Les frimas des 24 Heures
Quand la météo complique la donne aux 24 Heures du Mans
Arrivant tôt dans la saison, les 24 Heures du Mans se sont parfois déroulées dans des conditions quasi hivernales (ici en 1986). Trois témoins de différentes époques nous ont raconté leurs souvenirs.
Àl’abord de la 42e édition des 24 Heures du Mans – la course s’élancera le samedi 20 avril à 15 h 00 –, tous les équipages sont sur le pont pour préparer la deuxième épreuve du championnat du monde 2018-2019 dont l’ouverture, au Bol d’Or, a souri au champion du monde de la saison précédente, la Honda F.C.C. TSR menée par le trio ForayDi Meglio-Hook. À l’heure où ces lignes sont écrites (jeudi 4 avril), bien sûr, il est trop tôt pour avoir une idée du temps qu’il fera les 20 et 21 avril. Le changement climatique est à l’oeuvre et il semble que la tendance soit au radoucissement général, y compris, donc, sur cette course qui ouvrait auparavant la saison et qui se retrouve à présent, par la force des choses et du marketing, numéro deux dans un calendrier désormais à cheval sur deux années civiles. Soucieux de retrouver la trace d’éditions particulièrement difficiles sur le plan de la météo, nous avons sollicité trois témoins pour nous rafraîchir la mémoire (ah ah ah).
Christian Bourgeois, ex-pilote devenu manager du team Kawasaki (6 victoires entre 1992 et 1999), Christian Lavieille (deux fois deuxième) et Dominique Sarron (vainqueur en 1987) ont donc éclairé notre lanterne pour aborder ce sujet d’actualité. « Dans le désordre, je me souviens de l’année de la première victoire de Bertrand Sebileau (en 1998), il a fait très froid alors que tout le monde prévoyait de la pluie, et nous avons gagné après avoir effectué une vraie balade de santé ; tout le monde avait adopté des réglages pour la pluie ! À part ça, il y a une chose dont je me souviendrai toujours à propos des pneumatiques : la gomme 335 de Dunlop, utilisée par Biaggi en Grands Prix du temps où il roulait Aprilia. Elle marchait très bien quand elle était à la bonne température.
Et à la plus grande surprise des gens de Dunlop, elle marchait aussi bien par des températures proches de zéro (rire) !
Avec ce choix, on prenait 3 à 4 secondes au tour à la Suzuki de tête, en 1997 ; je faisais panneauter à notre pilote des temps 2 secondes plus bas que ceux qu’il faisait en réalité, pour mettre la pression sur le pilote de la Suzuki ! Avec, bien sûr, la possibilité qu’il en fasse un peu trop et qu’il finisse par chuter...
Mais le mieux, c’est que notre pilote a fini par réaliser les chronos que je faisais afficher, plus tard dans la nuit, où il a signé le record du tour... Alors, pour protéger au mieux les pilotes, chez Kawasaki, on installait des bulles assez hautes. On mettait aussi des écopes sur le carénage, des sortes de protège-mains. Mais quand on est sur la moto, on n’a pas vraiment froid parce qu’on bouge énormément. Le seul point vraiment névralgique, ce sont les mains, le reste n’est pas un problème. Au Mans, les temps sont toujours descendus pendant la nuit, quand il faisait plus froid. Il y avait moins de trafic parce que les casses mécaniques étaient plus nombreuses
qu’aujourd’hui et la nuit, les moteurs respirent mieux. Il y a une vingtaine d’années, on réglait la carburation en fonction des températures fraîches. Le rendement des moteurs était alors optimal entre minuit et cinq heures du matin. »
2 Christian Lavieille
« Une fois, mais j’ai oublié quelle année ça se passait, il avait plu, puis un mec a cassé son moteur, un autre est tombé sur les traces, ça a mis de l’huile partout et je ne sais pas pour quelle raison, ils ont essayé de nettoyer ça avec la balayeuse et de l’eau. Et là, vers 3 ou 4 heures du matin, ça s’est mis à geler par-dessus, c’est devenu une patinoire, sur tout le freinage du Chemin aux Boeufs...
Il y a eu plusieurs années où l’on a vraiment eu très froid, j’ai l’impression que c’est moins le cas de nos jours. Quand je suis arrivé chez Dominique (Méliand, au SERT), en 1989, il nous faisait parfois rouler en février, par un froid de canard, personne ne voulait y aller, et c’était à celui qui se planquait le plus longtemps dans le camion (rire) ! Au début, je ne comprenais pas pourquoi Hervé (Moineau) mettait trois heures à s’équiper, après j’ai su pourquoi ! L’expérience payait (rire) ! Bon, alors pour la course, étant donné que les vêtements techniques type polaires n’étaient pas ce qu’ils sont aujourd’hui, il arrivait que nous mettions des journaux la nuit sous la combinaison, tu vois ? Après, on a eu des protections avec du plastique devant qui coupait un peu le vent. Mais on descendait de la moto en étant complètement gelés, avec l’onglée. En plus, Dominique fut l’un des premiers à faire doubler les relais à ses pilotes en cas de conditions changeantes, comme la pluie, et il nous arrivait donc de rester sur la moto pendant plus de deux heures. L’intérêt de cette stratégie est évident : quand tu repars à 4 heures du matin avec une trajectoire à moitié sèche sur 80 centimètres de large et que tu connais parfaitement la piste vu que tu viens d’y rouler pendant une heure, t’as vite fait de gagner 50 secondes ou une minute sur les premiers tours de ton relais. Dominique Méliand avait le truc pour motiver ses pilotes. Il avait toujours les mots qu’il fallait pour mettre le petit coup de boost. C’était beaucoup dans le regard, dans son expression. Il savait dire quand c’était bien ou pas, mettre la bonne intonation. Il aurait fait un bon acteur de cinéma, hein (rire) ? À l’époque, il allait chercher des infos météo en appelant des postes de commissaires au fond du circuit ou quelqu’un plus loin qui pouvait éventuellement lui signaler l’arrivée d’une dépression ; comme Pescarolo en automobile, il se servait du système D... Ceci dit, si l’on parle de la pluie, le pire, c’était quand même Spa. On avait parfois un mur d’eau devant nous, on n’y voyait rien. Et il y a 25 ans, les conditions de sécurité étaient, disons… moins strictes. Il n’y avait pas de voies de sécurité au bord de la piste,
et quand l’ambulance devait intervenir, elle roulait sur la piste. On lui faisait l’exter’ dans la courbe de Blanchimont à 260 km/h ! Et il n’y avait pas de pace car pour ralentir la course. »
2 Dominique Sarron
« Bien sûr, si l’on parle de conditions atmosphériques, il y a une édition qui m’a particulièrement marqué, où la neige avait bloqué le trafic sur l’autoroute entre Paris et Le Mans. Ça m’a marqué pour la bonne et simple raison qu’au moment des deux ou trois tours de la mise en place sur la grille de départ, il faisait tellement froid – il neigeait même – qu’en voulant bien faire et me mettre dans de bonnes conditions avant le lancer de l’épreuve, j’en ai trop fait. Je suis tombé, si mes souvenirs sont bons dans les Esses Bleus, je me suis fait une épaule (sic), je n’ai pas pu prendre le départ et mes coéquipiers ont dû rouler à deux. Ah celle-là, je ne peux pas l’oublier. C’était moi qui devais prendre le départ, mon frère était là avec la Yamaha, je ne sais plus qui était en pole mais c’était serré (trois dixièmes d’avance pour la Yamaha officielle). Les pneus n’avaient pas pu monter suffisamment en température (la piste était à 7 °C, ndlr). Ils ont ramené la moto dans les stands, réparé carénage, repose-pieds et bracelet droit avec le levier de frein avant de l’aligner de nouveau sur la grille. Je m’en voulais d’avoir laissé tomber mes coéquipiers (Pierre Bolle et Jean-Louis Battistini s’étaient classés 2e derrière leurs coéquipiers Coudray, Igoa et Vieira). D’une façon générale, aux 24 Heures du Mans, j’ai le souvenir de m’être caillé comme jamais lorsqu’il fallait suivre le pace car à vitesse réduite et là, on avait les Damart sous le cuir, des sous-gants en soie, tout ce qu’on pouvait trouver pour limiter l’onglée, mais on grelottait littéralement sur la moto... Le problème était d’avoir un minimum de sensibilité dans les mains et dans les pieds, parce que pour le haut du corps, dès que tu te remets à attaquer, tu te réchauffes ; en revanche, les mains et les pieds, pour doser les freinages, le frein moteur à l’embrayage – à l’époque, il n’y avait pas d’électronique pour rétrograder, hein ! –, c’était pas simple. En s’arrêtant au stand pour passer le relais, tout le monde avait les gros blousons, les bonnets et les gants, tu te prenais un coup de froid, puis quand il fallait repartir, c’était pareil, alors que tu sortais de la caravane où tu avais repris des forces, où tu t’étais fait masser avec le chauffage pour faire sécher tes fringues, là il fallait réenfiler le cuir et repartir dans le froid... Quand tu prenais ton relais, disons que sur les deux ou trois premiers tours, t’avais du mal à être à l’attaque, hein (il est mort de rire, ndlr) ! Ceci dit, le pire si l’on parle de la pluie, c’était à Spa.
On a gagné les 24 Heures de Spa pour
Suzuki avec Lavieille et Mertens en 1991, il a plu pendant 23 heures sur 24 (rire)