Rencontre
Après un début de saison 2019 éloigné des circuits, Loris Baz a repris le guidon avec délectation. Tour d’horizon, au fin fond de ses montagnes, sur le passé et l’avenir. Enrichissant.
C’est dans ses montagnes de Haute-Savoie que nous avons retrouvé Loris Baz, déterminé à briller cette année en Mondial Superbike sous les couleurs du team Yamaha Ten Kate
2019 n’a pas été une saison facile pour Loris Baz, suite logique de son retour en Mondial Superbike début 2018, après trois saisons en MotoGP. À l’époque, il croit beaucoup en la capacité du team Althea et à la BMW pour relancer sa carrière. En fait, le torchon brûle entre le constructeur et le team et Loris termine onzième du championnat.
« Cela restera comme la plus mauvaise saison de ma carrière sur un plan des performances. On ne pouvait rien faire. Il n’y avait pas de développement technique. Au début de la saison, j’espérais une progression rapide en me disant que je serai vite aux portes du Top 5 puis sur le podium. Mais j’ai tout de suite compris que ce serait impossible sans un coup de pouce de la chance. Coup de pouce qui n’est jamais arrivé. Cependant, j’ai continué à me battre toute l’année en me disant que ça me serait utile pour trouver un bon guidon pour 2019. Avec le recul, cela aurait peutêtre été mieux de rester à la maison. Mais quand tu es pilote, c’est très dur à accepter. »
La valeur marchande du Haut-Savoyard a pris une véritable claque, et les bons guidons lui passent sous le nez. Éric Mahé oeuvre durant tout l’hiver et une bonne partie du printemps pour faire renaître le team Ten Kate, non plus avec des Honda mais avec des Yamaha.
Loris passe l’hiver à se préparer en attendant que quelque chose arrive. Il se réfugie dans une préparation physique poussée. Et dans un certain mutisme : « J’ai eu l’impression de ne pas trop mal le vivre, mais je pense que j’ai été
imbuvable avec mon entourage. Autant quand tout va bien, je suis extrêmement bavard, autant lorsque ça ne va pas, je peux rester pendant des jours sans prononcer une parole. Que ce soit mes parents, ma copine ou mes potes, ils l’ont accepté et m’ont soutenu. » Pour autant, Loris ne loupe pas une retransmission des courses auxquelles il ne participe pas.
Et de l’incroyable inversion de performance entre Alvaro Bautista, qui écrase le début du championnat avant de lâcher et se faire souffler le titre par Jonathan Rea. « C’est l’histoire de la spirale positive/négative. On se sent pousser des ailes, et ça peut s’inverser très rapidement. Je suis bien placé pour le savoir. La Ducati a aussi un avantage moteur incroyable. La dernière fois que j’ai vu un tel écart, c’était lorsque je roulais en MotoGP avec une moto stock et que je me faisais déboîter dans les bouts droits. La saison a démarré par des pistes où le moteur est prépondérant :
Phillip Island, Buriram, Aragon... Bautista a été malin et a très vite compris comment utiliser l’avantage que lui offrait sa moto. » Corollaire de cela, c’est sur les circuits lents que cette tendance s’inverse : « Il a peut-être voulu prouver qu’il ne gagnait pas seulement grâce à la puissance de son moteur, et il a chuté à deux reprises. Puis il n’a pas eu de chance à Laguna Seca lorsqu’il tombe et se fait percuter. » Un retournement qui profite
forcément à Rea : « À ce stade de la saison, il savait qu’il arrivait sur des circuits qui lui étaient plus favorables. Et encore une fois, il a été pris dans une spirale positive où tout s’est mis à lui réussir. Il y a un sport comme ça : c’est le biathlon, quand un type comme Fourcade tirait ses balles, ils les ciblaient toutes parfaitement sans donner l’impression de forcer. Johnny a su éviter ce piège en début de saison : il savait qu’il n’avait pas le package pour gagner et il a patienté. » Mais une bonne moto sans un bon pilote, ce n’est rien. « L’inverse est également vrai. Lorsque Rea roulait avec la Honda, il gagnait des courses, ce qui était déjà bien. Kawasaki est la seule usine qui investit tout sur le Superbike, avec une capacité de réaction instantanée, un budget supérieur
à tout le monde. Ducati travaille un peu de cette façon, mais avec une grosse partie de son investissement sportif sur le MotoGP, ce qui limite sa puissance de feu face à Kawasaki où toutes les forces sont concentrées sur le Superbike. Et depuis cinq ans, Jonathan gagne. Il connaît parfaitement sa moto, au point d’être passé de celui qui roulait le plus durant les essais hivernaux à celui qui roule le moins.
Il a une excellente base, et à chaque fois qu’il monte sur la moto, il l’améliore. Il a eu deux coéquipiers depuis qu’il est champion du monde, et aucun ne lui a fait de l’ombre. C’est fantastique. » Alex Lowes sera le coéquipier de Rea cette année : « C’est sûr qu’il va se retrouver sur la meilleure moto, mais ce n’est pas simple à gérer d’avoir le champion du monde dans le box. C’est un besogneux. Il a fait du bon boulot sur la Yamaha, alors qu’en début de saison, ce n’était pas du tout évident. Mais je n’ai aucune idée de ce que cela peu donner. De toute façon, il fallait mettre un deuxième mec sur la Kawa. La seule chose surprenante est que Toprak (Razgatlioglu, 22 ans, 5e du championnat sur une Kawasaki privée, ndlr) n’ait pas été retenu. C’est incompréhensible, car il est jeune, rapide et a fait toute sa progression chez Kawa. Et en plus d’être un super pilote, c’est un mec génial. Certainement celui avec lequel je m’entends le mieux dans le paddock. On peut se battre en course comme des chiffonniers puis éclater de rire ensemble dans le paddock. » Avec le départ d’Alex Lowes, Michael van der Mark, quatrième du championnat, sera plus que jamais le fer de lance du team Yamaha en 2020. Un adversaire direct de Loris : « Difficile de dire quelle est sa marge de progression. Je ne suis pas sur la Yam’ depuis assez longtemps pour savoir comment elle était l’an dernier, mais au niveau où elle est aujourd’hui, elle aurait dû gagner plus de courses. Mais c’est un pilote rapide, qui a du talent. Après, je pense qu’il y a un paquet de mecs qui se disent : “Bon, je suis deuxième derrière Johnny, c’est comme une victoire.” » Un syndrome qu’il attribue même à son pote Toprak : « Il a mis beaucoup de temps à passer le cap pour le battre. Il y a un paquet de courses où il aurait pu terminer devant lui et où, dans les derniers tours, il n’y est pas allé. Peut-être par peur de faire chuter le roi du championnat. Comme certains ont pu avoir peur, à une époque, de bousculer Rossi. »
« Le championnat va mieux qu’il y a 2 ans »
Nouveauté en 2020, le retour officiel de Honda est une réelle inconnue. En débauchant Bautista
pour une somme record (les bruits de couloir font écho de quelque 800000 € pour la saison), le constructeur champion du monde en MotoGP semble se donner de réels moyens : « Pour l’intérêt du championnat, j’espère que ce sera une réussite, qu’il fera ce qu’il faut pour se battre en tête. Je trouve que le Superbike va mieux qu’il y a deux ans, où il n’y avait que des courses sans intérêt. Et si c’est vrai qu’il y a moins d’affluence que sur une course de MotoGP, il y a aussi une plus grande proximité entre les pilotes et les spectateurs. C’est donc dans l’intérêt des constructeurs d’y être présents pour vendre des motos.
C’est bien la vitrine des motos de série. »
Si Loris est un fidèle de ses montagnes natales – quel que soit le côté de la frontière –, il est, comme tout le gratin des pilotes français (à l’exception de Johann Zarco), sous la « protection » d’Éric Mahé. À l’instar de Randy de Puniet, Jules Cluzel, Jérémy Guarnoni et Fabio Quartararo, il est membre de la famille de l’ancien pilote Supersport. De quoi avoir un oeil éclairé sur ses frères d’armes : « J’aime beaucoup Jules, et j’ai beaucoup de respect pour ce qu’il fait et notamment de ses choix de carrière. Comme moi, Jules refuse de payer pour disposer de la meilleure moto. Il a fait une très belle saison avec le GMT qui arrivait de
l’endurance et découvrait le Supersport, et surtout en s’adaptant à une moto aux commandes inversées (voir page 121). J’ai hâte de le voir pour la deuxième année de suite dans le même team, dans un team qui progresse et qui va tout faire au mieux. Jules est certainement le gars qui mérite le plus le titre de champion du monde Supersport. Pour moi, personne dans la catégorie n’a autant de talent que lui. » Bien évidemment, il avoue être totalement fan de Fabio : « C’est magique. Il n’y a rien à dire. C’est top. J’ai vu Fabio rouler à 8 ans, et son talent ne faisait déjà aucun doute. Mais le talent ne suffit pas.
Il faut bosser, et il est bosseur. Faut pas choper la grosse tête et s’entourer des bonnes personnes. Ça a commencé par son choix de collaborer avec Éric, puis d’aller chez Speed Up. En compétition, il ne faut pas toujours faire comme les autres et gagner avec une Speed Up a une autre gueule que de gagner, comme tout le monde, avec une Kalex. Quant à ce qu’il a fait cette saison, c’est fabuleux, car il n’y a que Marc (Marquez) qui a fait mieux en étant champion dès la première année.
Aller titiller Marquez avec une moto privée qui avait clairement un grand déficit de vitesse de pointe, c’est magique. Et malgré ses problèmes de bras, il n’a jamais douté, jamais cessé de progresser. Ça laisse présager d’une année 2020 au top ! » Loris exprime au passage un regret : « Clairement, nous avons le bon manager. Lorsqu’Éric a accepté de travailler avec moi, j’ai tout de suite été convaincu qu’il était la personne qu’il me fallait...
Je regrette seulement de ne pas avoir commencé avec lui trois ans plus tôt. »
En tout cas, il sait déjà ce qu’il veut à l’entame de la décennie : « Mon objectif 2020 est d’être en permanence dans le Top 5, jouer des podiums et décrocher des victoires. Je pense que c’est possible ! Progresser sur les départs, pneus neufs et pneus qualif. Faire une saison comme celle de Tropak l’an dernier : n’avoir peur de rien ni de personne. »