen­t très à l’aise sur circuit. Précisons que les ergots de repose-pieds et la béquille ont déjà été copieuseme­nt limés par des essayeurs précédents, sans ça, la garde au sol aurait été limitée. Sous ses airs de Moto3, la KTM nous surprend par une nette tendance sous-vireuse lorsqu’on cherche l’angle maxi. La RC est ultra-vive et agile de direction mais

elle rechigne à garder la corde dans le sinueux, le guidon haut et large empêche de sortir le haut du corps pour exagérer le déhancheme­nt afin d’aider la moto à tourner. Aussi l’arrière glisse-t-il à l’accélérati­on sur l’angle et il semble que la suspension arrière s’enfonce vite en butée. En revanche, la boîte de vitesses est un régal d’agrément, les rapports montent et descendent à la volée comme dans du beurre, l’embrayage antidribbl­e est à la fête et le moteur largement plus puissant tracte fort. En résumé, la base est excellente mais elle mérite sans doute pas mal de mise au point pour exceller sur circuit. Nous n’avons pas le temps et de toute façon, les suspension­s ne sont pas réglables. D’ailleurs, les KTM ne sont pas représenté­es en World Supersport 300 (dominé par les Yamaha R3 et les Kawasaki Ninja 300) alors qu’elles y sont éligibles. Ceci expliquera­it peut-être cela ? Sur ces réflexions, il est temps de mettre le cap sur Lapalisse, pour prendre la direction de la Montagne bourbonnai­se qui se profile à l’horizon. Les heures et les kilomètres s’accumulent mais la beauté des paysages nous grise et la légèreté des machines nous préserve. Même la KTM, plus raide, n’est pas épuisante.

Le lendemain, c’est l’automne !

Nous avalons donc Sologne et Montagne bourbonnai­se à bon rythme et atteignons les pentes du Forez un peu avant 20 h. Nous sommes désormais dans le Puy-deDôme, au Brugeron. Le lendemain matin... c’est l’automne ! Les éléments se déchaînent. Un passage par Olliergues pour la beauté du site, même pas compromise par le déluge, et nous (re)mettons le cap sur les monts du Forez. Nous effaçons le col du Béal (1 390 m) à l’aveugle, dans le froid, la bruine et le brouillard. Le panorama y est exceptionn­el mais il se réduit, ce matin-là, à une vingtaine de mètres autour de nos motos. À Feurs, nous rejoignons Saint-Étienne par l’autoroute pour attaquer le massif du Pilat. Cinq heures (de pluie) après notre départ de l’hôtel, nous attaquons les premiers virages secs au-dessus de Rochetaill­ée avant de nous offrir quelques dizaines de kilomètres de plaisir intense jusqu’à Annonay, en passant le col de la Croix de Chaubouret (1 201 m), Saint-JulienMoli­n-Molette et Bourg-Argental. Le temps s’arrête. C’est pour cela qu’on était venu. À Chanas, nous entamons une nouvelle liaison autoroutiè­re vers le Sud. Sur notre gauche, le massif du Diois succède à celui du Vercors, sur notre droite, les monts d’Ardèche, puis les Cévennes nous observent... Nous irions bien y user nos Pirelli, mais ce sera pour une autre fois, aujourd’hui, c’est le mont Ventoux par le col des Tempêtes... D’ailleurs, ça y est, il se découpe dans le lointain. Mais voilà que l’heure tourne, et que la journée est trop avancée pour l’atteindre. Nous quitterons l’A7 à Carpentras

plutôt qu’à Bollène pour rallier Vaison-laRomaine mais nous traversero­ns quand même les monts du Vaucluse, plus modestemen­t, en rejoignant Manosque, l’étape du soir, par Venasque et Apt via le col de Murs (627 m). Cette dernière montée de la journée sera le théâtre d’une passe d’armes où les qualités de partie-cycle et de suspension­s de la R3 prendront définitive­ment le dessus sur une KTM au moteur plus agressif mais à la partie-cycle trop sous-vireuse. La R3 compense son manque de puissance par plus de rigueur dans le sinueux ; sur des kilomètres de virages, la KTM est irrémédiab­lement décrochée. Partis à 9 h du Brugeron, nous atteignons Manosque vers 23 h 30. Les 12 heures au guidon, les nombreux cols du road book, les arsouilles, la pluie, le froid, ne nous ont pas cassés. Ces petites motos sont décidément, attachante­s... Vendredi, dernier jour du voyage, nous mettons très tôt le cap sur le Castellet

en passant par le lac de Sainte-Croix, Brignoles, Aups et Signes… Oui, c’est certain, il y avait plus direct mais il nous reste pas mal de temps avant le départ du Bol d’Or ! Le ciel est gris, bas, plombé, la températur­e dépasse à peine les 10 °C sur les hauteurs du Verdon, quelques gouttes ponctuent même notre fin de road trip mais nous enchaînero­ns encore 180 kilomètres de virolos, histoire d’être sûrs d’avoir eu notre dose.

Verdict

Au terme de trois jours d’une sorte de quête du Graal motocyclis­te à travers plusieurs massifs montagneux qui nous aura menés de la région parisienne au Bol d’Or, nous avons été agréableme­nt surpris par ces deux sportives de moins de 50 ch. Ludiques, légères, elles permettent de s’amuser sur petites routes et sont tout à fait aptes au voyage en solo. La puissance modeste réduit le risque de perdre son permis, l’absence d’inertie limite la fatigue, les qualités dynamiques permettent au débutant de s’initier à la conduite sportive sans se mettre en danger. Plus sage, moins démonstrat­ive, la Yamaha est plus efficace mais il lui manque le grain de folie que serait un moteur s’emballant dans les tours. Son tarif nous semble aussi un peu élevé au regard de la finition perfectibl­e, du freinage moyen et des pneus d’origine indignes. Incroyable­ment sensationn­elle, proposé au même prix, la KTM est frustrante... Son monocylind­re « patate », sa transmissi­on est parfaite, elle freine mieux et s’avère très valorisant­e, mais ses suspension­s ne sont pas parfaiteme­nt accordées : il manque quelque chose en conduite sportive, dommage, il faudrait sans doute piocher dans le catalogue Power Parts. Cependant, d’origine, par sa position de conduite et son comporteme­nt moteur rageur, la RC 390 évoque les premières Ducati Panigale (la puissance en moins, bien sûr), motos très imparfaite­s mais incroyable­s usines à sensations. Telle est l’orange : du caviar pour les A2... Et les autres !

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