La réussite de l’équipe officielle Suzuki en MotoGP perdurera-t-elle après le départ de Davide Brivio, qui a été à la base du projet avec les Japonais ?
Champion du monde surprise avec Joan Mir l’an dernier, ébranlé par le récent départ de Davide Brivio, le team Suzuki s’attelle aujourd’hui à un énorme défi : conserver un titre que le constructeur japonais n’avait plus décroché depuis vingt ans.
Début janvier, alors que pilotes et techniciens profitent encore de la trêve des confiseurs après une saison 2020 particulièrement mouvementée, un coup de tonnerre résonne brutalement dans le petit monde des sports mécaniques. Davide
Brivio dit adieu à Suzuki et au MotoGP pour rejoindre la F1 avec le tout nouveau team Alpine Renault... La nouvelle est d’autant plus assourdissante qu’un mois et demi plus tôt, le team manager italien célébrait, avec Joan Mir et toute son équipe, un titre de champion du monde derrière lequel
Suzuki courait depuis vingt ans. Mieux que ça puisqu’avec la troisième place d’Alex Rins, le constructeur japonais est même parvenu à glisser ses deux pilotes sur le podium du championnat. « Un nouveau défi et une nouvelle opportunité se sont soudainement présentés et j’ai décidé de les saisir, confie alors Brivio. Ce fut une décision difficile à prendre. Quitter ce groupe fabuleux avec lequel j’ai entamé le projet Suzuki, mais aussi dire au revoir à tous ceux qui nous ont rejoints depuis le début de cette aventure, ça n’était pas évident. En même temps, je ressens une grande motivation pour le nouveau défi qui m’attend. » Milanais comme Luca de Meo, le nouveau patron du groupe Renault, Davide Brivio caresse désormais le rêve de faire aussi bien en F1 que Flavio Briatore qui, en 2005 et 2006, avait obtenu deux titres de champion du monde pour le compte de la marque au losange avec un certain Fernando Alonso. À 57 ans, Brivio n’aura toutefois pas la partie facile pour rééditer l’exploit qu’il a accompli chez Suzuki en ramenant le constructeur d’Hamamatsu au sommet en seulement cinq ans. En 2014, lorsqu’ils le choisirent pour relancer leur programme MotoGP après trois ans d’absence des Grands Prix, les responsables du service course Suzuki étaient en effet dans le flou le plus complet. Depuis la disparition des moteurs deux-temps en 2002, le constructeur japonais n’avait remporté qu’un seul succès, en 2007, sous la pluie du Mans avec l’Australien Vermeulen. Apprécié pour son sens de la diplomatie et sa discrétion, réputé pour savoir s’entourer et déléguer,
Brivio a su fédérer autour de lui une équipe performante et ambitieuse. « Il est très humain,
il est à l’écoute des gens, dit-on chez Suzuki. Davide a su créer une ambiance très familiale dans laquelle tout le monde se sent bien. Son départ va être une grosse perte. »
Ne pas le remplacer ? « Une sage décision »
Un peu sonnés par la nouvelle, les Japonais ont su rester lucides en refusant de lui chercher au pied levé un remplaçant. Responsable du projet MotoGP, Shinichi Sahara a très vite annoncé que l’Italien ne serait pas remplacé. En tout cas, dans l’immédiat. « Nous avons les ressources en interne pour gérer notre
dispositif sans Davide », a assuré l’ingénieur nippon revenu aux commandes du développement de la GSX-RR en 2017. Des déclarations qui ont rassuré Joan Mir et Alex Rins. « C’est une situation difficile car Davide était pour nous tous une référence
mais j’ai confiance en Suzuki, a déclaré le premier. Je suis certain que nous serons capables de continuer à faire du bon travail, nous avons les personnes pour cela. » « Si Suzuki a décidé de ne pas remplacer Davide, c’est que c’est certainement la meilleure
solution », a renchéri le second. Concrètement, c’est Manuel Cazeaux, le chef mécanicien d’Alex Rins, qui devrait prendre un peu plus de responsabilité en épaulant Shinichi Sahara et Ken Kawauchi, le directeur technique du service course Suzuki. De son côté,
Alberto Gomez, actuel manager du service Marketing et Communication, devrait disposer de prérogatives étendues, pour sa part dans le domaine sportif. « Bien sûr que
c’est dommage que Davide soit parti, note Sylvain Guintoli, le pilote d’essais de l’équipe MotoGP. Ça a été un choc pour toute l’équipe car il a beaucoup fait pour créer une super atmosphère dans le groupe en mettant en place d’excellentes méthodes de travail. Mais tout cela est désormais bien établi. Il y a de la cohésion dans ce groupe, tout le monde se serre les coudes même quand ça va mal, comme ce fut le en 2017 lorsqu’un mauvais choix de spécifications moteur avait plombé les performances de la moto. C’est une sage décision qui a été prise de ne pas le remplacer. Il faut désormais essayer de garder la même dynamique. » Ce sera effectivement la mission de Shinichi Sahara
et Ken Kawauchi. En décrochant un titre de champion du monde que personne n’attendait, Joan Mir a remis Suzuki au sommet de la pyramide. L’y maintenir sera une mission certainement plus délicate. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder dans le rétroviseur. Depuis les deux titres de champion du monde enchaînés par Marco Lucchinelli et Franco Uncini en 1981 et 1982, Suzuki n’a jamais réussi à conserver la couronne deux années de suite. Et le dernier pilote de la marque à avoir décroché deux titres de rang n’est autre que Barry Sheene, champion du monde 500 en 1976 et 1977. Après le sacre de Franco Uncini, Suzuki a dû attendre onze ans pour retrouver le sommet de la catégorie reine grâce à Kevin Schwantz.
Sept ans plus tard, c’était au tour de Kenny Roberts Jr d’être titré au guidon de la 500
RGV. Depuis, le constructeur d’Hamamatsu semblait contraint à faire de la figuration, le passage au quatre-temps n’ayant visiblement pas arrangé ses affaires. Il aura donc fallu, pour retrouver son rang, qu’il se retire des Grands Prix à la fin de la saison 2011 et abandonne son V4 pour revenir quatre ans plus tard avec un quatre-cylindres en ligne. « C’est vrai que l’histoire de Suzuki n’est pas qu’un long fleuve tranquille, note Davide Brivio. Mais la situation actuelle de l’équipe MotoGP est certainement plus solide que celle qu’elle a pu être par le passé. Les Japonais ont un contrôle total de leur organisation, ce qui n’a pas toujours été le cas, et il y a dans le staff de jeunes ingénieurs très prometteurs. »
Comme d’autres, le manager italien est convaincu que son ancienne équipe dispose même d’une solide marge de progression.
Les deux mêmes pilotes pour 2021
Sylvain Guintoli souligne tout d’abord le fait que Joan Mir et Alex Mir n’ont pas brillé en 2020 par hasard. « Ce succès a été construit, insiste le Français. Ils sont tous les deux montés en puissance au fil des courses. N’oublions pas qu’en 2019, Alex était déjà dans le coup. Il a longtemps occupé la deuxième place du classement général. S’il n’avait pas été blessé dès le début de saison, il aurait certainement pu, lui aussi, jouer le titre avec Joan. Quant à ce dernier, il faut aussi se souvenir qu’il s’est fait très mal en août 2019 en chutant à Brno, lors d’une séance de tests. Il réalisait alors une superbe première saison de MotoGP. Il lui a fallu du temps pour récupérer physiquement et reprendre confiance. On a vu le résultat. »
Davide Brivio est d’ailleurs persuadé que le nouveau champion du monde, âgé de seulement 23 ans, va encore progresser grâce à la confiance engrangée l’an dernier. Autre point positif pour Suzuki, l’équipe de Shinichi Sahara sera la seule cette saison à aligner les deux mêmes pilotes. Une continuité gage de sérénité, d’autant plus que le développement des moteurs a été gelé pour limiter les coûts durant la pandémie de Covid-19. « On a une moto qui fonctionne partout, ce qui n’est pas
le cas de tous nos adversaires », note d’ailleurs Sylvain Guintoli. Quoi qu’il en soit, le départ de Davide Brivio pose malgré tout la question de la mise en place de cette seconde équipe pour laquelle militait depuis longtemps l’Italien. Il avait même mené des discussions assez avancées avec Razlan Razali d’un côté, et les responsables de la VR46 de l’autre.
Sans lui, les Japonais auront-ils envie de négocier avec un nouveau partenaire et d’intensifier leur production de pièces détachées pour alimenter quatre pilotes en prenant le risque de fragiliser leur organisation ? « La question
se pose, reprend Sylvain Guintoli. C’est vrai que ce projet était porté par Davide. Il poussait beaucoup les Japonais dans cette direction en étant persuadé qu’avoir quatre pilotes ferait progresser Suzuki plus vite. » En attendant, le service course japonais continue à travailler sur sa GSX-RR en pensant à la suite, grâce à cette cellule de tests dirigée par Tom O’Kane qui a fait ses preuves. « Notre programme dépendra de l’évolution des conditions sanitaires mais les ingénieurs cherchent à faire avancer le projet,
détaille le pilote d’essais qui a également, cette année, à son programme, cinq épreuves du Mondial d’endurance avec le SERT. On cherche des directions pour le futur, mais on fait par ailleurs attention à ne pas dénaturer l’esprit de la moto. On a aujourd’hui une machine équilibrée qui fonctionne bien avec les Michelin et dont le quatre-cylindres en ligne est plus performant que celui de la Yamaha. »
De quoi aborder l’avenir avec sérénité. ■