Triumph Scrambler 1200 XE/ XC
C’est justement la question. Savoir si ces nouveaux Scrambler 1200 (et plus particulièrement la version XE) renouent, comme le promet Triumph, avec le genre scrambler originel. Celui capable de croquer le désert, de sauter des bosses, de manger la route e
Le constructeur britannique renoue avec le genre originel du scrambler, à la mode des années 2010
L’image n’est pas usée par le temps, bien plus par une utilisation à répétition. Cette image, c’est celle de Steve McQueen prise en 1963 sur les collines d’Hollywood, torse nu, assis sur sa Triumph TR6/R de 1961, à la cool, une certaine idée de la liberté transpirant depuis cette bordure de désert californien... Presque 60 ans plus tard, le genre est devenu plus que tendance, carrément incontournable. Une large partie du monde de la moto s’est engouffrée dans la brèche d’un revival que même les marques que l’on imaginait loin de nous (l’industrie du luxe, notamment) s’approprient avec gourmandise. Mais à l’époque, cette moto, c’était d’abord une moto... Dans les années 60, il n’y avait pas comme aujourd’hui une moto par usage, mais une moto tout court, avec laquelle on faisait tout pour peu qu’on en ait l’idée, l’envie et parfois le courage. À la lumière de nos catalogues actuels où s’étalent par dizaines des modèles remplissant des niches, sûr que cette TR6/R plantée dans le sable détonne. En 2019, dans ce même sable, Steve McQueen roulerait à coup sûr avec une moto d’enduro, de cross peut-être, de rallye pourquoi pas, ou avec un petit trail léger, mais pas avec un scrambler. D’autant que jusque-là, si l’esprit encouragé par la plastique et les artifices retenus pouvait faire illusion, la réalité dynamique ne permettait à celles se revendiquant du genre scrambler aucune réelle incartade dans un off-road un poil corsé... Alors, ces nouveaux Scrambler 1200 sont-ils un hommage à l’icône disparue ? Un hommage, et l’occasion de prouver que
McQueen avait bien raison d’utiliser sa machine dans un tel environnement. Et dans ces lignes, nous nous concentrerons plus particulièrement sur le modèle XE (mieux équipé que le modèle XC, que nous détaillons dans l’encadré ci-contre), que la marque britannique nous promet baroudeur jusqu’au bout des pneus, capable de toutes les incartades, ou presque, en tout-terrain. Une communication massive autour de ses aptitudes et l’occasion pour nous de vérifier, une journée durant, l’adéquation réelle entre les paroles et les actes (voir encadré pages suivantes). Mais au-delà des prétentions de baroudeuses off-road qui, pour nous, seraient la cerise sur le gâteau, c’est avant tout sur route – où l’immense majorité des futurs propriétaires passeront 95 % de leur temps (voire certainement un peu plus) – que nous l’attendons. Et autant le dire tout de suite, elle l’a été. De prime abord pourtant, ce modèle XE impressionne. Si le gabarit n’est pas très imposant quant à son volume global – puisque, par nature, le style Scrambler se veut dépouillé et ne s’embarrasse donc pas de larges carénages, ni de bulles proéminentes –, la hauteur générale étonne pour une moto de cette famille. D’ailleurs, la hauteur de selle un poil élevée induite par les suspensions à grand débattement handicape les petits gabarits, notamment dans les manoeuvres à l’arrêt, où la XE ne se montre pas très facile à déplacer. Mais là où tout s’éclaire, c’est au moment de passer la première. Le bicylindre parallèle de 1 200 cm3 se montre immédiatement accessible, proposant un confort de comportement une fois passé le cap des 2 000 tr/min. C’est en effet une fois ce seuil franchi que l’on peut le qualifier de souple.
Les mauvaises surprises s’envolent, plus les pilotes
Avant, il convient de l’accompagner de l’embrayage pour éviter les cognements. Mais c’est bien à partir de 3 500 tr/min que le bloc anglais montre son meilleur profil, juste avant qu’un large sourire ne barre celui de son pilote quand le régime moteur danse entre 4 000 et 6 000 tr/min – plage de régime idéale où se mêlent efficacité, vivacité, et force. Et plutôt que de chercher à l’emmener très loin dans les tours, il est préférable de passer des rapports, d’autant que la boîte six vitesses y invite, proposant toujours le pignon qui sera en adéquation avec le régime moteur du moment. Et comme l’embrayage assisté ne tétanise pas les doigts de la main gauche, on comprend vite qu’il ne sert à rien de faire l’économie d’un passage de rapport, même si l’allonge et le couple du moteur le permettent souvent. Généreux, ce twin avance avec force, parfaitement encadré par une multitude d’assistances à la conduite (voir encadré pages suivantes) permettant de s’adapter aux conditions du moment, c’est-à-dire à la météo, à l’état de la route, mais aussi à la forme comme à l’envie du pilote. Sous ses airs rétro, la Scrambler 1200 cache pléthore de technologies du moment. Une aide précieuse ou tout du moins un confort d’esprit que de pouvoir compter sur un contrôle de traction quand le sol devient humide par exemple... D’autant que les pneus Metzeler Tourance, s’ils offrent un bon toucher de route, étaient parfois mis en difficulté sur les routes glissantes de notre essai portugais. Malgré une température extérieure de 15 °C, et après une séance menée à rythme soutenu, l’avant
tiédissait à peine quand l’arrière se montrait guère plus chaud, pas de quoi poser le coude par terre, au risque sinon d’envoyer bouler le reste dans la foulée… Ce qui arriva pour deux camarades de notre groupe d’ailleurs : l’ouvreur anglais après un excès de zèle et des pneus refroidis qui lui firent exécuter une jolie toupie, et un collègue français qui, plantant un freinage un poil nerveux dans une courbe humide, échoua l’équipage dans un poteau en bord de route, sans grands dommages d’ailleurs, si ce n’est un réservoir cabossé et un vernis bien entaillé sur l’avant-bras de l’infortuné trappeur… Parce que pour freiner, la belle freine. Les étriers Brembo M50 offrent à la fois gros mordant et forte puissance, un atout à condition de comprendre qu’avec ses grands débattements (250 mm), les freinages appuyés réclament une certaine méthode. Méthode qui consiste à prendre le frein arrière pour commencer par tasser la moto juste avant d’empoigner le levier avant, histoire de réduire les transferts de masse en limitant la plongée de la fourche. Une fois la technique validée, les mauvaises surprises s’envolent, plus les pilotes... Pour le reste, cette 1200 soigne la vie à bord avec une selle confortable, un guidon assez haut perché au cintre droit et plutôt large (850 mm) qui propose une position de conduite dos droit.
Les yeux fermés, on jurerait être sur un trail
D’ailleurs, en fermant les yeux (ce qu’il ne faut surtout pas faire en roulant, on est d’accord), on jurerait être sur un trail, l’excellente protection généralement constatée en moins (même si le fait d’être enfoncé derrière le guidon est plutôt efficace sur ce point jusqu’à 130 km/h), et la chaleur perçue sur le mollet droit en plus. C’est même là le défaut principal de cette Scrambler, une tubulure d’échappement déportée en hauteur (Scrambler style oblige) sur laquelle vient naturellement se poser le mollet droit. Et la chaleur dégagée par ce gros bloc a tendance à cuire un peu la patte… Si sur la Street Scrambler (le 900 cm3 essayé en page 38), une diffusion de chaleur était aussi perceptible, le thermostat était réglé plus bas... Mais avec un bloc 1200 plus encombrant, les tubulures se voient décalées d’autant vers l’extérieur, obligeant le pilote (comme le passager) à forcer pour écarter la jambe et éviter un contact qui, à 15 °C de température ambiante (au thermomètre portugais de notre essai), et sans embouteillage, devenait déjà rapidement désagréable. On imagine en plein été, planté à un feu rouge... Voilà matière à réflexion, et à développement, pour les accessoiristes. Pas sûr en revanche que les spécialistes des suspensions feront leur beurre avec elle, tant les qualités de confort et d’amortissement offerts par l’ensemble Showa (fourche) et amortisseurs (Öhlins) sont manifestes. Agile, stable, précis et acceptant les corrections de trajectoires, ce Scrambler 1200 XE montre un excellent équilibre et une très bonne tenue, à la réserve de pneus trails dont le profil et les sculptures font qu’ils n’auront jamais le grip offert par des concurrents routiers. n