LE DOUBLÉ 250-500
Le projet de doubler les catégories 250 et 500 est venu à l’esprit de Freddie lors d’une nouvelle déconvenue durant la saison 1984, précisément au Grand Prix des Pays-Bas à Assen. Contraint à l’abandon à cause d’un problème technique mineur (un capuchon de bougie avait sauté sur l’un des quatre cylindres de la nouvelle V4 apparue en début de saison), le champion 500 en titre, miné par les blessures et les problèmes de mise au point, réunit le staff du HRC dans son motor-home pour leur faire part de son idée. Quelques instants suffisent pour que M. Oguma, le directeur du HRC, dise simplement : « OK. » Encore fallait-il construire de A à Z une 250 qui n’existait que dans une version utilisée par Joey Dunlop et dont le moteur était extrapolé d’une machine de série. Pour relever cet immense défi, le natif de Shreveport commence par faire un sérieux régime pour descendre à 66 kilos (pour 1,77 m !), conscient de la difficulté purement physique de son pari. « Je crois que ce projet est né d’une sorte de sentiment d’urgence à concrétiser des choses de cette envergure, dit-il aujourd’hui. Je me répète : je n’ai jamais parlé de cela avec qui que ce soit avant de l’écrire dans ce livre, mais avec Honda, depuis longtemps, j’avais le sentiment que : 1. Ce serait avec eux qui je deviendrais champion du monde, et que : 2. Il fallait que je me dépêche pour accomplir ces rêves d’enfant avant qu’il ne soit trop tard. On peut appeler ça un sixième sens, une vision, mais toujours est-il que je sentais qu’il n’y avait pas de temps à perdre. C’était bien avant que je ne commence à avoir les problèmes avec mon poignet, bien avant la fin de la saison 1985…
Car si je commence mon livre par ce que j’ai ressenti quelques minutes après mon premier doublé 500-250 ( dans cet ordre) au Mugello, ce n’est pas un hasard (voir le chapitre suivant). Toujours est-il qu’en effet, la saison 1985 a été extrêmement intense. Lors des premiers essais privés en Australie, je passais déjà d’une machine à l’autre sans trop faire de pauses, je bouclais entre 100 et 150 tours de circuit par jour, j’en avais des ampoules plein les mains. Vu le peu de temps entre les séances d’essais officiels sur les GP, j’ai compris qu’il allait falloir que je stocke les infos et que je les ressorte le soir pour chacune des deux motos. Vu l’importance du travail en amont, je crois que j’étais plus focalisé sur mon travail en essais de pré-saison qu’une fois celle-ci démarrée. Il n’empêche que celle-ci a été épuisante. » Freddie a même disputé le deuxième Grand Prix de la saison, à Jarama, en Espagne, malgré une main, un coude et une cheville fracturés. Ce jourlà, le roi Juan Carlos avait invité M. Honda à venir assister au Grand Prix ; Freddie a oublié la douleur et a réussi à gagner l’épreuve des 500 pour lui. Deux courses plus tard, au Mugello, en descendant du podium de la catégorie 500 qu’il venait de gagner, dans une chaleur de four, Eddie Lawson, deuxième, lui avait dit : « Better you than me... » (« Je préfère que ce soit toi plutôt que moi... ») ; Freddie, en effet, se préparait à courir vers sa 250 dont les concurrents étaient déjà dans la pit lane... On comprend bien qu’à l’issue d’une année physiquement et nerveusement exigeante à l’extrême, Spencer n’ait plus eu la force de poursuivre une carrière jusque-là météorique.