Moto Revue

Entretien croisé

Jules Cluzel et Lucas Mahias sont les deux piliers tricolores du championna­t du monde Supersport. Après de gros changement­s respectifs durant l’hiver 2018-2019, ils ont raflé cinq victoires en 2019.

- Par Jean-Aignan Museau. Photos JAM et DR.

Jules Cluzel et Lucas Mahias, qui se battront de nouveau en 2020 pour le titre mondial Supersport, reviennent sur les moments difficiles qu’ils ont connus

Autant dire que l’hiver ne fut pas facile pour les deux Français, qui ont donc décidé d’effectuer chacun de gros changement­s pour la saison 2019. Lucas Mahias, vice-champion du monde en 2018, a abandonné sa très rapide Yamaha pour une Kawasaki qui n’est pas dotée de la toute dernière technologi­e. À son guidon, les premiers tours de roues n’ont pas été fameux. « J’ai toujours été rapide lorsque je changeais de moto. Et j’ai souvent fait des Top 10 en sautant d’une moto à l’autre, là où personne ne m’attendait. Mais entre faire une place de cinq-six et être en mesure de se battre pour la victoire, il y a une marge. J’ai mis du temps à le comprendre et à l’accepter. Ajouté à un peu de malchance, on s’est vite retrouvé dans une spirale négative. » Au point de craindre pour la suite de sa carrière. Les maux de Cluzel, eux, ne sont pas mécaniques mais physiques. Et ils ne datent pas d’hier puisque sa blessure remonte aux essais de Jerez en 2015, dans le long droit en montée qui conditionn­e la deuxième ligne droite. « Nous n’avions pas roulé depuis deux mois. Je n’étais pas en confiance, je n’arrêtais pas de perdre l’avant. Et dans le dernier tour, j’ai perdu l’avant mais l’arrière s’est complèteme­nt bloqué. Je me suis envolé dans les graviers. » Ça aurait pu être sans conséquenc­e, mais la cheville gauche de Jules était en miettes. Une blessure en fin de saison dernière l’a poussé à procéder à une arthrodèse. Cheville gauche bloquée, Jules doit se résoudre à utiliser un frein arrière au pouce et à passer son sélecteur à droite de sa moto. « J’avais de l’appréhensi­on avant de monter sur la moto. Le premier jour d’essais à Jerez, je ne me suis pas senti vraiment chez moi. Mais dès le second, ça a été bon. Dans la foulée, nous sommes allés à Portimao, et j’ai commencé à me sentir vraiment bien. De la saison, je n’ai fait qu’une seule erreur. Le premier jour à Jerez, où en entrant dans un virage, j’ai voulu freiner et j’ai passé une vitesse. Un coup de chaud, sans plus. On a travaillé un peu toute la saison pour améliorer le système et aujourd’hui, je n’ai jamais rien eu d’aussi agréable. J’ai quasiment passé cinq ans à galérer. À être obligé de cacher ma douleur. Ça a été très compliqué. À présent, je revis. » En perdition, en boucle, bougon et à vif comme il peut l’être, Mahias s’est pour sa part senti coincé en début de saison : « À la première course, je me suis dit que si je restais comme ça, je ne m’en sortirais jamais tout seul... Il me fallait de l’aide.

J’ai demandé à Fabien Foret de venir faire du bord de piste. Mais il a tout de suite compris que le problème n’était pas là et qu’il fallait travailler sur la gestion du stress et de l’énervement dans le box. C’est la clé du changement, celle qui a assuré ma réussite sur la deuxième partie de la saison. J’étais rassuré par son titre de champion du monde et son implicatio­n auprès de Rea. Lui était excité par le challenge de bosser avec moi, car je n’ai pas la réputation d’être un gars facile. Il m’a fait progresser sur la façon d’exprimer mon ressenti sur la moto, et à accepter le fait que mon matériel n’était pas forcément le plus performant. » Ce qu’il explique par le fait que la Kawasaki a été

conçue en 2009, alors que la Yamaha qu’il pilotait l’an dernier est sortie en 2017 :

« Il y a beaucoup plus de solutions électroniq­ues sur lesquelles on peut travailler, comme le frein moteur en phase de décélérati­on...

« Ton coéquipier est ton meilleur ennemi »

En championna­t de France, ces solutions se valent, mais pour gagner en Mondial, où le niveau est très relevé et très homogène, ce sont ces petits détails qui font une grande différence. Et c’est l’un des aspects du travail que l’on a mis au point avec

Fabien : arrêter de penser à la Yamaha... »

En lice pour le titre en fin de saison, Jules ne peut être qu’heureux du millésime 2019 : « Ce fut une bonne saison, mais les “Bardahl” (les Yamaha de Krummenach­er et Caricasulo, ndlr) avaient quelque chose de plus que nous. Nous avons cherché toute l’année pour finalement progresser dans les deux dernières courses. Et même s’ils se bagarraien­t pour le titre, ils étaient derrière nous. Autre motif de satisfacti­on, j’ai marqué des points à toutes les courses. C’est important pour jouer un titre. De mémoire, c’est la première fois de ma carrière. » Avec, en point d’orgue, la course en Thaïlande. « Ma deuxième victoire de la saison et la preuve que suite à mes doutes, mes souffrance­s, ma décision de faire l’opération était la bonne. Autrement, ma plus belle course de la saison – et peut-être de ma carrière – fut l’Argentine, où j’ai vraiment géré chacun des tours et où j’ai pris énormément de plaisir. » Évidemment, sur l’ensemble de la saison, ces moments de grâce ont été contrebala­ncés par du moins bon, c’est inévitable. « Je retiens surtout la galère d’Imola. J’ai eu un point mort et je me suis fait percuter par Mahias. Ça s’est terminé en direction de course. Ma capacité à piloter une moto de course a même été remise en cause. Les erreurs techniques existent dans les sports mécaniques, et j’ai trouvé ça dur, particuliè­rement après tout ce que j’ai pu endurer avant de me remettre. Je n’étais pas bien, parce que je ne pouvais rien y faire. Grâce aux essais que nous avons faits, on savait que le problème était résolu. Avant

Donington, j’ai été convoqué en direction de course et l’on m’a fait comprendre que si ça se reproduisa­it, ça pouvait se compliquer pour moi. J’ai gagné la course, et ça a tout réglé. » Lucas a aussi mangé son pain noir : « Quand je suis arrivé en Australie, je suis me fait démonter par tout le monde. Sur les écrans, je voyais mon nom avec le record du tour vieux de deux ans et là, j’étais à 1,8 seconde des chronos en attaquant comme un mongol, à tomber deux ou trois fois au cours du weekend et à me faire doubler comme un mec qui n’a jamais fait de moto. Je me suis vraiment dit que ça allait être compliqué. » Une fois la machine lancée, à Misano, fin juin, Lucas ne descend plus du podium : « Avant Misano, j’avais l’impression d’aller au boulot. De ne plus pouvoir accrocher les gars avec qui je me battais l’année précédente et de tourner entre sept et huit. Mais dès que tu commences à faire du résultat, les relations avec l’équipe technique changent, tu rentres dans une spirale positive. Tout se met en place, tu te fais plaisir et les résultats suivent. »

Avec, comme Jules, un point d’orgue qui

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Réunis sur un podium ou en action, Cluzel et Mahias font briller les couleurs de la France.
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 ??  ?? À Magny-Cours, Lucas Mahias
(n° 44) a remporté sa première course au guidon de la Kawasaki. Jules
Cluzel (n° 16) terminait en 8e position.
À Magny-Cours, Lucas Mahias (n° 44) a remporté sa première course au guidon de la Kawasaki. Jules Cluzel (n° 16) terminait en 8e position.
 ??  ?? Après un début de saison tendu, l’ambiance s’est détendue dans le box du team Puccetti avec l’arrivée de meilleurs résultats.
Après un début de saison tendu, l’ambiance s’est détendue dans le box du team Puccetti avec l’arrivée de meilleurs résultats.
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