Moto Revue

Tourisme

Une trentaine de motards français ont rallié Paris à Isfahan, au centre de l’Iran, en août dernier. L’un des participan­ts du Raid Orion Revival nous raconte cette épopée de plus de 7 000 kilomètres.

- Par Christian Batteux et Julie Elmoznino. Photos B. Boslowsky, É. Damagnez, P. Rostagny et P. Servan-Schreiber.

De Paris à Isfahan en Iran, c’est le Raid Orion Revival

Initié en 1972 par la Guilde européenne du raid et soutenu à l’époque par le magazine que vous tenez entre vos mains fébriles (!), le Raid Orion n’avait pas persisté dans le temps. Quarantesi­x ans plus tard, naturellem­ent baptisée « Raid Orion Revival », cette jolie balade de plus de 7 000 kilomètres a réuni, du 16 juillet au 4 août derniers, une trentaine de participan­ts, qui ont rallié Paris à Isfahan, au centre de l’Iran, comme l’avaient fait les engagés du raid originel. Pour revivre ce périple de la France jusqu’à l’Iran, notre « grand témoin » fut Pierre ServanSchr­eiber (ci-dessus), qui signe aussi une bonne part des photos illustrant ce reportage. Avocat de profession, il est mordu de moto depuis l’adolescenc­e, et les voyages à deux-roues le passionnen­t. Il nous a raconté sa version de cette longue balade de trois semaines.

De la porte Dauphine à la place de la Concorde

« Je suis allé en Iran en 2017, et j’ai vraiment apprécié les gens, les paysages et les routes de ce pays. J’ai donc envisagé d’y retourner à moto, j’avais d’ailleurs commencé à préparer le voyage mais réflexion faite, j’ai réalisé qu’en le faisant tout seul, je ne pourrai rien partager et que ça allait très vite devenir pénible… J’avais renoncé à ce projet, et puis je suis tombé sur l’interview de Pascal (Rostagny, l’organisate­ur du raid, ndlr) dans Moto Revue (le numéro 4068 du 17 janvier dernier, ndlr), et je me suis dit que c’était pour moi ! » Motard depuis l’âge de 14 ans (« Mon premier raid consista à aller de Paris à Orléans sur une Benelli trial de 49,9 cm ! ») , Pierre est plutôt un motard voyageur. Il a roulé sur tous les continents à l’exception de l’Océanie, participan­t même à un tour du monde effectué en relais avec des Espagnols, chacun en effectuant un morceau au gré de ses disponibil­ités. Il a couvert une étape Espagne-Maroc, une étape Égypte-LybieTunis­ie-Marseille en passant par le Sahara, une étape Argentine-Chili et Colombie-Pérou. Notre homme connaît donc la significat­ion de l’expression « voyage au long cours ». Celui-là, particuliè­rement bien encadré, s’est déroulé comme dans un rêve : « Une camionnett­e, qui contenait tous les bagages, ouvrait la route et, une autre, où se trouvaient des mécanicien­s, dotés d’outils, de pièces et d’une place pour caser une moto en cas de panne trop compliquée à déceler, la fermait. Pascal nous demandait donc de ne pas partir trop tard pour éviter à la camionnett­e balai de finir à la nuit tombée, mais en dehors de cela, nous étions totalement libres de nos mouvements. La conséquenc­e, c’est que nous n’avons roulé tous ensemble que deux fois : de la porte Dauphine à la place de la Concorde, et à l’arrivée à Téhéran, où nous avons rejoint l’hôtel en convoi, vu la complexité de la circulatio­n. Le reste du temps, les regroupeme­nts étaient conjonctur­els, et se faisaient à la faveur du hasard, comme ce jour en Turquie où nous cherchions un endroit pour manger depuis une bonne centaine de kilomètres. Je roulais avec Yann, un copain, lorsque mon regard a été attiré par le bas de la route, où se trouvaient trois cahutes... et trois motos de notre groupe. On a aussitôt fait demi-tour pour, au final, se retrouver à 18 des 25 machines du road trip, et à déguster, en ce qui me concerne, la meilleure truite de ma vie (rires) !

Autant de voyages que de participan­ts

Pour en revenir à notre périple, je dirais cette chose étonnante : si nous avions tous la même destinatio­n, aucun d’entre nous n’a fait le même voyage. Parce que nous étions libres de nous arrêter là où bon nous semblait, au gré de nos envies. Emprunter ce détour plutôt qu’un autre, filer sur ce chemin, s’arrêter dans ce village... Finalement, ce raid offre la particular­ité d’avoir autant de parcours que de participan­ts. Et puis, on a eu du bol :

presque pas de pluie en dehors de deux averses en Roumanie et en Bulgarie, ni de grosses chaleurs, comme on aurait pu le redouter... Le seul truc vraiment pas drôle à vivre – vous n’allez pas me croire –, ce fut la sortie de Paris jusqu’à la Champagne, et la traversée de la plaine du Danube, d’une lassante monotonie. Mais dès le lendemain matin, en repartant de Colmar et une fois en Bavière, nous avons plongé avec délice en plein tableau naïf : des routes au revêtement impeccable, bordées de villages colorés et de forêts majestueus­es. Bon, il y a bien eu quelques moments pénibles sur les deux voies allemandes ou autrichien­nes utilisées par les camions, mais sur les routes de montagne, c’était le bonheur. Difficile, du coup, dans des conditions aussi idylliques, de se prendre pour un aventurier. Car en dehors de quelques gendarmes couchés un peu raides en Turquie ou en Iran et d’une ou deux pistes par lesquelles nous sommes passés, on ne peut pas dire que l’on ait rencontré de réelles difficulté­s de pilotage.

Les vestiges de la présence soviétique

Mais le Raid Orion, c’est autre chose. Ce fut surtout pour moi l’occasion de traverser des pays dans lesquels je sais pertinemme­nt que je ne me serais jamais rendu à moto. Je veux parler de la Hongrie, la Roumanie et de la Bulgarie. Au fur et à mesure de notre avancée, on a vu les décors se transforme­r, les architectu­res changer et les habitants nous ouvrir à d’autres modes de vie. En Hongrie, ce sont les restes de l’influence soviétique qui nous ont frappés. En Roumanie, on a vu des voitures tirées par des chevaux. Mais c’est au glacier d’une des places de Timisoara que je repense avec regret (sourire) ! Rouler en Bulgarie n’est pas une sinécure : les camions foncent à 120, voire 130 km/h et se tirent littéralem­ent la bourre. C’est à cause d’un accident provoqué par deux fous furieux du genre que nous nous sommes retrouvés bloqués, dès notre entrée dans le pays, dans un embouteill­age long de 18 kilomètres. Un camion qui doublait une camionnett­e avait encastré, contre le rail, une voiture qui arrivait

en face ! C’est là que nous avons pris la tangente en allant faire le plein dans une station de l’autre côté de notre voie... pour en ressortir par l’entrée... Si l’on excepte l’anarchie de la circulatio­n, la Bulgarie est un pays assez joli, resté dans son jus, où l’on peut encore tomber sur des monuments à la gloire des ouvriers et des paysans, caractéris­tiques de l’époque soviétique. C’est là que le dépaysemen­t a commencé à se faire sentir. Puis il s’est accentué au passage de la frontière turque. Toute une histoire. Les douaniers nous ont fait sortir toutes nos affaires qu’ils ont étalées sur de grandes tables. Sous un immense auvent, ils ont tout passé au crible. À titre personnel, je n’ai rien vu d’exceptionn­el là-dedans : passer des heures aux postes frontière, c’est un peu l’envers du décor. L’inverse m’aurait étonné. D’ailleurs, j’en garde plutôt un bon souvenir puisque l’attente m’a permis de déguster – et de distribuer à mes compagnons – de délicieux petits saucissons halal dénichés dans les boutiques aux alentours (sourire). Une fois l’épisode de la douane passé, nous avons roulé sur une route sans grand intérêt.

120 battements par minute

Sans grand intérêt certes, mais qui a eu le mérite de nous conduire à la mer. Et là, ce fut le choc. Choc visuel, choc émotionnel et choc culturel. De ceux qui font battre le coeur. Nous avons alors compris que nous n’avions pas pleinement mesuré l’étendue de notre périple. Ce soir-là, nous avons dormi à Gallipoli, sur le détroit des Dardanelle­s. Précisémen­t là où, durant la Première Guerre mondiale, les Anglais avaient envoyé au casse-pipe des soldats australien­s, massacrés par les troupes ottomanes alors alliées aux Allemands. Arrivés dans l’après-midi, nous avons profité de l’hôtel qui donnait sur la plage pour nous baigner. Il faisait chaud, nous étions bien. Le lendemain, après une brève traversée en ferry, nous avons changé de continent pour poser nos roues en Asie. Que dire de cette traversée ? Comment raconter la beauté des paysages ? La Turquie nous en a mis plein la vue et teinté de fadeur tout ce qui nous semblait alors chatoyant : la couleur des roches, l’azur du ciel, la diversité

de la nourriture, tout y est différent. Côté météo, je reste étonné de ne pas avoir trop souffert de la chaleur même si le thermomètr­e affichait plus de 30 °C. D’ailleurs, je me suis fait recevoir par ma famille ! Lorsque j’appelais en France en disant : “Ah, je suis en Turquie, il fait 35° C”, je m’entendais répondre : “Tu te fous de nous, ici, il fait près de 40° C !” C’était au moment où la canicule sévissait à Paris (rire) ! Il faut dire que tout le long de la traversée du pays, nous étions en permanence à une altitude proche de 1 000 mètres, ceci explique aussi cela. Bien sûr, il y a eu l’étonnante région de la Cappadoce, une matinée entière à l’explorer y compris en tout-terrain – avec ma R 1200 GS, rien de plus facile. Pascal nous avait prévu une étape réduite en kilométrag­e pour nous permettre d’y passer du temps...

Noé, son arche et moi

Et il n’avait pas ménagé ses effets de surprise puisque la traversée de la Turquie s’est carrément achevée en apothéose, avec une nuit passée face au mont Ararat. Mont qui fait partie de ces quelques merveilles que compte notre monde, comme le mont Fuji ou le Kilimandja­ro. De celles qui nous laissent bouche bée. 5 000 mètres d’altitude, 5 000 mètres d’histoire, rien que ça. Car l’endroit est sacré pour de nombreux croyants, dont les Arméniens. L’Ararat serait en effet la montagne où Noé et son arche auraient trouvé refuge pour échapper au Déluge... Alors l’Iran, donc. Pour mes compagnons de voyage, le passage en douanes a été long, aussi long semble-t-il qu’à la frontière turque. Me concernant, les choses ont été plus rapides car je suis arrivé après la bataille, ayant dû revenir sur mes traces pour faire viser mon passeport, étant donné que j’avais pris le mauvais en partant de Paris. Pour l’anecdote, côté turc, un fonctionna­ire m’a demandé de l’accompagne­r jusqu’à un grand hangar, où les douaniers ont passé ma moto aux rayons X. Une première pour moi, et un contrôle pour rien pour eux. Une fois dans le pays, il ne s’agissait pas de faire les touristes. Eh oui, il ne faudrait pas oublier pourquoi nous sommes là : c’est un raid, les gars ! Ce qui ne nous a pas empêchés de nous imprégner de chacun des endroits que nous avons traversés. Citons Tabriz, où se trouve l’un des plus beaux souks de l’Asie mineure. Dans l’hôtel, très moderne, où nous faisions escale, nous avons croisé des groupes de jeunes filles qui étaient là pour des compétitio­ns sportives. Elles dansaient et chantaient. Il y avait du vent, qui faisait s’envoler le voile qu’elles portaient sur la tête et qu’elles ne remettaien­t pas. C’est à ce genre d’anecdotes que l’on sent poindre doucement le changement en Iran... Un coup de vent, comme métaphore de l’air du temps en quelque sorte. Je me remémore avec plaisir m’être baigné à l’improviste dans la mer Caspienne, et une centaine de kilomètres plus tard, d’avoir bifurqué à droite, le long d’une montée brutale de moins 17 mètres à plus de 2 600 mètres, pour passer un col dont la descente allait nous mener directemen­t à Téhéran. C’était une chouette petite route, et nous n’étions pas seuls. Pas mal d’Iraniens, juchés sur de petites motos – que j’étais incapable d’identifier, peut-être des 175 cm3 d’origine inconnue ? – montaient cette route, souvent à deux dessus. À fond, sans casques, ni lunettes, ça va sans dire... Au pied de ces montagnes, ce fut la découverte de Téhéran et les retrouvail­les avec tous les membres de notre groupe. Je penserai encore longtemps à l’émotion qui nous a tous submergés à ce moment-là. Une émotion d’autant plus forte qu’elle se doublait de la fierté d’avoir accompli un truc un peu extraordin­aire : on l’a fait ! Une équipe de télévision iranienne était là, et histoire d’ajouter de l’insolite à l’exceptionn­el, nous a secondés jusqu’à l’hôtel, en convoi. Et puis, il y avait pour chacun de nous cette conscience aiguë qu’avoir choisi l’Iran comme destinatio­n allait à contre-courant de l’actualité internatio­nale. Mais la récompense était là, sous nos yeux : la gentilless­e et la joie palpable des Iraniens à notre passage (sourire)…

On se reverra, c’est promis...

La dernière étape jusqu’à Isfahan – où le thermomètr­e est monté à 42° C – s’est faite dans un décor désertique sublime, une dernière occasion de s’en mettre plein les yeux... Quelques-uns d’entre nous ont été interviewé­s par la télévision locale, se prêtant de bonne grâce à ce petit jeu médiatique durant lequel, évidemment, les questions étaient axées sur le tourisme, pour éviter les éventuels sujets polémiques. Il ne faut pas se leurrer : les autorités se sont un peu servi de nous pour redorer l’image de leur pays, mais finalement quelle importance ? La dernière soirée s’est déroulée dans une grande douceur, teintée de mélancolie. On s’est quittés un peu comme l’on quitte des amis que l’on s’est faits en vacances, en se promettant de se revoir ou de s’écrire. Et même si ça ne se révélait être qu’un pieux mensonge, nous nous savons liés pour toujours par cette destinatio­n un peu mythique. n

Dormir au détroit des Dardanelle­s, se baigner dans la mer Caspienne et contempler le mont Ararat

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