L’essai dynamique GAULOISE SANS FILTRE
À son guidon, une évidence : en plus d’être insolemment belle, cette franco-anglaise d’exception ne mégote pas sur les sensations.
Des scramblers, on en a vu passer ces derniers mois. Du Béhème, du Ducati, du Yamaha, du Triumph… Relativement bien construits, relativement bien équipés, relativement agréables à regarder, relativement agréables à rouler. Jamais catastrophiques. Jamais fabuleux, non plus. Consensuels. De bonne volonté mais souvent bien policés : un peu comme l’époque. Au moment de prendre contact avec la Pendine Sand Racer, c’est donc un gros point d’interrogation qui flotte au-dessus de ma tête : et elle, dans tout ça ? Ce qui me fait m’interroger, c’est bien sûr sa triple ascendance : sur la dernière branche de son arbre généalogique, ce lien avec le genre (caricatural/surexploité/galvaudé : rayez la mention qui vous semble inutile) néo-rétro. Mais sur les deux autres, plus près du tronc, plus fortes, ce trait d’union avec l’une des marques les plus prestigieuses du RoyaumeUni, et cet autre, avec l’un de nos meilleurs faiseurs hexagonaux : Boxer Design, qui n’a jamais donné dans le négligé ou le consensus mou. Alors, laquelle de ces trois branches lui dispense sa sève, à cette Pendine ? J’aimerais dire que mon questionnement a duré des heures, qu’il a mis mes neurones à la torture et que la confrontation aux motos d’exception est une activité bien difficile. Mais je mentirais. Car les premiers éléments de réponse, la Pendine me les donne dès l’entame de notre rencontre. Oubliez la branche néo-rétro, celle où la pauvreté de l’inspiration est le plus souvent cachée par des signes ostentatoires de filiation. La Pendine n’est pas une néo-rétro. C’est une Brough Superior. Supérieure dans le choix des matériaux, supérieure dans la construction, supérieure dans la finition. Pas une once de plastique sur la moto, excepté le polycarbonate
de la boîte à air (le carbone générant trop de résonance) et le caoutchouc des durites du circuit de refroidissement liquide. Pas un ajustement approximatif (visez la jonction entre la selle en cuir et la boucle arrière en alu…). Pas un accessoire rappelant la grande série (à l’exception peut-être du guidon). Pas un élément bas de gamme (matez le freinage Beringer et son étrier taillé masse…). De l’exclusivité dans tous les recoins, parfois jusqu’à l’excès maniaque (les minuscules commodos en alu, mignons mais si peu intuitifs…) Des matériaux nobles à tous les niveaux : bref, la très grande classe au service d’un engin évoquant certes le passé mais sans le bégayer (le treillis titane du cadre est on ne peut plus ancré dans le XXIe siècle).
Gros comme des lentilles
Elle est belle, elle est insolemment belle, mais qu’elle est haute ! Ayant probablement gardé quelques habitudes acquises au contact des petits scramblers à la mode (Ducati 800 et Triumph 900, toutes deux courtes sur pattes), je ne m’attendais pas à lever aussi haut la jambe pour enfourcher la Pendine. Posée à 82 cm du sol, sa selle mono demande à mes adducteurs un effort d’autant plus sérieux que la béquille est très verticale. Faire choir 60 000 € de près d’un mètre de haut, étant le genre de bévue dont je me sais, malheureusement, tout à fait capable, je m’installe avec un luxe de précautions au guidon de l’engin. Celui-ci me le rend bien, me réservant un accueil très correct (jambes détendues, buste droit, bras posés sans tension sur le large guidon) et une vue enthousiasmante sur le splendide réservoir alu et l’afficheur. Un tachymètre, une petite fenêtre numérique : dans le genre de la Triumph Street Twin mais encore plus dépouillé. Commodos
gros et rares comme des lentilles dans une assiette de mannequin anorexique, clef de contact déportée sur le côté gauche. Plus minimaliste, tu meurs. Presque zen. Enfin zen... jusqu’au démarrage du V-twin maison. Une pichenette sur l’une des lentilles droites et le voilà, ce fameux bicylindre développé en collaboration avec la maison Akira (la société, elle aussi française, qui, un temps, préparait les moteurs des Kawasaki ZX-10R engagées en WSBK). Je ne sais pas encore ce qu’il vaut ce moteur, mais une chose est sûre : il chante et ce n’est pas du Vincent Delerme. Plutôt du Barry White : posé, mais profond et cuivré. Le genre de voix qu’on n’entend plus trop depuis Euro 4. L’explication est simple : Euro 4, l’exemplaire que j’essaie, ne l’est pas, et en outre, il profite de l’échappement dit « racing » (autrement dit permissif). Un échappement chantant, un ABS aux abonnés absents : cette moto d’essai est, en fait, identique à celles qui partent en ce moment à l’export, en majorité du côté des Émirats arabes unis. Les nôtres (enfin, disons, celles que les Européens fortunés recevront d’ici quelques mois) seront bien aux normes en vigueur avec un échappement et un ABS ad hoc. En attendant ce moment, j’ai la chance, moi, de profiter, pour cet essai, d’un plaisir sans filtre. Les premiers hectomètres, dans la banlieue de Toulouse, me révèlent une moto facile de prise en main, très douce dans le fonctionnement de sa sélection et le travail de ses suspensions, mais aussi assez virile côté moteur.
Imperturbable à fond de six
Un bon gros bicylindre italien des années 2000. Pas un bloc rital des années 80/90 qui cognait fort à bas régime. Non, juste après : quand les twins transalpins commençaient à faire preuve d’un peu plus de souplesse mais conservaient du gros caractère. Voilà à quoi il me fait penser, ce twin ouvert à 88° (à deux degrés près, l’ouverture d’un twin Ducati...). Un bloc qui tracte, bien rond, sans l’effet de creux à mi-régime qu’on ressent souvent sur les twins passés récemment à la moulinette des normes antipollution. Serait-il aussi plaisant ce bicylindre, s’il était dans une configuration plus légaliste ? Thierry Henriette m’assure que oui. En attendant de pouvoir un jour le vérifier, je m’amuse à titiller le moteur de la poignée droite. Une micro-rotation : un jappement et instantanément, un bond en avant. Une rotation un peu plus franche : un guttural aboiement et un catapultage façon boulet de canon. On s’amuse bien lui et moi. On s’amuse d’autant plus que la fourche vient badiner avec nous. Cette fameuse fourche, qui n’en est pas tout à fait une, mais dont le complexe agencement donne à voir sa cinématique à chaque fois que nous accélérons. C’est beau, c’est marrant.