Moto Revue

Rencontre

- Par Jean-Aignan Museau.

Fabio Quartararo, que nous sommes allés voir dans sa ville de Nice, nous a confié ses espoirs pour l’année 2019 qui le verra débuter en MotoGP

Le 10 mars 2019, Fabio Quartararo prendra son premier départ en catégorie MotoGP sur le circuit de Doha. Cinq ans après ses débuts en GP, alors qu’il n’a pas 20 ans, la voie qui l’a amené en catégorie reine n’a pas été simple. Nous l’avons rencontré dans son fief familial niçois.

Attendu comme le messie, proclamé par le gratin du MotoGP comme « le prochain grand », Fabio Quartararo avait une voie royale qui s’ouvrait à lui alors qu’il n’avait que 14 ans. Emilio Alzamora, détecteur de Marc Marquez, y croyait dur comme fer. À 15 ans, il a déjà deux titres de CEV, qui deviendra l’année suivante championna­t du monde junior, en Moto3. Début 2015, la FIM change les règles du championna­t du monde de vitesse afin qu’il puisse disputer ses deux premiers Grand Prix avant ses 16 ans révolus. À ce moment-là, Fabio ne doute de rien. « En fait, j’aurais trouvé complèteme­nt injuste que l’on m’en prive pour quelques jours ! Et je n’aurais pas fait mon podium à Austin deux semaines après ma première course ! » Pris en charge par un homme d’affaires espagnol, il vit en Espagne : « Entre les courses, je ne faisais que m’entraîner. M’entraîner. Je n’avais pas de vie. Eduardo Martin m’a fait progresser, nous sommes montés en puissance. » Son premier Grand Prix, en mars 2015 au Qatar, lui permet de batailler en tête : « Avec quatre ans de recul, je pense que j’aurais dû au moins monter sur le podium. Lorsque tu arrives dans le dernier tour en étant troisième ou quatrième, tu as toujours l’occasion pour passer dans un trou de souris. » Après la deuxième place d’Austin, la suite est moins glorieuse. De blessures en rupture avec son mentor, il change de guidon chaque saison, sans faire de coups d’éclat. Sa rencontre avec Éric Mahé (ancien pilote, manager de la plupart des pilotes français en Grands Prix depuis près de 20 ans, ndlr) l’amène à passer à la catégorie Moto2 fin 2016. Les premiers essais à Jerez sont très concluants. Puis la machine connaît des ratés : « En novembre, aux tests, le grip était remarquabl­e. Ce qui n’était plus du tout le cas fin avril pour le Grand Prix. Ça m’a beaucoup perturbé et déstabilis­é. Après deux mauvaises saisons en Moto3, j’ai mis du temps à retrouver mes marques et de la confiance. » Fin 2017, il se sépare de Pons et du cadre Kalex pour aller chez Boscoscuro avec une partie-cycle Speed Up. Des errances de suspension le perturbent lors des essais. Puis la machine se met en route. À Barcelone, en juin dernier, il fait la course parfaite et remporte enfin son premier Grand Prix. Dans le parc fermé, il hurle sa joie à s’en faire claquer les cordes vocales : « J’ai même eu du mal à réaliser sur l’instant. On s’est dit que nous allions nous faire un bon resto et une belle soirée.

« On va tenter de piquer la place de Pedrosa »

Finalement, on a mangé un kebab avec Éric puis nous sommes allés boire des verres au port de Barcelone avec Thomas (son fidèle pote, ndlr). On s’est saoulé ! Mais cette victoire, en plus de me procurer une grande joie, m’a surtout permis de gagner en confiance. » Lors de la course suivante, à Assen, il part de la dixième position de la grille et stagne un peu durant les premiers tours. « Je n’avais pas le même braquet. Je tirais un peu long. J’avais du mal. Mais lorsque j’ai eu moins d’essence, j’ai retrouvé le rythme et je me suis mis à doubler. Et à revenir jusqu’à la 2e place. » Fabio sera ensuite plus discret : jusqu’à sa deuxième victoire au Japon et le déclasseme­nt (pour pression de pneu non conforme) qui s’en est suivi : « Je l’ai très mal vécu au début. Je me suis fait mal au pied au tapant dans une jante. J’ai pleuré. Ça m’a fait mal que l’on m’ait enlevé ma coupe. Mais quand je regarde la course aujourd’hui, je ne vois qu’une chose : que celui qui est monté sur la plus haute marche du podium, c’est moi. » Thomas intervient : « La première chose qu’il m’a dite, c’est que les gens allaient retenir qu’il avait triché. Alors qu’il n’avait rien à voir là-dedans. L’équipe s’est trompée et sait que ça peut arriver à tout le monde. » Fabio reprend : « 0,02 bar, ce n’est rien. Mais je suis passé à autre chose. Même si avec la victoire, j’aurais terminé le championna­t en cinquième position… au lieu d’être dixième. Quoi qu’il en soit, j’ai engrangé beaucoup d’expérience. Je ne suis pas tombé sur les 18 courses disputées. À partir de Jerez, mon plus mauvais résultat est onzième… » Mais ce qui a déclenché l’envie à Johan Stigfield (aux commandes du projet SIC, le team de MotoGP qui héritera des deux Yamaha M1 « privées » délaissées par Tech3) est bien la course de Assen, le Grand Prix suivant l’épisode victorieux de Barcelone. Mahé avait prévenu Thomas : « Ça m’arrangerai­t que Fabio fasse une belle course ici. » Parti du diable vauvert sur la grille, il prend donc patiemment la mesure du tempo de la tête de course avant d’accélérer le rythme et d’écarter un à un ses adversaire­s pour échouer sur la seconde marche du podium. Lorsqu’après le vol vers Barcelone, les trois gars montent dans la voiture pour rejoindre l’Andorre, Mahé lâche le morceau : « On va tenter de piquer la place de Pedrosa. » À cette période-là, remercié par Honda, Dani est sur les rangs pour prendre un guidon dans le team SIC qui doit faire rouler les deux Yamaha laissées vacantes par le départ de Tech3 pour KTM. « Éric m’appelait tous les jours pour me tenir informé de chaque pas en avant. Jusqu’à me dire que c’était moi qu’ils voulaient. Je ne savais pas, jusqu’au GP d’Allemagne, où nous en étions. C’était deux semaines à peine, mais

c’était interminab­le ! Et aujourd’hui encore, je n’en reviens pas ! » Le premier contact avec la M1 s’est fait... au Grand Prix du Japon en octobre dernier : « Le premier contact avec la moto date du Grand Prix du Japon. Un soir, tard, avec une extrême discrétion, nous sommes allés voir la moto de Nakasuga dans son box, juste pour me poser dessus. Elle était trop petite, avec une position très fermée. Ensuite, nous sommes allés sur celle de Viñales. Elle correspond­ait mieux à la façon dont conduisent les pilotes européens. Ça m’a fait bizarre de découvrir tous les boutons... » Mais c’est à Valence, lorsqu’il trouve la Yamaha parée de son numéro 20, qu’il réalise vraiment qu’elle est sienne : « À la sortie du box, j’ai failli caler. L’embrayage est totalement différent de ce que je connais. Et jusqu’à Jerez, j’ai eu du mal à m’y faire. Comme on règle la moto virage par virage, tout est surprenant. Lorsque j’ai voulu accélérer dans le deuxième virage, la moto a refusé, parce que j’arrivais trop doucement. La puissance est impression­nante. Je me suis dit que j’allais être à fond dans la ligne droite et j’ai freiné 200 mètres trop tôt. Mais à Valence, sauf dans la ligne droite, il y a peu d’endroits où tu exploites vraiment la puissance. Alors qu’à Jerez, le moteur est beaucoup plus sollicité. J’avais mal au bras.

« En Moto2, je parlais à deux personnes. Là, ils sont six ! »

En Moto2, je me suis habitué à la puissance en quinze tours. Là, en quatre jours, ce n’est pas complèteme­nt assimilé. » Mais plus que les chevaux du moteur, c’est la férocité des freins qui l’a décontenan­cé : « Avec les acquisitio­ns de données, on a vu à la fin de la première journée que sur le temps pris par Morbidelli – à savoir 1,8 seconde –, 1,3 seconde était perdue dans les phases de freinage. La puissance des freins carbone, le frein moteur et le grip des pneus sont à la fois impression­nants et difficiles à gérer. C’est seulement le dernier jour à Jerez que j’ai commencé à me sentir mieux sur ce point. » La vie dans le box est également très différente : « Un chef mécano, un ingénieur pour analyser les données, un technicien de pneus, deux ingénieurs de chez Yamaha et un autre pour les suspension­s Öhlins, ça fait du monde ! En Moto2, je parlais à deux personnes. Là, ils sont six ! Parfois, tu ne sais pas qui regarder lorsque tu parles ! Ceci dit, j’ai déjà eu cette expérience avec Monaulo en 2014, lorsque j’ai essayé le premier proto de la Moto3 Honda avec les deux échappemen­ts sous la selle. Rins et Marquez devaient l’essayer la semaine précédente. Ils n’ont pas pu et c’est moi qui m’y suis collé. J’avais au moins sept Japonais qui me sautaient dessus en plus de mon chef mécano ! Maintenant, je gère mieux mon anglais (Fabio parle également espagnol, italien et... français), beaucoup mieux qu’il y a quatre ou cinq ans ! » Au soir de Jerez, Fabio

signe le douzième chrono, à un peu plus d’un

dixième de seconde de Rossi. « Plus important que le chrono, c’est le rythme que j’avais à la fin des tests à Jerez qui compte. En pneus usés, et même très usés, c’est le plus positif. Ce qui me manque encore pour l’instant, c’est de ne pas réussir à faire le “un tour”, le tour où le chrono claque. Maintenant, pour aller plus vite, il faut que j’aille à la limite. Et tant que je ne m’en serais pas collé une petite (!), je vais avoir du mal à percevoir la limite de frein, la limite d’angle. Ça passe par la chute. J’ai rarement vu un week-end où Marquez ne tombait pas de l’avant. Et pour en revenir sur le temps de Rossi, il est allé le chercher en fin de journée en sortant à deux reprises avec des pneus neufs. Sachant qu’il a gagné, je crois, dix fois à Jerez, c’est plutôt pas mal... »

« Marquez est celui qui m’impression­ne le plus »

Pour autant, Fabio ne claque pas des bretelles : « Je n’ai pas vraiment d’objectif en particulie­r. Être rookie de l’année est forcément celui visé par les quatre nouveaux venus, mais briller en course est certaineme­nt l’objectif à atteindre. » Et avant de toucher au but, il va devoir attendre jusqu’en mars pour trouver la réponse à la question qui le taraude : « Le truc qui me stresse le plus pour l’instant est le premier départ. J’ai fait un essai, et j’ai fait 300 mètres sur la roue arrière ! Au vu de l’acquisitio­n de données, les gars du team m’ont dit que c’était bon. Mais il faut que je m’applique à garder ma roue avant au sol, parce que lorsqu’on cabre, on ne peut plus diriger la moto… Après, si je me retrouve au coude à coude avec Marquez, ce sera plutôt bon signe sur la performanc­e. Maintenant, ça m’a fait tout drôle de rouler avec Rossi sur la piste à Valence. Mais celui qui m’impression­ne le plus, c’est Marquez. On voit à la télé qu’il a un style particulie­r, mais quand tu le suis sur la piste, il est toujours par terre, l’épaule au ras du sol. » n

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