Moto Revue

/ Entretien avec Erik Buell

- Par Thomas Loraschi. Photos DR.

Fondateur de feue la marque éponyme, l’Américain, à présent recyclé dans des projets de motos électrique­s, est revenu pour nous sur les grandes heures de Buell Motorcycle­s

La dernière boîte portant son nom a déposé le bilan en 2017 mais à 70 ans, Erik Buell, lui, n’a pas déposé les armes. Il les affûte désormais dans l’électrique chez Fuell (notez le jeu de mots), ce qui ne l’empêche pas de carburer à plein régime lorsqu’on le branche sur les décennies 90/2000, ses relations complexes avec Harley-Davidson et les rêves auxquels il n’a pas renoncé. Confidence­s confinées mais très libérées...

La M2 Cyclone fait partie des projets qui ont suivi l’arrivée de HarleyDavi­dson dans le capital de Buell en 1993. À l’époque, Harley avait décidé d’investir massivemen­t dans Buell et ça ouvrait des perspectiv­es intéressan­tes pour nous, notamment en termes de distributi­on. Mais très vite, on s’est aperçu que la plupart des dirigeants de HarleyDavi­dson ne comprenaie­nt pas ce qu’on avait en tête. Quand il est arrivé, le board de Milwaukee a voulu qu’on mette immédiatem­ent en chantier le successeur de la RS 1200, une routière sportive. Lorsque, à la place, on leur a parlé de la S1, un roadster teigneux, minimalist­e, radical, ils nous ont regardés comme si on débarquait de Mars ! Ils ne croyaient absolument pas en son succès.

Mais on a insisté : on leur a promis que la descendant­e de la RS 1200 viendrait vite

(ce sera la S2) et du coup, Vaughn Beals, le président de Harley à l’époque, a appuyé pour qu’on nous laisse faire la S1... et la moto a cartonné. C’est de là qu’est née la M2, en fait. Face au succès de la S1, Harley a immédiatem­ent souhaité surfer sur la vague en proposant une machine un peu plus douce et confortabl­e. Plus abordable aussi. Nous, ça nous allait : c’était une moto plus consensuel­le mais super attachante. Et surtout, à nos yeux, c’était un modèle de transition. Comme toute la gamme de l’époque d’ailleurs. Au milieu des années 90, ce twin refroidi par air, dérivé de celui du Sportster, on pensait qu’on allait rapidement le mettre derrière nous. Et n’allez pas croire qu’on se faisait un film : dès 1994, on a eu l’appui de Vaughn Beals pour développer un bloc à refroidiss­ement liquide. Tout était bordé : Harley avait commandé des études de marché qui soulignaie­nt l’importance d’avoir un twin moderne sur les Buell et le projet industriel avait été lancé autour d’une équipe composée d’ingénieurs en provenance de Buell, Harley et Porsche. Mais ce moteur, Buell ne l’a jamais eu ! Quand Vaughn est parti à la retraite en 96, Harley s’est non seulement accaparé ce projet, mais a, en plus, exigé plusieurs modificati­ons sur le twin qui ont eu pour conséquenc­es de l’alourdir et de diminuer son rendement.

Et il a fini dans le V-Rod. On a bien essayé de le récupérer par la suite pour le mettre dans les séries XB qu’on avait conçues pour recevoir ce genre de bloc. Mais on nous a toujours dit non.

Buell, Harley et Porsche

Pour obtenir un moteur moderne, il a fallu qu’on attende le 1125 Rotax... en 2007. En gros, on a pris une décennie dans la vue. Tout ça pour se faire liquider deux ans après alors que nous venions de faire notre meilleure année de vente (en 2008) et qu’on avait des projets plein les cartons : une hypersport­ive, la Barracuda, une version turbo du Rotax, une moyenne cylindrée à refroidiss­ement

liquide, des 450 de cross aussi... C’est étrange de voir comment les choses tournent : aujourd’hui, Harley est en crise et a du mal à trouver des atouts pour faire face à l’évolution du marché. Mais sans la liquidatio­n de 2009, un de ces atouts aurait certaineme­nt été Buell ! Le pire, c’est que Vaughn avait cette vision au début des années 90. C’était ce à quoi devait servir Buell, selon lui : permettre à Harley d’avoir un coup d’avance. Mais bon, c’est le business : collaborer avec des grands groupes, c’est accepter de ne pas tout maîtriser. C’est aussi un peu ce qui s’est passé avec Hero, le groupe industriel indien. En 2011, il voulait s’étendre au niveau mondial et s’émanciper de Honda avec lequel il collaborai­t jusque-là. Hero s’est donc rapproché de EBR (Erik Buell Racing), la firme que j’avais remontée après l’épisode Harley, afin qu’on leur imagine une gamme complète de machines et qu’on les aide à construire une image plus fun.

C’était une super opportunit­é pour nous :

Hero investissa­it dans EBR et parrainait notre programme de compétitio­n. Et nous, en retour, nous leur concevions des motos. Ça se passait bien : 13 protos ont été présentés au Salon de Delhi en 2014, et Hero a pris le contrôle d’EBR. Mais en 2015, Hero a brusquemen­t décidé d’abandonner le projet en même temps que ses ambitions mondiales : Honda avait décidé de faire le forcing sur le marché indien et Hero a dû changer sa stratégie pour répondre à cette offensive. Et c’est

EBR qui en a fait les frais. Aujourd’hui, j’ai tourné cette page et je crois d’ailleurs que je ne concevrai plus de deux-roues à moteur thermique. Ce qui me stimule le plus désormais, c’est l’électrique : c’est un secteur où il n’y a pas encore trop de préjugés sur la façon de construire une moto et c’est comme ça que j’aime fonctionne­r. Avec Fuell, on est encore au début de l’aventure, mais notre vélo à assistance électrique mène une belle carrière et la moto sur laquelle on travaille, la Fllow, va être incroyable. C’est un roadster ultracompa­ct, avec un moteur intégré à la roue arrière et un cadre coque accueillan­t un coffre de 50 litres. Elle fait un peu moins de 50 ch et environ 8 mkg de couple, mais elle est légère et propose une autonomie de près de 250 km. 50 ch, ce n’est pas impression­nant comme puissance mais dans l’électrique, je crois qu’il est vain de vouloir rivaliser frontaleme­nt avec le thermique. Ça en étonne certains quand je dis que je suis dans l’électrique à présent. Quand les gens pensent à Buell, ils voient un gros twin longue course refroidi par air. Un truc qui pilonne, qui vibre. Un truc à l’ancienne, quoi. Mais, en fait, ma motivation première n’a jamais été de faire des motos à moteur Harley. Ça s’est juste fait comme ça. Ce qui m’intéresse depuis toujours, c’est le futur.

Pour te dire, quand j’étais gamin, ce que je voyais, c’était des motos fusées pour naviguer entre les astéroïdes... L’électrique n’est qu’un pas de plus sur ce long chemin. »

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Entre la Fllow et les anciennes Buell, il n’y a pas de filiation technique. Esthétique­ment, en revanche, on reconnaît un peu du style maison. Cette moto électrique est actuelleme­nt toujours en développem­ent.
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La RR 1000 : toute première Buell homologuée route, produite entre 1987 et 1988, et emmenée par un twin de XR 1000 acheté au départemen­t course Harley.

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