Wheelings
Tous les ans, dans le nord de l’Angleterre, une bande de sympathiques fous furieux de la poignée de gaz s’amusent à envoyer des wheelings à plus de 300 km/h dans le cadre d’un championnat du monde pour le moins insolite. Cette année, deux Français y parti
Un championnat du monde de la roue arrière sur une ancienne piste de décollage de la Seconde Guerre mondiale, fallait voir ça
C’est l’histoire d’une bande de motards qui se réunissent chaque année à la mi-août sur l’aérodrome d’Elvington, une petite bourgade située au nord de l’Angleterre, près de York, afin de conjuguer la passion du wheeling et celle de la vitesse. Sur le tarmac de cette ancienne base militaire construite au début de la Seconde Guerre mondiale pour déployer les bombardiers alliés, se déroule depuis quatorze ans l’incroyable et inattendu Motorcycle Wheelie World Championship, autrement dit le championnat du monde de wheeling. Créé par David Rodgers, plus connu sous le nom de Dodge, ce championnat officiel n’est pas affilié à la FIM (Fédération internationale de motocyclisme) mais est reconnu notamment par l’ACU (la Fédération anglaise, Auto-Cycle Union). Toutes les mesures sont effectuées selon les règles établies par le Guinness World Records afin que tout nouveau record puisse être ratifié par Guinness. Le principe de l’épreuve est simple : parcourir un kilomètre en wheeling et atteindre la plus grande vitesse maxi ! Sur la désormais célèbre piste numéro 26 longue
David Rogers, alias Dodge, père fondateur du WWC, pilote depuis 18 ans cette Hayabusa transformée en streetfighter radical, profondément préparée et baptisée SupaBusa (supa signifie super en langage courant). De l’Hayabusa d’origine, il ne reste que le cadre et la fourche, même si le fonctionnement interne de celleci a été entièrement revu par les Anglais de Maxton, grand spécialiste du Tourist Trophy, notamment. Afin de gagner du poids, les jantes Dymag sont entièrement en carbone. Les pistes des disques de frein avant sont en tulipe et possèdent une fixation en carbone, tandis que les étriers six pistons sont les Tokico d’origines modifiés .« Plus la moto est légère, plus la puissance est efficace et surtout, elle se contrôle plus facilement enwheeling », précise-t-il. Le bras oscillant provient d’une GSX-R 750 ; plus court que celui d’origine, il réduit l’empattement et permet, selon Dodge, de faciliter les roues arrière, même si la moto perd un peu de ce fait en stabilité. Un sacrifice auquel consent Dodge. Les bracelets ont bien évidemment été remplacés par un cintre plat, look streetfighter oblige. À la base, les guidons de cross montés sur les sportives permettaient de tirer plus facilement sur la moto pour cabrer et aussi de mieux contrôler la moto en wheeling. Malgré tout, au regard des vitesses atteintes aujourd’hui par les cadors de la discipline (350 km/h pour Ted Brady en 2017 !), il apparaît que les bracelets limitent au contraire la prise au vent et permettent de mieux charger l’avant de la moto, d’autant que les wheelings très rapides sont réalisés avec la roue avant assez près du sol. Mais revenons à la SupaBusa, dont l’échappement court de forme tri-ovale est signé Quill, un manufacturier anglais qui oeuvre depuis près de 20 ans. Niveau look, Dodge a entièrement dessiné la coque arrière et le réservoir d’essence qu’il a fait réaliser en aluminium .« La contenance du réservoir? Aucune idée, je ne fais jamais le plein. Pour les r uns, je mets juste 2 gallons( soit 9 litres) d’ essence. Ici, on utilise de l’ essence de compétition avec un indice d’ octane de118.» Ce qui permet d’améliorer la combustion, et donc la performance, mais aussi d’éviter les problèmes de cliquetis sur ces moteurs très préparés. À Elvington, l’organisation vendait également des bidons d’essence VP Racing à 120 d’indice d’octane à 100 € les 20 litres (soit 5 €/litre). Contrairement à de nombreux concurrents qui greffent un turbo sur leur Hayabusa, Dodge a quant à lui opté pour un compresseur réalisé par le fabricant américain Pro Charger, plus progressif qu’un turbo et donc plus facile à gérer selon lui. L’ensemble du kit permettant l’adoption au quatre-cylindres en ligne est l’oeuvre de Big CC Racing, un spécialiste anglais .« Avec un turbo, si vous coupez les gaz un peu trop f or tenwheeling,lec la pet de décharge dans law as te gate se ferme et vous perdez beaucoup de puissance brutalement. Et quand vous remettez les gaz pour faire remonter la roue, le clapet s’ ouvre et la puissance revient tout aussi brutalement. Avec le compresseur, qui est entraîné parle vilebrequin, la sur alimentation intervient à plus bas régime, la puissance arrive de façon plus linéaire et les variations à la poignée de gaz sont moins brutal es, ce qui est important en wheeling. Mais les turbos offrent tout de même encore plus de puissance et donc de vitesse de pointe .» Et pourtant, vidéo du passage au banc à l’ appui, la SupaBusa du Dodge crache la bagatelle de 352 ch ! Pas mal pour un roadster...
quelques années pour participer à ce championnat. Cette année, il est devenu le premier pilote à faire franchir le cap des 200 mph à une 1 000 cm3.
Wind cries wheelie
Afin de limiter les effets du vent en wheeling, toutes les sportives sont ici dépourvues de leur carénage, seule la tête de fourche subsistant, pour certaines. Perdu au milieu des champs battus par le vent anglais, le taxiway qui mène à la piste à wheelings prend les allures d’un voyage dans le temps, direction les années 80/90, quand les motards qui ne possédaient pas le budget suffisant pour remettre en état leur sportive après une chute, la transformaient en street-bike. En Angleterre, terre du rock et du punk, ce genre a bien évidemment été poussé à son extrême avec les streetfighters, traduisez les bagarreuses de rue. Dans les années 60, en Angleterre, sévissaient les café racers. Dans les années 90, vint ainsi le tour de ces sportives, sans carénage – et dont la boucle arrière remontait vers le ciel – de défrayer le bitume de la perfide Albion. Un look qui contribua à la célébrité de Dodge : « Il y a 35 ans, quand j’ai commencé à préparer ainsi mes motos, ça n’existait pas, précise celuici. Le magazine Streetfighers n’est sorti que plus tard, quand d’autres se sont mis à en faire autant. » Mais à quoi bon relever l’arrière de la sorte ? « Afin de mieux se caler en wheeling » , répond comme une évidence Dodge, qui avoue avoir été, depuis sa plus tendre enfance, piqué par le virus du wheeling, comme beaucoup d’autres concurrents à Elvington : « Mon père m’a mis au guidon d’une moto dès l’âge de 6 ans. Mon obsession pour les wheelings a commencé très jeune. Je me souviens d’avoir regardé Evel Knievel à la télévision et d’avoir pensé que je devais faire quelque chose d’aussi stupide. En 1987, j’ai débuté les courses d’accélération au guidon d’une Honda CBX 1000 six-cylindres que j’avais modifiée : et déjà, je faisais mes runs en roue arrière car c’étaient les seuls endroits pour pratiquer en sécurité le wheeling rapide. En 2005, j’ai lancé ce championnat du monde de wheeling, dont j’ai rapidement confié l’organisation et à la gestion à Trevor Duckworth, responsable de Straightliners Events, une équipe spécialisée dans les événements de type dragster et autres courses d’accélération. Je reste impliqué dans la vie du championnat mais cela me permet de m’adonner l’esprit libre à ma passion. » Une passion que partage Philippe Richard, ce Français âgé de 50 ans, venu prendre sa dose d’adrénaline. « Être ici, c’est un rêve ! J’ai l’impression d’être revenu dans les années 80, quand tout était permis… ou presque. Je viens pour l’amour de piloter une moto en wheeling, bien sûr, mais aussi pour la mécanique, et admirer tous ces moteurs préparés. » Accompagné de Jonathan et Elodie, deux amis motards jusqu’au bout du sourire et de la bonne humeur qui ne leur fait jamais défaut, Philippe évolue dans le paddock comme un poisson dans l’eau : « Ils sont tous hyper sympas. On a même passé une journée chez Dodge le vendredi avant l’épreuve, avec
d’autres participants. Ils se connaissent tous et t’accueillent comme si tu les avais toujours connus, alors que pour moi, Dodge, c’est une légende. Tu as vraiment le sentiment d’intégrer une grande famille. » Seul événement de ce genre et de cette ampleur au monde, ce week-end consacré aux wheelings à haute vitesse profite d’un bel esprit de convivialité, en témoigne la joie de chaque participant pour celui qui vient de valider son kilomètre. Plus de 30 participants étaient présents cette année, venant de Grande-Bretagne bien sûr, mais aussi des Pays-Bas, des USA, de France ou d’Irlande.
Atmo vs turbo
Pour la machine, le choix est libre. Deux écoles mécaniques s’opposent : atmosphérique versus suralimentation (turbo ou compresseur). La première option est la plus simple, n’importe quelle moto stock étant acceptée. Du coup, c’est aussi celle qui peut s’avérer la moins onéreuse, en fonction de la machine choisie. Après de nombreuses années au guidon d’une GSX-R 1000 K8, Fabrice Monrose, l’autre Français présent cette année, qui participe à cet événement depuis ses débuts, s’est engagé au guidon d’une BMW S 1000 RR HP4, pour la troisième année consécutive. Une moto avec laquelle il rencontre cependant plus de difficulté pour valider le kilomètre en wheeling, malgré la puissance supérieure à sa GSX-R. De son côté, Philippe, bien que débutant, a quant à lui choisi la voie du turbo avec une GSX-R 1100 air/huile de 1990 préparée à bloc et dont la cylindrée a été porté à 1300 cm3 : « Le but n’était pas seulement de venir valider un wheeling rapide sur un kilomètre, le plaisir, c’était aussi de construire ma propre moto. » Hélas, découvrant le turbo et malgré les conseils avisés de Dave Dunlop de Fast by Me Turbo, le sorcier anglais de ce type de suralimentation, Philippe a essuyé deux casses moteur lors de la mise au point de sa moto, ce qui a fait flamber la facture. « Heureusement, j’ai eu de gros coups de
main d’Acte3 Moto à Metz, de RP2M Performance, de Gas Wax et de FBM Turbo, reconnaît Philippe, sinon l’aventure se serait arrêtée après la deuxième casse moteur. J’ai hélas fait des choix qui n’étaient pas les bons, en voulant trop bien faire et en montant notamment de la pièce neuve très onéreuse systématiquement. Je pense que si j’avais dû tout payer de ma poche, sans l’aide salvatrice de mes partenaires, la facture se serait élevée à près de 50 000 €… Avec le recul, je trouve ça dingue. Mais j’ai énormément appris. En fait, en achetant un Gex en version street-bike pas trop chère, en refaisant la partie-cycle avec une belle peinture et en confiant la réalisation du moteur à Dave Dunlop avec un kit turbo bien réglé, je pense qu’on peut s’en tirer pour 18 000 € environ. À ce prix, vous avez une moto unique et un outil à wheeling exceptionnel dont la puissance dépasse aisément les 200 ch ! Selon Dave Dunlop, ma moto développe quant à elle entre 300 et 350 ch, selon le boost du turbo. Reste plus qu’à apprivoiser cette puissance… » Ce qui ne fut pas une mince affaire pour notre homme. Comme de nombreux participants, et notamment le Néerlandais Egbert van Popta, qui a remporté 4 fois l’épreuve et qui fut le premier à passer la barre des 200 mph (321 km/h), Philippe n’a pas validé son kilomètre en wheeling pour sa première participation. « Je suis un peu déçu bien sûr, mais avec les casses moteur que j’ai eues lors de ma préparation, je n’ai pas pu m’entraîner avant. On a fait régler le turbo chez Dave Dunlop sur la route en montant ici. Je découvre le comportement du turbo, et je dois avouer que c’est terriblement impressionnant ! » Prendre la mesure de l’événement, apprendre à gérer une moto turbo de plus de 300 ch, autant d’éléments qui n’ont pas facilité la performance de Philippe, qui garde malgré tout le sourire et la motivation intacte : « L’année prochaine, je reviens ! Maintenant que ma moto est fiabilisée, il me reste un an pour la comprendre, prendre confiance et l’apprivoiser. » Rendez-vous donc en 2019 pour fêter le 15e anniversaire du World Wheelie Championship ! n