Moto électrique, le pari Newron
Deux ingénieurs français travaillent d’arrache-pied pour créer la moto électrique française et haut de gamme de demain. Retour sur le parcours d’une jeune marque encore au stade embryonnaire qui nous a ouvert ses portes et dévoilé ses coulisses.
En France, on n’a pas de pétrole mais on a des idées, comme le disait Valéry Giscard d’Estaing, président de la République en 1976, pour justifier le passage à l’heure d’été. Deux ingénieurs français reprennent à leur compte, ou presque, cette citation vieille de quarante-deux ans. Non pas pour faire des économies d’énergie mais pour produire la première moto électrique française et haut de gamme. Nous avions quitté Sébastien Mahut il y a un peu plus de deux ans, après l’essai de son Aprilia Futura, animée par un moteur électrique de récupération (voir HS Technique 2016 et photo ci-dessius). Depuis, il n’a pas chômé puisque son idée est devenue un travail à plein-temps. « L’électrique, c’est l’avenir. C’est une des manières les plus performantes pour lutter contre le réchauffement climatique et la pollution. C’est relativement nouveau et, en prime, cela donne des sensations complètement phénoménales » confie ce jeune ingénieur [NDLR, les véhicules électriques comme la voiture baptisée « La Jamais Contente » atteignaient les 100 km/h en 1899 !]. Mais entre Volt, Tacita, Alta, Energica, Saroela, sans oublier les Zero Motorcycles et une multitude de marques développant des équivalents de petites cylindrées, il y a déjà du monde sur le segment. Ce qui n’effraie pas Sébastien, au contraire. « C’est rassurant, cela veut dire qu’il y a un marché. » Michel Serafin, qui a rejoint l’aventure, donne sa vision de l’électrique et celle de la jeune société : « Nous sommes convaincus que ce n’est pas une idée futile. Nous ne pouvions pas nous cantonner à quelque chose de ringard, ce n’est pas notre idée de la France. Nous travaillons donc sur quelque chose de cool et sexy. » Avec le marché qui se développe, à l’image du BMW C Evolution, cela donne du crédit à leur idée et, comme le résume Michel : « Il n’y a pas si longtemps les investisseurs rigolaient. Maintenant, c’est plus simple pour séduire. » Et pour captiver, il fallait davantage qu’une idée qui surfait sur une tendance.
Chasse au trésor et jeu de mécano
Sébastien Mahut explique le début de l’aventure : « Nous avons dans un premier temps décidé nos axes de travail et de recherches en termes de performances et de fonctionnalités. Puis nous avons choisi nos composants en comparant les différents fournisseurs en fonction de la concurrence, que ce soit en moto, en auto ou même dans l’aviation. Enfin, nous avons acheté les différents éléments et les avons assemblés sur une table afin de les tester. » Une fois cette phase de développement – dans tous les sens du terme – qui dura six mois achevée, la deuxième étape du projet devait entrer en action. Il fallait pour cela concevoir une partie-cycle, squelette essentiel à l’intégration du nouveau cerveau. Même si « notre ambition est de construire en partant d’une feuille blanche », comme le confie Michel Serafin, l’équipe a dans un premier temps recherché une donneuse d’organes capable de coller à une certaine idée d’un design pensé en collaboration avec Storm Design. Des esquisses sont ainsi tracées avec « une partie technique apparente et au-dessus des formes plus douces, à la manière d’Aston Martin, comme un voile jeté sur la partie-cycle », précise Sébastien. Et pour aller en ce sens, l’équipe se met en quête d’une machine avec un cadre périmétrique et de beaux périphériques, comme Sébastien avait déjà pu le faire avec son Aprilia Futura. « Nous recherchions une belle machine avec un aspect qualitatif. Nous avions repéré une Triumph Street Triple dans une casse mais, en arrivant sur place, le cadre était vrillé. Juste à côté, il y avait cette CBR 1000 RR, nickel à l’exception de ses carénages, à un prix défiant toute concurrence ». Elle remplissait donc toutes les cases : un prix abordable et un cadre
robuste pour encaisser le couple de 240 Newton-mètre censé sortir de l’ensemble moteur. Michel Serafin précise toutefois ne pas s’enfermer sur les caractéristiques de ce modèle : « Avec la rapidité des évolutions, nous sommes partis sur une structure modulaire afin de faire face aux avancées. Ce cadre sert de base, mais il est amené à être modifié et, à terme, nous développerons des cadres spécifiques ». Un moteur, un cadre, il fallait aussi un nom. Alors quel est le point commun entre Newton et neurone ? L’un sert à établir une valeur de puissance quand l’autre sert à l’intelligence. La réunion des deux donne Newron. Pour son premier anniversaire, la jeune marque déménage chez un incubateur de startup, l’usine IO. « Les ressources humaines, techniques, mais surtout financières, sont le plus gros problème », précise Michel Serafin. « Quand on arrive à l’usine, nous avons un châssis d’un côté et nos modules de l’autre. Cette structure permet d’avoir accès à des machines comme des tours, des fraiseuses, de quoi faire de la soudure spécifique » développe Sébastien. Très avancé sur leur projet avec une première maquette avec des pièces en bois peintes, intégrées à la partie-cycle de CBR 1000 RR, les voilà propulsés dans le premier programme focus d’IO basé sur le « Véhicule autonome et connecté ». Sur 600 dossiers déposés et 100 retenus, six seulement auront la chance d’accéder au programme Focus. Newron se verra en prime ouvrir les portes du Studio F de Xavier Niel (patron de Free) pendant quatre mois. « Trois jours par semaine, nous avons rencontré des banques, des avocats, des fournisseurs, des industriels, assisté à des conférences, etc. En quatre mois, tu réalises de nombreux entretiens que tu n’aurais jamais eus en l’absence de réseau et par manque de connaissance de cet univers et de ses subtilités » précise Michel. Parce que les idées, c’est bien, mais le nerf de la guerre, c’est l’argent.
À la recherche de l’investisseur majeur
Alors, en parallèle de toute la partie technique, le business model est à penser, à développer, et même à repenser parfois. « Nous avons eu beaucoup de “bons conseils”. Entre certains investisseurs français qui nous ont trouvés trop ambitieux et les Américains qui nous voyaient trop petits bras, témoigne Michel Sérafin, nous arrivions même à ne plus croire à notre projet ». Heureusement, la rencontre dans le Studio F avec Anne Asensio, vice-présidente du Design Studio de Dassault System, leur a permis « de retrouver l’ADN de la marque pour le recentrer, non pas sur le produit mais sur l’expérience. Nous voulons innover dans le modèle du transport, mais nous ne voulons pas perdre les valeurs humaines. Nous voulons travailler en France pour que les clients viennent dans notre usine et soient séduits par l’ensemble de la société » annonce Sébastien. Avec déjà 150 000 € dépensés provenant d’apports personnels, de prêts contractés, et 45 000 € de subventions de la région Val d’Oise et de la BPI (Banque Publique d’Investissement), « reste à trouver un investisseur capable de mettre entre 200 000 et 500 000 €, pour que l’année prochaine nous puissions sortir une série limitée à dix exemplaires, homologués sur route, afin d’avoir les premiers retours, et ensuite passer à la commercialisation en 2020 », annoncent de concert les deux ingénieurs. En attendant, l’équipe se lance dans la phase active avec les premiers tests dynamiques de l’ensemble afin de donner vie à son idée qui doit faire face au manque de pétrole à venir.