« La Z 1000 a relancé la dynamique Kawa »
Aujourd’hui retraité, Maurice de Rochefort était, au lancement de la Z 1000, en charge des relations presse chez Kawasaki France. Il se souvient de la gestation de l’engin et de l’impact qu’il a provoqué lors de son arrivée sur le marché.
« Un produit pas trop coûteux à fabriquer et, en même temps, dépositaire de l’esprit canaille des premières générations de Kawa »
« Importante la Z 1000 ? Plus que ça : je dirais cruciale. C’est elle qui a permis à Kawasaki de rebondir au début des années 2000. Il faut dire qu’à cette époque, la situation était un peu compliquée pour la marque. La décennie 90 avait vu la sortie de modèles forts en termes d’image – la ZX-12R chez les sportives, la W650 chez ce qu’on n’appelait pas encore les néo-rétro –, mais qui ne faisaient pas beaucoup de ventes. Et nos modèles censés faire du volume, la ZRX, la 500 GPZ et la ZR-7 étaient en fin de carrière. À cela s’ajoutait l’intensification de la répression routière, qui commençait à porter préjudice aux fers de lance qu’étaient les ZZR, et la concurrence accrue dont souffrait la ZX-9R face, notamment, à la Yamaha R1. Bref, pour Kawasaki, le cap du nouveau millénaire s’annonçait difficile à passer. Afin de surmonter ces obstacles, le groupe avait d’ailleurs scellé un accord industriel avec Suzuki, qui permettait aux deux marques de développer des motos sur des plateformes communes. Mais plus que ce partenariat qui n’est, en outre, pas allé très loin (une paire de customs et une paire de trails : les KLV 1000 et V-Strom 1000, ndlr), c’est la sortie de la Z 1000 qui a permis à Kawa de sortir de ce marasme par le haut. Pour cette machine, pas question d’ailleurs de collaborer avec Suzuki.
La Z 1000 était un projet 100 % Kawasaki, dont le développement était, si je me souviens bien, très protégé. L’idée directrice était simple : il s’agissait pour Kawasaki de proposer un produit pas trop coûteux à fabriquer et, en même temps, capable de renouer avec l’esprit canaille des premières générations de Kawa. Pour simplifier la fabrication de la machine, l’usine a fait ce qui est devenu commun aujourd’hui : elle n’a pratiquement recouru qu’à des éléments dont elle disposait dans sa banque de composants, notamment le quatre-cylindres de la ZX-9R. Quant au côté canaille, je dirais qu’il s’est construit autour de la motorisation, mais aussi beaucoup du design. Pour ce dernier, l’idée était de proposer quelque chose de clivant, mais capable aussi de provoquer un réflexe d’identification chez les amoureux de la marque. À cette fin, Kawa a débauché Shunji Tanaka, qui avait notamment dessiné le petit cabriolet Miata chez Mazda. Tanaka est devenu patron du design chez Kawasaki et il a travaillé sur le projet avec le jeune Keishi Fukumoto, lequel, d’ailleurs, est plus tard devenu patron du style pour la marque et à qui l’on doit, si je ne me trompe pas, toutes les Z qui ont suivi. De ce point de vue, il faut reconnaître qu’une vraie continuité stylistique a été instaurée, mais à l’époque, c’était vraiment un design de rupture. On l’a rétrospectivement appelé “manga design”. Je ne suis pas sûr que ce soit pertinent. Ce que je crois savoir en revanche, c’est que, sur ce projet, les préconisations du département design prévalaient largement sur celles des ingénieurs. En gros, il fallait que la technique se plie aux coups de crayons. L’exemple qui reste en tête, ce sont les échappements. Pourquoi les designers insistaient-ils sur ces fameuses flûtes ? Parce que c’est sur elles qu’ils comptaient pour provoquer le réflexe d’identification à la marque : leur aspect un peu vintage était, en quelque sorte, un élément de réassurance à destination de ceux que le “manga design” perturbait. Une façon de dire à la clientèle : malgré ce look hors normes, atypique, transgressif, ceci est bien une Kawasaki. Enfin, tout ça, je l’ai appris rétrospectivement, parce qu’à l’époque, au poste qui était le mien, je n’étais pas dans le secret des dieux au moment du développement. Celui qui avait suivi ça de près chez nous, c’est le regretté Bertrand Sebileau qui, si mes souvenirs sont bons, avait été associé au développement de la machine. Même si Kawasaki avait des ambitions mondiales avec cette moto, le marché européen était le principal
visé et il était essentiel pour les Japonais de recueillir l’expertise d’un Européen qui allait vite. Entre la Z 1000 et Bertrand, c’est une histoire qui s’est d’ailleurs prolongée puisqu’en 2003, il avait fait le Moto Tour et gagné la Super Roadster Cup au guidon d’un exemplaire très proche de la configuration d’origine (à l’exception de la ligne d’échappement, des platines repose-pieds, de la selle, des durites de frein et évidemment du bridage, ndlr). Et c’est encore Bertrand qui servait d’ouvreur lors de la présentation presse de la moto, début 2003, près de Naples. Enfin, pas la première présentation, la seconde. Car la toute première avait été un peu particulière : Kawasaki, qui misait gros sur ce modèle, avait décidé de mettre les petits plats dans les très grands, et d’inviter au Japon une toute petite poignée de journalistes en mode VIP. Pour la France, seuls MR et MJ étaient conviés. Le voyage était superbe, l’hébergement exceptionnel (juste avant, l’hôtel avait accueilli une rencontre entre chefs d’État), mais les conditions de l’essai étaient caricaturalement japonaises : dans le trafic routier et à 80 km/h. Autant dire complètement décalées par rapport à la vocation du produit. Histoire de revenir avec des images un tant soit peu percutantes, les deux Frenchies avaient d’ailleurs choisi de prendre la tangente pour faire des photos de wheeling, ce qui avait horrifié les Japonais. À Naples et avec Sebileau en ouvreur, la Z 1000 avait heureusement retrouvé son cadre d’expression et la voie d’un succès critique puis commercial que la Z 750 a ensuite décuplé. Mais c’est une autre histoire... »