Quand les maxi-trails font le maximum, ça élève carrément
Sous la classe des maxi-trails à 20 000 € et plus, on s’organise… La preuve avec quatre machines qui poussent à réévaluer les standards, proposant un niveau d’équipement parfois record. Le compromis idéal ?
le niveau de ce secteur. La preuve avec ce quatuor de feu : Ducati Multistrada 950 S, Kawasaki Versys 1000 S, Suzuki V-Strom 1050 XT et Triumph Tiger 900 GT Pro
Ducati Multistrada 950 S / Kawasaki Versys 1000 S Suzuki V-Strom 1050 XT / Triumph Tiger 900 GT Pro
2021, la V-Strom 1050 standard et la Multistrada 950 standard restent disponibles en concessions. Ou plutôt, restent affichées à leur catalogue constructeur respectif car, pour en trouver une en stock, il faudra soit miser sur le coup de bol, soit lancer une vaste opération de recherche, à moins que vous ne la commandiez directement auprès de votre revendeur le plus proche. Dans ce cas-là, il faudra se montrer imperturbable à ses remarques car il tentera inévitablement de détourner votre attention sur une version S ou XT, selon le panneau affiché sur la devanture de sa boutique. Mais attention, ne voyez pas en lui l’escroc qu’il n’est sans doute pas ! Au contraire, faites au moins l’effort d’écouter ce qu’il a à vous dire. Surtout, lisez les lignes qui suivent, ça vous évitera un déplacement inutile, voire une prise de becs malencontreuse. En effet, l’époque où la logique commerciale misait sur une gentille petite entrée de gamme, pas trop chère, aux côtés d’un produit luxueux et reluisant, est révolue. Pourtant, l’équation était simple : si tes économies ne te permettaient pas de prétendre à la version haut de gamme, tu acceptais alors de te rabattre sur un modèle plus chiche mais pas moins valorisant pour autant. Le revendeur y gagnait une vente, le client était content. Une formule gagnant-gagnant.
«C’est le client qui veut ça»
Mais ça, c’était avant. À présent, les moeurs ont changé, les pratiques commerciales se sont affûtées à mesure que les envies du consommateur se sont complexifiées. En clair, de nos jours, on veut tout.
Il faut dire que la publicité, qui met en scène des engins sur-équipés aux prestations démesurées, sans communiquer sur un tarif de vente pour lui préférer un coût mensualisé, a quelque peu faussé notre perception… Prendre le temps d’économiser avant d’acheter ? Mais quelle idée ? Se fixer un budget maximum à ne pas dépasser ? Sottise ! C’est vrai, quoi, 13 000 € ou 15 000 €, en mensualités, qu’est-ce que ça représente ? Hein ?
Quoi, comment ça, les intérêts ? Naaaan… ça, c’est pour le bien de la communauté, il faut faire vivre les marchés, et les marchés nous feront vivre, alléluia ! Bref, oublié, les entrées de gamme, les vraies, celles qui laissaient le choix de la simplicité et de l’accessibilité, place aux machines sur-équipées, puisque, paraît-il, « c’est
le client qui veut ça ». Même constat visà-vis du marché de seconde main : qui pour acheter de l’entrée de gamme en occasion ? Et bien… plus personne. Remarquez, si tout cela peut permettre aux concessionnaires de s’octroyer des marges raisonnables, et de bien vivre de leur métier, après tout, pourquoi pas ? En attendant, allons plutôt rouler et juger si cette réévaluation des standards constitue effectivement le compromis idéal.
Pas toujours évident de trouver des candidats à une proposition de roulage au coeur de l'hiver... Cela dit, on ne se moque pas de nos fidèles rouleurs puisqu'on évite les régions les plus froides, les plus humides et en plus, on pense à eux aux beaux jours lorsqu'un comparatif sexy se profile. C'est donnant-donnant, et il faut avouer que ça fonctionne plutôt bien.
Pour autant, nous tenons à remercier encore une fois Arnaud Quedeville, Julien Toniutti et Florian Meuret d'avoir joué le jeu, ainsi qu'à Thomas
Troin et Barbara Collet pour l'aide logistique apportée à ce comparatif. Maintenant, en selle !
Les deux européennes donnent le ton depuis le parking. La Ducati joue la carte de la sensualité, de la qualité de présentation et du sérieux de son équipement pour envoûter le chaland. Le charme opère immédiatement grâce à ses formes arrondies, tout en douceur.
Et puis il y a ses volumes, impressionnants. Il n'y a pas à dire, la Multistrada 950 S sait occuper le terrain sur lequel elle évolue. La Tiger 900, elle, est plus élancée, presque fine. Moins imposante, elle mise sur d'autres qualités pour capter l'attention et flatter l'oeil. Son phare à Leds, son niveau de finition et la beauté de ses revêtements ne devraient pas vous laisser de marbre. Certes, on trouvera bien quelques détails détonants, à l'image des commandes aux pieds en acier, mais pour le reste, cette 900 GT Pro flatte l'ego de son pilote, et le laissera même bouche bée devant son niveau d'équipement archi-complet.
La Versys 1000 S, de son côté, a fait le choix de volumes records et d'un design tapageur. Encore que là, en noir, c'est moins criard. Cela fait d'elle une moto imposante mais on sait que derrière ces attributs, se cachent des qualités dynamiques de premier ordre. La V-Strom 1050 XT joue un tout autre registre. Elle, son angle d'attaque, ce n'est pas la flatterie, c'est l'efficacité : entendez par là l'équilibre, la précision et le toucher de route. Bon, elle sent pas mal le plastique mais surtout, elle semble dire : « Plutôt continuer d'avancer à contre-courant qu'à contrecoeur, parce que ça, je ne sais pas faire. » Sur le confort, on est bon partout. Les différences se jouent sur des petits détails ou sur les a priori qu'on aurait pu avoir. J'en veux pour preuve la Suzuki V-Strom 1050 XT, qui, de prime abord, inspire moins le « super confort » que les trois autres. Un sentiment
sans doute suscité par ses lignes anguleuses, sa selle assez ferme et la rigidité d'ensemble constaté une fois à son guidon. Et puis, à l'usage, c'est tout le contraire : on profite d'une position parfaite, d'un travail de suspensions excellent, d'une protection convaincante, ainsi que d'une fonctionnalité des commandes agréable. Ici, la simplicité et la sincérité payent. La Versys 1000 S rassemble beaucoup d'atouts, dont un confort de selle et de suspensions extra. Question protection, c'est la meilleure du lot et niveau commandes au guidon, ça fonctionne.
En revanche, son réglage de bulle est exécrable, tout comme le feeling façon guimauve renvoyé par la sélection. La Tiger 900 GT Pro ? Top elle aussi dans l'ensemble avec son assise moelleuse, son gabarit raisonnable, sa rondeur mécanique, sa protection plus que correcte, ses deux selles et ses poignées chauffantes. Toutefois, son guidon très droit et les sur-possibilités de navigation dans les menus électroniques écornent légèrement le tableau. La Multistrada 950 S impose pour sa part une position assez spéciale avec repose-pieds très rentrés vers
l'intérieur de la moto, gros réservoir qui écarte les pattes et guidon plutôt haut mais pour le reste, c'est du caviar : selle ultra-confortable, réglage de bulle parfait, commodos rétroéclairés et sélection royale. Oui madame, oui monsieur, c'est bien cette bonne vieille plateforme Suzuki qui impose ici sa supériorité. Bon, attention, derrière, on n'est pas en reste, notamment en ce qui concerne la Versys S, toujours aussi étonnamment facile et rassurante malgré son poids de cathédrale. Et c'est d'ailleurs justement cette masse assez démesurée (257 kilos tous pleins faits et sans valises) qui l'empêche de suivre la trace laissée par la V-Strom 1050. Effectivement, aussi équilibrée et prévenante soit-elle, cette Kawasaki ne peut rien faire contre les lois de la physique, qui engendrent une certaine inertie de poussée dans les entrées en virage appuyées. Une masse totale qui ira jusqu'à provoquer du mouvement aux suspensions plus orientées confort que sport, il faut bien le souligner. Mais soyons clairs, à rythme normal, la Versys S, c'est un rail. La Tiger 900 GT Pro demande un temps d'adaptation, elle qui semble vouloir tout enrouler et en vitesse autour de son pneu arrière. Cette particularité impose un effet « tombant » dont il convient de prendre la mesure. Sinon, tout roule si bien qu'elle reste toujours un peu avare en retour
« On va faire un tas de motos, là, sur le gros caillou, ça va être chouette ! » Bruno, notre photographe, est un doux dingue qui nous ferait faire n’importe quoi...
d'informations dans son train avant.
Même constat du côté de la Multistrada qui tend à s'inscrire en deux temps et dont les suspensions Skyhook semblent elles aussi prendre leur temps entre deux ajustements de réglage. En conclusion, non, il n'est pas facile d'atteindre le niveau de la V-Strom 1050 qui fait preuve d'une neutralité impeccable malgré une masse non négligeable. Ni tangage, ni mouvements brusques et ce, grâce à un centre de gravité placé assez haut et qui participe de la précision et de la stabilité de la moto sur les remises en charge. Finalement, le seul point sur laquelle la V-Strom 1050 XT aurait à se pencher pour progresser encore, c'est sur la qualité de ses gommes pour offrir un meilleur grip.
Quatre mécaniques et autant de profils distincts dans leur fonctionnement. Allons-y par ordre croissant de cylindrée pour les deux bicylindres ici présents. Le V2 Ducati d'abord qui semble le plus « raisonnable ». Ce moteur se caractérise par des solutions techniques anciennes et propres à la marque et qui, pourtant, au fil du temps, tendent à laisser place à des choix plus conventionnels, comme en atteste la nouvelle Multistrada V4 dénuée de courroie de distribution et même, de la commande desmodromique de ses soupapes... si, si... Passons. Pour en revenir
à notre bon vieux bloc desmodromique à courroies donc, il nous offre un pétillant rendement et profite d'un caractère franc et marqué passé 6 000 tr/min, tout en nous rassasiant les esgourdes. À l'inverse, c'est vrai, il n'est pas le plus costaud tout en bas mais on prend assez vite la mesure du mode d'emploi. Question boîte et embrayage, c'est parfait grâce à un Quickshifter up & down particulièrement convaincant. Le V2 japonais de 1 037 cm3 affiche à peine quelques chevaux de moins mais profite d'une cylindrée supérieure pour se refaire au rayon couple.
Oui, sauf que la V-Strom 1050 XT pèse aussi 20 kilos de plus que la Multi, du coup… Mais surtout, on comprend très vite qu'Euro 5 et vieille mécanique (voir encadré dédié à la V-Strom 1050 pour la généalogie du berlingot)
ne font pas forcément bon ménage... En effet, ce fabuleux moteur ne l'est plus autant qu'avant : il est désormais terriblement linéaire et relativement mou à tous les étages. Dommage, ça tranche tellement avec cette partie-cycle affûtée... Un trail qui donne franchement envie d'investir dans une bonne ligne d'échappement et la cartographie qui va
avec ! Sinon, progressivité d'embrayage et sélection sont efficaces mais... il est où le Quickshifter, bon sang ? Le triple Triumph fonctionne exactement à l'inverse du twin italien, faisant preuve d'un remplissage costaud en bas et à mi-régime pour s'essouffler franchement ensuite. Ah ça, non, il ne donne pas envie d'être cravaché ce moteur mais mené sur le couple, ça tracte franchement, quoique sans véritable saveur.
La boîte ? L'embrayage ? Le Quickshifter ? Nickel ! Quatre-cylindres, 1 043 cm3,
120 chevaux, 10,4 mkg : le 4-pattes Kawa, c'est un peu le papa ici ! Un papa à tendance bedonnante cela dit... 247 kilos tous pleins faits, ça ne rigole pas trop sur la balance et pourtant, elle a encore largement la pêche cette Versys 1000 S ! Comme si cette surcharge pondérale n'avait pas vraiment d'effet sur elle. Parfaitement à l'aise depuis
1 500 tr/min et jusqu'à 10 000 tr/min, ce moteur sait vraiment tout faire, enrouler en 6e à 50 km/h, taquiner de la zone rouge, embrayer en douceur... Là où il perd de sa superbe, c'est au niveau de la sélection. En effet, le Quickshifter et son contacteur à course longue et molle offrent un rendu... « gluant » en bout de pied. Certes, la sélection des rapports est correcte, mais là n'est pas la question, c'est le ressenti qui déçoit, vraiment.