Moto Revue

Bertrand avant Fast Sébil’

- Alain Lecorre (Directeur des rédactions)

Lycée Le Corbusier, Poissy, rentrée 1978. C’est la première fois que je croise Bertrand. On est dans la même classe, en première D. L’animal est discret, bon camarade et passe son temps à dessiner des croquis de bécane sur ses cahiers. Un peu sauvage mais la moto – à l’époque, il arrive sur une XL 125 bichonnée, Barbour gras sur les épaules, camarguais­es aux pieds et cheich autour du cou – fait rapidement le lien. Un groupe se forme. Rémy, François, Georges, ma pomme et Bertrand donc, cinq âmes au parcours scolaire un peu « décalé ». Pour les virées en revanche, on est bons. Fast Sébil’ n’est pas encore en vue, même si Bertrand nous gratifie déjà de roues arrière impression­nantes devant le lycée (il passe les rapports façon stunter, un must à l’époque, que seuls les très bons sont capables d’exécuter). Pas avec la

125 bien sûr, mais avec une 500 XT qui n’a pas tardé à venir grossir les rangs des pensionnai­res dans le garage familial à

Vernouille­t. Fin 70, début 80, le carburant c’est le tout-terrain. Enduro, rallyes-raids, grandes pistes, la moto rime avec aventure, et ça sent drôlement bon. On dévore la presse, on sort dès que possible, on s’engage même sur quelques enduros critérium. On s’en nourrit et rien d’autre n’a d’importance. Au lycée, les profs râlent et les parents désespèren­t de voir leur progénitur­e prendre des voies annexes.

La fin du voyage scolaire sonne plus vite que prévu, une paire d’années plus tard…

Rémy, Bertrand et Georges partent pour un raid en Afrique armés de 500 XT (photos 1 & 2),

François va bosser dans une station-service et j’entre comme coursier à Moto Revue

histoire de financer la suite. Puis nos trajectoir­es se séparent mais je retrouve Bertrand 7 ou 8 ans plus tard. Il s’est fait embaucher à Moto Journal

(la concurrenc­e directe à l’époque) dont il deviendra un pilier majeur. Entre-temps, il a usé ses cuirs sur les circuits, grimpé les échelons, gagné des courses, est devenu pilote officiel Kawasaki et s’est imposé par deux fois aux 24 Heures du Mans en 1998 (photo 3) et 1999. Bertrand, sur la plus haute marche du Bugatti, souriant, heureux, facile, comme toujours. La notoriété ne l’a pas changé. Il est à sa place, tout simplement. Car c’est un mec simple, gentil, un peu solitaire au fond mais toujours partant pour un coup de brêle. Il vit, pense et respire moto à 100 %. C’est aussi un bosseur et surtout un pilote extrêmemen­t doué, l’air de ne pas y toucher. Je me souviens d’un retour un soir sur l’A13 dans les années 90 (on habitait à côté dans la banlieue ouest) et d’une pluie verglaçant­e. Un truc de dingue. En une heure, tout le réseau s’était transformé en patinoire. Pris dans la tourmente, je visais péniblemen­t la trace laissée par les voitures en prenant soin de ne pas prendre le moindre degré d’angle. Toutes les motos croisées étaient soit par terre, soit à l’arrêt sur le bord. Dans cette Bérézina, je n’étais pas mécontent d’avoir pris « option enduro » à l’école de la moto… Bref, j’en étais là, transpiran­t à grosses gouttes, les deux pieds au sol à deux à l’heure mais toujours debout, quand une XT passe sur ma gauche. C’était Bertrand, assis sur le poum-poum comme si de rien n’était. En me doublant, il a tourné la tête, s’est marré et s’est éloigné. Tout le monde était à plat ventre, lui rentrait chez lui. Pas de quoi en faire un fromage finalement. Simple et pragmatiqu­e, le gars Sebileau. Bertrand est parti le 14 mars terrassé par un cancer. On pense à lui. Beaucoup.

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