Moto Revue

Essai vintage

- Par Thomas Loraschi. Photos Bruno Sellier.

Elle est apparue il y a déjà 17 ans, la Kawasaki Z 1000 parée de ses fameux pots d’échappemen­t en forme de flûtes. Et elle se fait rare en occasion

5 cm3 et 2 chevaux : c’est ce qui sépare le 4-cylindres de l’actuelle Z 900 de celui qui équipait la première Z 1000 de l’ère moderne. 5 cm3, 2 chevaux et... 17 ans. Un sacré bail dont nous avons voulu prendre la mesure en repartant en balade au guidon d’un millésime 2003, quasiment d’origine et très correcteme­nt conservé.

Sage. Pondérée. Jamais, depuis 2003, je n’aurais pensé avoir l’occasion d’utiliser de tels qualificat­ifs à propos d’une Kawa gratifiée du préfixe Z. Et pourtant, à trois mètres de celle qui me tourne le dos – et même si sa croupe anguleuse est revêtue d’un orange éclatant –, ce sont les deux mots qui me viennent en tête en premier.

Il faut dire que si le designer (Keishi Fukumoto, à l’époque sous l’autorité de Shunji Tanaka) est inchangé et que le style manga reste indéfectib­lement de mise, de l’eau a coulé sous les ponts entres les dernières Z et celle qui a initié la lignée. Et pas du genre fleuve tranquille. Plutôt façon torrent : tumultueux dans le débordemen­t stylistiqu­e et éclaboussa­nt un peu plus les normes établies à chaque déclinaiso­n. En en remontant le cours, logique donc de retomber, à la source, sur ce qui apparaît comme une forme de classicism­e. Un doute à ce sujet ? Regardez donc la ligne d’échappemen­t et comparezla avec celles, tout en angles saillants, des Z des dernières production­s. Quatre longs tubes rutilants, superposés deux à deux.

« Z’avaient promis des Watts… »

Quatre parfaits cylindres, qui finalement rappellent plus les flûtes chromées de la Z1 originelle qu’ils n’annoncent les embouts variableme­nt torturés des Z d’après. Voilà pour le plus remarquabl­e, ce qui accroche l’oeil en premier quand on (re)découvre cette Z 1000 et qu’on la compare à ses descendant­es. Mais à bien y regarder, il y a plus significat­if : les volumes. Non seulement ceux de la 1000 sont moins torturés, mais surtout la moto semble plus compacte que l’actuelle 900. La longueur et la hauteur de selle sont pourtant supérieure­s. L’empattemen­t à peine plus court. Mais la largeur de notre vénérable 1000 est, elle, plus contenue : 30 millimètre­s de moins. Trois centimètre­s sur lesquels le réservoir ventru de la 900 ne peut s’aligner. Au premier coup d’oeil, la comparaiso­n est saisissant­e. Au guidon également. Sur la 900, assis – relativeme­nt – bas, mais jambes écartées, j’ai l’impression d’avoir un kouglof entre les cuisses avec un poids à l’avenant. Sur la 1000, buste basculé davantage vers l’avant, cuisses plus resserrées, je ressens à peine la présence du bidon de 18 litres (qui contient pourtant un litre de plus que la petite jeune). Plus sportive dans la définition ? Disons, du moins, plus spartiate. La mise en route du quatre en ligne dérivé de la ZX-9R (l’hypersport­ive de l’époque chez les Verts) confirme l’impression : dès le régime de ralenti, il émane des quatre flûtes un son rauque comme on en a perdu l’habitude depuis l’instaurati­on des normes Euro 3 et 4. Sur les premiers hectomètre­s, la partie-cycle témoigne, elle aussi, de sportives intentions : c’est ferme, plus que sur une Z 900. Dire que la 1000 est tout en muscles serait exagéré (d’autant que dans la catégorie roadster,

Pas tout en muscles mais tout en nerfs. Non pas sous stéroïdes mais sous amphétamin­es

des muscles, on en a vu passer de bien plus impression­nants depuis 17 ans). C’est plutôt tout en nerfs qu’elle semble être. Non pas sous stéroïdes mais sous amphétamin­es. Prête à bondir, comme en témoigne la célérité des montées en régime lorsque, encore sur le point mort, on taquine la poignée droite.

Une fois en route, pourtant, ce n’est pas un fauve qu’on a l’impression de tenir au bout de la laisse. Le quatre-pattes est docile mais surtout, il surprend par son manque de force à mi-régime, en particulie­r lorsqu’on le compare au bloc équipant l’actuelle 900. Si ce dernier semble plein dès les premières rotations, celui de notre Z s’avère en effet franchemen­t creux sous les 5 000 tr/min. L’explicatio­n n’est pas à chercher très loin : non seulement le 4-cylindres de la 1000 est moins coupleux (9,7 mkg contre 10,1 pour l’actuelle 900) mais en outre, sa crête de couple se situe plus haut. « Z’avaient promis des Watts », titrait avec acidité notre essayeur, Alain Lecorre, lors du premier test de la machine, histoire de pointer l’anémie de la cavalerie à mirégime. Anémie d’autant plus cruelle qu’elle dénotait avec la réputation de motoriste de Kawasaki. 17 ans plus tard, et au guidon d’un exemplaire certes dans le jus de ses 26000 km, impossible de contredire l’avis de notre vénérable confrère : sous les 5 000 tr/min, il ne se passe effectivem­ent pas grand-chose de sensationn­el entre les tubes d’acier du cadre de type Diamant et il faut même attendre les 7 000 tours pour que la force et la rage promis s’expriment enfin. Il reste alors une fenêtre d’environ 3 000 tours pour en jouer.

Frustrant ? Forcément et encore plus si l’on fonde la comparaiso­n avec un quatre-pattes moderne de 1 000 cm3, plein partout, dans la totalité des cas. Seule solution pour tirer parti de l’ancienne : accepter la règle du jeu et rester dans le haut du compte-tours, quitte à tricoter de la boîte et à jouer de l’embrayage en sortie de virage. Exercice laborieux, qui révèle une sélection pas franchemen­t exemplaire de précision, des vibrations envahissan­tes (logique, avec un bloc dépourvu d’arbre d’équilibrag­e et monté rigide dans le cadre) mais qui apporte aussi son lot de satisfacti­ons : un caractère moteur (enfin) bestial et surtout, un comporteme­nt dynamique, qui, deux décennies après le développem­ent de l’engin, ne s’avère pas ridicule si on le compare à celui d’un roadster

contempora­in. À rythme élevé, ce n’est certes pas aussi facile à emmener qu’une Z 900 (les changement­s d’angle, notamment, demandent une sérieuse implicatio­n de la part du pilote) mais le train avant fait preuve de précision et la moto renvoie une impression rassurante de rigidité alors que les étriers à montage axial assurent le boulot sérieuseme­nt. Pas facile mais rigoureuse. Pas ridicule mais exigeante. Ainsi se présente à nous la première Z 1000 de l’ère moderne. Moins accessible et performant­e qu’une Z 900, moins sensationn­elle et précise qu’une Z 1000, probableme­nt à des années-lumière de l’imminente Z H2, elle témoigne des progrès considérab­les qu’a connus la catégorie des roadsters sportifs en un peu moins de 20 ans. Reste à savoir s’il est judicieux de vouloir en mettre une dans son garage. L’engin a pour lui un look sans pareil, un certain charme mécanique, un réel confort et une cote plutôt amicale.

Mais si votre coeur balance en sa faveur, ne tardez pas à déclarer votre flamme : il est désormais difficile de trouver un exemplaire correcteme­nt conservé et complet de A à Z.

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 ??  ?? 1 1 La fourche est réglable en précontrai­nte et détente mais seul le tube droit est équipé d’une vis de réglage d’hydrauliqu­e.
1 1 La fourche est réglable en précontrai­nte et détente mais seul le tube droit est équipé d’une vis de réglage d’hydrauliqu­e.
 ??  ?? 2 2 Conçue à l’époque comme un roadster radical, la Z 1000 réserve, en regard de nos critères actuels, un accueil très correct au pilote et à son passager.
2 2 Conçue à l’époque comme un roadster radical, la Z 1000 réserve, en regard de nos critères actuels, un accueil très correct au pilote et à son passager.
 ??  ?? 3 3 Bâtons peints dans le même coloris que l’habillage, flancs de jantes polis : un détail très soigné, qu’on ne retrouve pas sur la Z actuelle.
3 3 Bâtons peints dans le même coloris que l’habillage, flancs de jantes polis : un détail très soigné, qu’on ne retrouve pas sur la Z actuelle.
 ??  ?? 4 4 Un rappel et une référence aux flûtes chromées de la Z1 originelle, ces sorties d’échappemen­t étaient l’une des marques de fabrique de la Z 1000.
4 4 Un rappel et une référence aux flûtes chromées de la Z1 originelle, ces sorties d’échappemen­t étaient l’une des marques de fabrique de la Z 1000.
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