Interview
Aujourd’hui retraité, Jean-Michel Cavret était, au lancement de la K1, fraîchement installé dans le fauteuil de direction de BMW Motorrad France. Il se souvient du survol de cet ovni au-dessus de la production munichoise de l’époque.
L’ancien patron de BMW France, Jean-Michel Cavret, réagit à notre essai de la BMW K1 publié en page 90
La K1 a, pour moi, un goût de baptême du feu. Bien qu’ayant débuté chez BMW en 1972, je reviens au sein de la marque en 1989, sur un concours de circonstances : le directeur du département moto vient de mourir brutalement à 49 ans et BMW me contacte pour lui succéder, alors qu’à l’époque je travaille chez Renault, coupé depuis plusieurs années de l’univers moto. Mais j’accepte et en septembre 89, je me retrouve à la tête de BMW Motorrad France, une semaine avant le lancement français de la K1. Cette moto, je ne la connais pas plus que ça : j’avais quitté BMW à l’époque du flat hégémonique. Je suivais bien sûr de loin l’évolution de la gamme et je connaissais un peu la série K, avec la K75, la K100... Mais là, on est sur tout autre chose : la moto a un look incroyable. Complètement carénée, anguleuse à l’extrême, avec cet énorme garde-boue qui englobe quasiment toute la roue avant et cet imposant dosseret de selle qui coiffe la boucle arrière. Cette ligne, si particulière, est tout sauf un caprice de designer : l’objectif avec cette moto, c’était d’obtenir la meilleure pénétration dans l’air possible. À Munich, ils développent le projet depuis 1983 et enchaînent les tests aerodynamiques. En 1986, le prototype a été présenté au conseil d’administration et en 1988, le design est figé. Ce dessin, signé de l’Allemand Karl-Heinz Abe, n’a donc rien de fantaisiste : il est complètement dicté par la recherche de performance aerodynamique. Et il atteint son objectif : la moto de série sort avec un S.CX de 0,38 avec le pilote buste droit et de 0,34 avec le buste couché sur le réservoir. Les meilleures valeurs de l’époque. Un design complètement au service de la fonction : c’est l’idée force. Bon après, au-delà du design, il y a la déco qui, elle aussi, est très particulière. Là, bien sûr, aucun déterminant technique ou fonctionnaliste : je pense simplement qu’à l’époque, BMW souhaite montrer que le look de la moto est complètement assumé. D’où les jantes, la selle et la transmission jaunes, les gros logos sur les flancs de carénage et les couleurs pas franchement consensuelles... Je me souviens que pour la fameuse présentation, dont je parlais tout à l’heure, celle auprès des concessionnaires français, toutes les motos étaient “Marrakesch-rot” comme disait le catalogue de l’époque. Rouge pétant et jaune : 80 motos comme ça, sur leur béquille, plantées au milieu des arènes d’Arles, avec autour, tous les concessionnaires du réseau France qui les découvraient. Les regards étaient plutôt écarquillés mais la moto, aussi clivante soitelle, a été bien reçue par le réseau. Il faut dire qu’à l’époque, ce dernier était en attente de quelque chose. Pas forcément cette moto, telle qu’elle était pensée et dessinée, mais quelque chose : un nouvel élan. BMW Motorrad souffrait, en effet, dans ces années-là, d’un problème d’image. Une image trop sérieuse qui plaisait certes à une clientèle fidèle, mais vieillissante. Bref, la marque n’envoyait pas de bons signaux. Et c’est pour changer cela que le projet K1 a été lancé. La vocation de la K1, sa principale raison d’être, c’était juste de faire entendre cette petite voix qui disait : “Coucou, on existe et on sait prendre des risques.” C’était là, la subtilité de la chose : ce n’était pas à proprement parler un projet risqué d’un point de vue industriel. C’était un projet qui mettait en scène la notion de risque. Un objet pour faire parler de la marque autrement et aussi attirer les gens dans les concessions. Pas forcément pour en acheter une, mais surtout pour discuter autour. Elle était dans les showrooms comme un objet conversationnel. Un produit d’image, franchement pas un produit de volume. D’ailleurs, durant la carrière de la moto, en tant que directeur de BMW Motorrad France, je n’ai jamais eu avec le siège allemand de discussion “volumes” à propos de la K1, alors que c’était courant pour le reste de la gamme. Les ventes de la K1, c’était une question complètement secondaire pour Munich. Ce n’était tout simplement pas la vocation de la moto. Pour cette raison, je n’ai pas été du tout surpris de voir sa carrière s’arrêter au bout de quatre ans. Le nouveau moteur Boxer – un investissement lourd qui représentait un gros saut technologique – arrivait. Une nouvelle ère s’ouvrait pour BMW et la K1 avait finalement parfaitement rempli sa mission : attirer les regards sur la marque, infléchir positivement son image et maintenir l’intérêt des clients potentiels. La K1, ce fut tout sauf un échec pour BMW. » n